12 août 2018

Les Bums chromés ont repris la route

Ouf! C'est un nouveau départ, après bientôt dix mois que nous étions enchaînés à Montréal par nos problèmes de santé. Dès qu'Évelyne, le médecin d'Azur, lui a permis de prendre la route, nous avons sauté sur l'occasion, et une fois nos affaires (plus ou moins) en ordre, un taxi est venu nous prendre à six heures mercredi matin, direction Dorval, la Martinique et la France.
À l'aéroport PET, le service d'assistance nous attendait avec un porte-bagages et un fauteuil roulant piloté par une dame sympa qui nous a menés tambour battant à travers les files d'attente (impressionnantes à cette heure barbare), les portillons de la sécurité et une marche interminable (ah Mirabel, où es-tu passé?) vers une lointaine porte d'embarquement jusqu'à deux bons sièges d'un A319 d'Air Canada, qui a décollé à l'heure pile vers le Lamentin.
Même manège à l'arrivée; c'est un préposé au créole volubile qui nous a remis entre les mains du cousin Daniel et du costaud et moustachu Rodolphe Bongo, taxi de confiance de l'ami Raymond Marie, qui nous attendait un peu plus tard à la marina du Marin, flanqué de notre homme «à tout faire plus» Twiggy, et coiffé de l'éternel panama paille que je lui avais un jour ramené de Barcelone.
Arrêt rapide (et initiatique ti'punch) au Marin mouillage, notre cantine préférée, d'où j'ai apporté notre premier authentique repas antillais depuis longtemps: acras de morue, pâtés de lambi, darnes de daurade grillée avec légumes-pays, crème glacée à la prune de cythère -- une nouveauté bienvenue. Les patrons, Nicole et Gaston Talba, qui s'y trouvaient par hasard (ils ont d'autres activités), nous ont fait une chaleureuse bise, avec promesse de se revoir.
Le passage à bord s'est fait dans une relative harmonie; Marie-José a surpris tout le monde en marchant gaillardement (déambulateur à l'appui) les 2-300 mètres du stationnement au ponton à la passerelle d'embarquement du Bum chromé, elle qui il y a deux semaines faisait avec peine cinq pas sans chanceler dans l'appart du LUX Gouverneur!
Seule anicroche, tout le monde avait oublié de mettre en place nos vêtements de bateau -- comme en principe nous avons tout en double à bord, nous n'apportons jamais de linge de rechange... et il a donc fallu vivre jusqu'au lendemain midi dans ce que nous portions pour le voyage, en attendant que la chère Henrietta (qui n'a pas changé depuis plus de dix ans que nous nous connaissons) corrige la situation en venant nous aider à défaire les bagages.
Jeudi, paresse et beau temps. Les nouveaux voisins d'en face, sur un Lagoon 450 (le modèle qui a succédé à notre «vieux» 440), sont des Alsaciens cinquantenaires qui depuis un an vagabondaient avec leurs enfants et deux petits-enfants à travers la Caraïbe, et qui rentrent chez eux à Strasbourg par avion au début de la semaine prochaine. Brève rencontre, mais sympathique.
Vendredi, une averse à tout casser n'empêche pas Twiggy, avec mon aide quelque peu hésitante, d'effectuer quelques réparations et ajustements au bateau: une écoutille qui fermait mal, la clim déconnectée de son renvoi d'eau, un chauffe-eau capricieux... Ronde de téléphone aux amis et parents pour leur faire part de notre arrivée. En soirée, le beau temps revenu, nous grimpons sur le skybridge écouter un concert de zouk antillais dans un des bars animés de la marina toute proche.
Hier samedi, journée faste. Ça commence avec le passage impromptu du robuste Michel, notre technicien d'entretien, tout surpris de nous voir là. Peu après arrive Philippe Ursulet, le chabin maintenant à la retraite de la marina, libre de se consacrer à sa passion pour la musique et notamment le jazz créole; comme toujours, il dépose à nos pieds une offrande d'une bonne douzaine de CDs de qualité mais peu connus que nous explorerons dans les jours qui viennent. En échange, bien sûr, d'un ti'punch au rhum blanc (oups! un oubli sur la liste d'épicerie, vite corrigé par l'irremplaçable Twiggy). Se joint bientôt à nous autour de la table du cockpit et d'un plat de petits pâtés créoles (viande et morue) Raymond Marie, suivi du retour de Michel.
Pour le lunch, nous étrennons le fauteuil roulant loué par Raymond pour emmener Marie-José au tout proche Kokoarum, où de bons acras croustillants précèdent une fricassée de chatrou tendre mais trop peu épicée (menu pour touristes, hein!), le tout arrosé de quelques bières mexicains Sol proposées (et presque imposées) en promotion par trois charmantes et nubiles Martiniquaises. Dessert, glace rhum-raisin et ananas mariné dans le rhum vieux, thé vert.
À peine avons-nous eu le temps de faire la sieste affalés sur les banquettes du cockpit que nous sommes hélés par deux arrivants de très haut niveau: le cousin diamantinois Charles Larcher et sa merveilleuse Guadeloupéenne Raphaëlle. Cette fois, les libations se font au scotch, bibine favorite de notre invitée. Et la conversation roule bon train, pour parcourir tout le paysage traversé séparément depuis notre dernière rencontre il y a bien deux ans sinon trois -- c'était aux Anses d'Arlet. Serge, le cadet «sérieux» de la nombreuse fratrie Larcher, est maintenant à la retraite après avoir été, tour-à-tour ou simultanément, maire du Diamant, député du Grand Sud et sénateur de la Martinique. Socialiste tendance autonomiste, bien sûr. Nous nous sentons donc libres de dégoiser avec délices sur les turpitudes de la politique française... la québécoise et l'américaine ne perdant rien pour attendre.
Après leur départ et un frugal souper de pain, fromage et eau gazeuse Didier, nous avons droit à une inconnue mais compétente diseuse qui lance d'un bar voisin un bellement nostalgique répertoire: les Deux guitares d'Aznavour, le Poinçonneur des Lilas de Gainsbourg, du Piaf, du Bécaud, du Souchon... Juste ce qu'il fallait avant de s'endormir au murmure des flots.
Et voici dimanche matin, je tape le blogue sur mon iPad sous un ciel d'un bleu intense traversé d'une belle brise et hanté de quelques mouettes (et de nombreux moustiques), une verre de jus de mangue à côté du coude. Je vous souhaite le même bonheur...

Aucun commentaire: