14 avril 2018

La Syrie: entre bien et mal, passion et raison

Les frappes contre la dictature syrienne montrent clairement le dilemme que posent le régime ambigu de la diplomatie internationale et le caractère des principaux acteurs en cause.
1. Ce n'est pas parce qu'un homme ou un pays est dans le camp des «méchants» que tout ce qu'il fait est mal... et à l'inverse, les membres du camp des «bons» ne font pas que du bien.
2. L'absence d'un mandat officiel des instances mondiales est gênante, mais il faut aussi comprendre que la lourdeur du processus est à double tranchant: d'une part, elle impose un délai de réflexion et de consultation qui peut être salutaire avant la prise d'actions violentes et irréversibles, mais en revanche elle accorde aux transgresseurs une période d'immunité contre les sanctions effectives dont ils ont appris à profiter abondamment. Donc, il faut admettre une part de flou et de jugement personnel dans les décisions à cet effet: parfois, la prudence paraît indiquée (Iraq en 2003, Serbie...); parfois il est clairement justifié de passer outre et d'agir sans attendre (Rwanda en 1994, Ukraine, Syrie aujourd'hui...); parfois le choix n'est pas évident (la Lybie de Kadhafi...).
3. Il existe un équilibre délicat entre l'approbation inconditionnelle d'une action et l'analyse objective des circonstances. Par exemple, malgré toute la rhétorique de ses défenseurs, la culpabilité d'Al Assad est d'une probabilité si élevée qu'elle justifie le risque d'une sanction. En revanche, il serait naïf de croire que l'initiative prise par Donald Trump est toute désintéressée: le Président américain, mis en cause dans de multiples scandales politiques, diplomatiques, financiers et sexuels, applique la recette typique du chef d'État fortement contesté, qui consiste à déclencher une opération militaire pour faire l'unité du pays derrière lui en faisant oublier ses torts évidents. Il en va de même à un degré moindre pour Emmanuel Macron, ciblé par une vague de grèves en bonne partie justifiées, et pour Theresa May, fragilisée par le Brexit et la remontée des socialistes anglais. 
4. Il est clair que si en 2011-2012, les grandes puissances avaient soutenu activement la rébellion démocratique et citoyenne du peuple pour renverser ce qui était une dictature avérée à Damas, les choses auraient été bien différentes. On ne peut pas présumer de ce qui serait advenu du statut politique du pays, mais trois choses auraient fort probablement été évitées: (a) le massacre systématique d'un demi-million de gens, en très grande majorité des civils, (b) un flux de réfugiés vers l'Europe qui a alimenté un triste mouvement de rejet des immigrants et (c) l'opportunité donnée aux brigades islamistes de tout poil de s'emparer à leurs propres fins du contrôle de la rébellion, ce qui a légitimé en bonne partie l'argument d'Al Assad qu'il luttait «contre le terrorisme» et qui a permis à Moscou de justifier son intervention dans le conflit. La frappe actuelle peut donc être vue comme un moindre mal, une tentative trop tardive pour corriger une grave erreur géopolitique.
5. Il faudra surveiller avec soin la suite des évènements. L'opposition américaine et une partie de la majorité conservatrice soulignent avec raison la nécessité que l'action d'hier s'inscrive dans une stratégie raisonnée au moins à moyen terme; or, tout le passé de Donald Trump prouve sa propension à n'agir que par coups de tête et de coeur et son incapacité à planifier et à faire la part des choses. On ne peut qu'espérer que les alliés de Washington, qui sont des esprits plus froids et plus calculateurs, pourront encadrer leur bouillant et imprévisible chef de file.
6. De l'autre côté, on ne peut faire confiance à l'honnêteté et à l'humanité d'Al Assad, qui a amplement démontré sa traîtrise et sa cruauté. Idem pour la sincérité de Vladimir Poutine, dont la duplicité ne fait aucun doute (Ukraine, élection américaine...) et qui a visiblement triché sur son engagement d'éliminer les armes chimiques du régime syrien. Ce double constat invalide en grande partie les appels à la prudence des critiques des frappes: il est improbable que celles-ci vont gâter à un degré inquiétant une situation déjà trouble et critique au Moyen-Orient et dans les relations entre l'Occident et la Russie.
7. Enfin, il ne faudrait surtout pas que le dossier syrien fasse oublier le très grave assaut contre la démocratie américaine mené d'un côté par le Kremlin, de l'autre par... la Maison Blanche elle-même. Les enquêtes à ce sujet doivent se poursuivre et être menées à leur terme logique, si dramatique soit-il, même sur un fond de scène de conflit international.

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