12 février 2020

Réactions «post-impeachment»

J'ai attendu une semaine après la fin abrupte du processus d'«impeachment» de Donald Trump pour permettre à mon esprit de décanter un peu les multiples réactions qui me provenaient de toutes parts et les réflexions que cela m'inspirait. Maintenant que je crois y voir un peu plus clair, voici:
1. Les Démocrates ont commis plusieurs erreurs importantes dans leur approche; certaines étaient évidentes dès le départ, d'autres sont plus perceptibles après coup. Certaines n'ont trait qu'à l'«impeachment» même, d'autres pourraient affecter les suites électorales de l'évènement. (a) En voulant jouer à coup sûr, ils ont été trop restrictifs dans le choix et la rédaction de leurs articles d'accusation. Ceux-ci ne tenaient pas compte de la variété et de la multiplicité des transgressions du Président: mensonges éhontés et souvent ridicules, défense opiniâtre de collaborateurs clairement coupables, obstructions répétées et attaques publiques contre la Justice et les magistrats, détournement de fonds votés par le Congrès pour d'autres fins (notamment «le Mur»), infractions aux lois du financement électoral, utilisation évidente de sa fonction pour son profit personnel et celui de sa famille, etc. Il aurait à tout le moins fallu ajouter un article d'«entraves à la justice» exploitant les découvertes contenues dans le second volume du Rapport Mueller. (b) Ils se sont limités à des offenses ayant trait à la politique étrangère, un thème qui a peu de résonance dans la masse de la population. Leurs efforts pour lier cela à la politique intérieure en alléguant un effet néfaste sur le processus démocratique étaient insuffisants et peu convaincants pour les partisans de Trump et les indépendants. Par le fait même, ils n'insistaient pas suffisamment sur le caractère criminel de plusieurs actes du président et de l'entourage immédiat sur lequel il avait le controle direct et dont il était responsable juridiquement. Ces deux premières lacunes ont empêché une population souvent politiquement peu informée de voir la taille réelle du problème. (c) Malgré le risque de prolonger le processus, il était probablement nécessaire qu'ils testent devant les tribunaux au moins certains des multiples refus de Trump et de son administration de collaborer à leur enquête; même sans aboutir, de tels efforts auraient mis en lumière la duplicité de l'entourage présidentiel et auraient privé les défenseurs de la plupart de leurs arguments contre les défauts du processus d'«impeachment». (d) Ils ont sous-estimé la partisanerie des élus Républicains, faisant trop confiance à leur habituel puritanisme conservateur et aux précédents des épisodes Nixon et Clinton. Ce faisant, ils n'ont pas fait tous les efforts possibles pour rendre l'ensemble de la démarche bi-partisane; il aurait fallu trouver les bons arguments et effectuer les démarches nécessaires pour attirer et conserver dans leur camp au moins un petit groupe de dissidents du GOP, aussi bien à la Chambre qu'au Sénat. Je crois qu'ils n'avaient pas bien pris la mesure du changement de mentalité dans le parti adverse ni de l'emprise qu'y exerçait Donald Trump.
2. Je soupçonne que les Républicains, par opportunisme à courte vue, ont gravement endommagé la réputation de leur parti auprès de l'électorat en général. D'une part, ils se sont montrés pusillanimes, laissant voir la terreur que leur inspire la simple menace d'un courroux présidentiel. De plus, leur refus systématique d'aborder le fond du problème et leur mauvaise foi dans la critique de la démarche des Démocrates devraient entacher leur crédibilité auprès des électorats (majoritaires) qui ne leur sont pas déjà acquis. Le tout a culminé dans leur refus d'intenter à Donald Trump un véritable procès, limitant la session du Sénat à un simple échange de plaidoiries, sans la moindre présentation de preuves matérielles ni de témoignages; leur argument que les preuves avaient déjà été présentées à la Chambre par les Démocrates était d'une faiblesse désolante, d'autant plus qu'ils avaient eux-mêmes vertement critiqué la manière dont cela s'était passé. Le «cas Bolton», celui d'un ex-proche du Chef d'État qui se disait prêt à prêter serment comme témoin direct de faits pertinents à l'accusation, était particulièrement flagrant. Les effets de cet épisode sur le Parti républicain se feront sans doute sentir surtout après que le Président Trump aura quitté le devant de la scène, et donc relâché le contrôle qu'il exerce sur ses partisans. Peu importe que ce soit dans un an ou dans cinq.
3. En même temps, les deux partis auront contribué à démanteler l'équilibre des pouvoirs qui est au coeur du système politique américain, en particulier la tension salutaire qui existe entre les pouvoirs propres au Congrès et ceux de l'administration sous l'autorité de la Maison Blanche. La faute des Démocrates est involontaire; c'est d'avoir échoué dans leur tentative de destitution d'un Chef d'État qui le méritait pourtant mais qui a maintenant les mains beaucoup plus libres pour agir sans contrainte ni opposition. Celle des Républicains, plus grave à mon avis, est d'avoir sciemment (quoique sans doute à regret pour plusieurs) collaboré à cet échec. Le «Troisième Pouvoir», celui des tribunaux, ne s'en sort pas non plus indemne, victime d'une part des attaques vicieuses du Président contre son intégrité, d'autre part du soupçon de partisanerie aggravée qui plane sur lui, dû à une série de nominations douteuses et biaisées par Donald Trump de magistrats de haut niveau.
4. Les suites immédiates de l'«impeachment» raté n'ont pas tardé à apparaître: basses vengeances de la Maison Blanche contre certains des témoins les plus crédibles de la poursuite, recul de la Justice sur la sentence réclamée contre Roger Stone, un complice de longue date du Président; dommage évident à la candidature de celui qui apparaissait comme le rival le plus crédible à la réélection présidentielle, Joe Biden. Il fait peu de doute que d'autres feront surface dans un proche avenir qui s’annonce plutôt inquiétant, mais riche en rebondissements.

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