22 mai 2016

Un tournant inquiétant

Les derniers sondages sur la présidentielle américaine montrent une évolution inquiétante, qui semble confirmer la lecture que fait de l'opinion le challenger démocrate Bernie Sanders, quand il s'affirme le meilleur candidat contre la droite, en particulier dans l'électorat indépendant, celui qui n'est inféodé à aucun parti. Plus se confirme la victoire de Hillary Clinton dans les primaires et la certitude qu'elle sera la candidate du parti Démocrate, plus sa cote faiblit dans l'ensemble de l'électorat et plus son élection promet d'être serrée – sinon perdante – contre Donald Trump en novembre. 
Il me paraît clair que la fracture dans le parti Républicain est en train de se réparer: Trump fait de sérieux efforts pour courtiser la base conservatrice, et celle-ci va certainement se rallier à lui, face au risque de perdre le pouvoir. Dans l'autre camp au contraire, les partisans de Sanders sont loin de s'unir derrière Mme Clinton, ils n'iront voter pour elle qu'à reculons cet automne... d'autant plus qu'elle ne fait pas grand-chose pour les écouter et se rapprocher d'eux. 
Il est encore trop tôt pour désespérer, mais il est certain que l'actuel tournant dans la campagne est loin d'être rassurant. Il faut de plus avouer que Trump, malgré toutes ses pitreries et ses rodomontades, s'est montré un meilleur «campaigner» que sa rivale, une différence qui risque de s'accentuer lorsqu'ils se retrouveront face à face après les conventions de nomination cet été. 
L'autre danger, c'est que l'élection se décide non sur des questions de principe et sur des prises factuelles de position, mais sur le poids relatif des «casseroles» que traînent indubitablement les deux candidats officiels.
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En analysant un peu plus finement les résultats de ces derniers sondages, une autre conclusion s'impose: paraphrasant Ronald Reagan (ben oui, il avait le sens de la formule, sinon du bon sens), «Mme Clinton, c'est pas la solution, c'est le problème»! En effet, non seulement elle n'est pas bonne en campagne, mais elle va presque certainement servir de repoussoir pour bien faire paraître son rival Donald Trump. Incroyable, mais vrai.
Pour le comprendre, il faut reconnaître le phénomène majeur, proprement révolutionnaire, de cette étape électorale 2016: un mouvement massif de rejet des classes politiques traditionnelles, d'une ampleur et d'une profondeur inédites dans l'histoire américaine récente. Bien sûr, il faut se garder de faire un amalgame entre Bernie Sanders et Donald Trump quant aux idées, mais on ne peut nier que chacun représente à sa façon une icône anti-establishment. Or chez les Démocrates, le premier attire au moins 40% des partisans. Chez les Républicains, le second en galvanise une bonne  moitié. Sans avoir de chiffres précis, on peut imaginer sans se tromper que parmi les indépendants, qui par définition ne se reconnaissent dans aucun des grands partis, le pourcentage comparable est encore plus élevé. Entre deux camps rigidement campés sur leurs positions, il est extrêmement probable que ce soient ces derniers qui vont décider du résultat de la présidentielle de novembre.
Si on met de côté M. Sanders, comme les Démocrates s'apprêtent à le faire, Mme Clinton se retrouvera dans la position peu enviable d'être la seule et unique représentante en lice du «Beltway», cette bulle étanche et isolée de dirigeants arrogants qui représentent le pire de ce que le citoyen américain moyen pense de son gouvernement. Et M. Trump, malgré tous ses défauts (qui sont fort grands) incarnera à tort ou à raison l'esprit contraire. De là à ce qu'il soit élu, il y a un bon pas à franchir... mais cela paraît beaucoup moins impossible aujour'hui qu'il y a quelque semaines. Ce qui est d'autant plus à craindre que grâce à l'image ultra-traditionnelle projetée par Mme Clinton, il pourrait séduire un pourcentage inconnu, mais crucial dans un scrutin serré, de Démocrates contestataires mais idéologiquement naïfs.

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