11 octobre 2017

Bye, les Açores

Exquise Saõ Miguel, feuillue, moussue, envoûtée d'allées de grands arbres aux troncs lisses, bordée de bosquets fournis aux racines tordues comme des bronzes de Giacometti, explosant d'énormes boules d'hydrangées blanches, mauves, bleues, rose saumon...
Après une courte ballade à pied et en taxi il y a trois jours à Madère, nous allions faire l'impasse sur l'escale suivante de Ponta Delgada hier (après tout, une île est un peu comme une autre, non?), quand un compagnon de voyage montréalais nous a convaincus de notre erreur. «Nous, ça fait trois fois que nous venons ici, disait-il, et nous ne nous en lassons pas. Les Açores, et celle-ci en particulier, sont vraiment un monde à part. Au minimum, prenez un taxi et allez voir les Sete Cidades par les petits chemins de campagne.»
Bon, je lui devais au moins de me renseigner auprès de l'agent de tourisme qui siégeait à la réception du paquebot. La dame quinquagénaire qui m'a accueillie, entendant mon nom, s'est immédiatement adressée à moi en un excellent français et m'a offert de nous organiser une excursion privée à travers l'île pour l'après-midi. «Donnez-moi une demi-heure, je vous appelle à votre cabine.»
Si bien qu'à midi et demi, traînant presque Azur qui grognait en poussant sa marchette, je sors du Terminal maritime... et prends la mauvaise direction pour chercher en vain le chauffeur qui devait nous attendre «tout près» avec sa 4X4. Après dix minutes de marche le long des quais, il est devenu évident que nous nous étions fourvoyés. Retour sur nos pas, pour apercevoir juste à côté de l'AUTRE sortie du terminal une Toyota gris fer style jeep, vers laquelle un jeune homme à l'air dépité fonçait tête baissée. C'était bien notre guide, qui, nous ayant ratés à la première sortie, croyait que nous lui avions fait défaut et se préparait à filer.
Il était donc près de treize heures quand nous sommes sortis de la petite ville de Ponta Delgada pour grimper le long des chemins biscornus, souvent mal pavés et criblés de trous, qui serpentent à travers une des campagnes les plus luxuriantes que nous ayons jamais vues. Des champs soignés comme des pelouses de tous les tons de vert sont découpés par des murets de pierre brunâtre envahis de végétation. Ici poussent du maïs, des betteraves et autres légumes, là se dressent orangers et citronniers, et partout paissent de grasses vaches blanches et noires, autour de curieux édicules de tôle bleu clair.
«Ce sont les trayeuses, explique le guide. Le lait, la crème et le fromage sont une grosse industrie ici, et le climat doux et égal fait que les bestiaux passent leur vie au grand air, tout comme la machinerie de ferme. Quand le fermier vient matin et soir démarrer la génératrice qui alimente les machines, les vaches s'approchent et se mettent d'elles-mêmes en rang pour se faire traire, c'en est même rigolo!»
Après trois quarts d'heure de route sinueuse, tout en montées et redescentes souvent sous une voûte de verdure impénétrable, nous surplombons notre principale destination, le minuscule village de Sete Cidades, niché au creux d'une immense caldeira elle-même hérissée de sept plus petits cônes volcaniques, certains arides et d'autres abritant de ronds étangs sombres. Au centre, la curiosité majeure du lieu, deux jolis lacs séparés par un vieux pont de pierre... mais dont l'un est tout bleu, tandis que la surface de l'autre est d'un bel émeraude. Pourtant, tous deux partagent les mêmes eaux. L'explication légendaire est qu'elles proviennent des pleurs d'un couple d'amants séparés, elle aux yeux bleus, lui aux yeux verts. La réalité plus prosaïque est qu'un lac, peu profond, est tapissé d'algues vertes et entouré de collines abruptes à la végétation verdoyante qui s'y reflète, alors que l'autre, beaucoup plus creux, ne renvoie que la couleur du ciel.
Après avoir fait une partie du tour du cratère géant sur un étroit chemin bordé de deux précipices vertigineux qui donnent la frousse à Marie-José, nous descendons au rustique bistrot du village où, pour cinq euros tout compris, nous avons droit à une eau minérale, deux cafés, deux verres de porto et un bon brandy portugais. Tu parles d'un attrape-touristes! À Paris, New-York ou Londres, la seule bouteille d'eau aurait coûté ce prix-là.
Pendant la conversation entre le guide et le patron du café, j'apprends un petit bout de la mathématique des croisières. Pour une demi-journée d'excursion comme la nôtre, le service-client du navire charge à un couple 500 dollars US ou 450 euros. Il verse 200 euros à l'agence qui fournit la voiture, laquelle paie son chauffeur 80 euros. Si bien qu'en rémunérant notre guide 100 euros (la dame du tourisme local l'a contacté personnellement, sans passer par l'agence), il gagne en fait 20 euros de plus que si nous l'avions engagé par le bateau! Mais chut! Faut pas le dire...
L'autre beau côté de la chose est que, pour la première fois en deux semaines, je retrouve mon Azur de jadis avant sa chûte, la femme toujours de bonne humeur, curieuse et dynamique malgré une certaine fatigue. Et dire que la croisière s'achève...
Nous rentrons en ville, cette fois par la route principale, qui rejoint une autoroute achalandée en arrivant au bord de mer. Arrêt, qui devait être bref, dans un centre commercial pour acquérir quelques souvenirs. Je trouve sans peine le supermarché, en cinq minutes le rayon des vins et portos et celui des fromages (faut quand même tester les spécialités locales) et me présente à la caisse, derrière trois dames aux paniers peu garnis. La chance!
Tu parles! La première n'a pas trouvé exactement un produit qu'elle cherchait, il faut envoyer un commis l'échanger, et... non, c'est pas encore ça, retournez-y. Après trois aller-retours, elle découvre que son coupon-rabais n'est plus valable cette semaine, elle ne le prendra pas... et puis après tout oui. La seconde a une carte de crédit qui ne passe pas, elle doit farfouiller longuement dans son sac encombré pour trouver deux billets froissés et quelques pièces. La troisième paie par chèque, la banque refuse d'avaliser, on fait venir le gérant qui rappelle le banquier qui finit par céder après un pourparler prolongé et strident... Je sors de là épuisé et furieux après 43 minutes bien comptées à faire le pied-de-grue devant la caisse.
Sur un coup d'oeil à ma compagne, j'enjoins à regret le guide de passer outre à la visite de Ponta Delgada que nous nous étions promise. La ville en vaut pourtant la peine, avec son architecture à la portugaise de proprettes maisons souvent couvertes de tuiles vernies (toutes de gris et blanc,sans les couleurs vives de Lisbonne ou Portimao) et aux rues étroites et enchevêtrées pavées de pierres et de tuiles aux motifs géométriques frappants.
Mais tout compte fait, pour cette seule demi-journée, les Açores vont demeurer un des beaux souvenirs du voyage...


Aucun commentaire: