19 septembre 2020

Ginsburg, laïcité et démocratie

Décidément, les montagnes russes de la politique électorale américaine ne veulent pas nous laisser le temps de respirer.

Après la douteuse gestion des ouragans et feux de forêts liés plus ou moins étroitement à la crise écologique, après celle des vaccins, de la  distanciation et des masques née de la pandémie, après celle des violences infiltrées dans les soulèvements populaires contre le racisme systémique, après les défis à la crédibilité que posent les indiscrétions à Bob Woodward, voici que le décès de la mythique juge Ruth Ginsberg s'ajoute au passage des 200K décès de la COVID-19 pour lancer de nouveaux défis peut-être insolubles aux politiciens et à l'opinion publique. Tout cela crée un coquetel explosif d'agnosticisme scientifique, de confusion entre morale religieuse et laïcité de l'État, de conflit direct entre idéologie exacerbée, opportunisme politicien et respect de la volonté majoritaire... Il est de plus en plus difficile même aux plus inconditionnels apôtres de démocratie à l'Américaine de prétendre que le système «tient bien le coup» face à tant d'assauts imprévus et désordonnés.

Le système, à vrai dire, n'a jamais autant été mis à l'épreuve depuis l'ère profondément troublée qui s'est étendue des luttes contre la discrimination raciale des années 50 jusqu'au drame du Watergate, en passant par l'assassinat des frères Kennedy et de Martin Luther King et aux sursauts anti-guerre au Vietnam; de fait, alors qu'à l'époque les évènements se succédaient de façon presque ordonnée, ils se bousculent aujourd'hui à un rythme dont les seuls précédents seraient les prémisses des deux guerres mondiales de 1914 et 1939. Et dire qu'à la fin de la période modérément progressiste de Barack Obama qui parvenait à juguler la crise des «subprimes», le monde se croyait à l'aube d'une nouvelle période clintonienne de train-train pacificateur!

La mort de Mme Ginsberg remet au premier plan la deuxième faille majeure de l'utopie américaine: après le racisme systémique et hypocrite révélé par BLM, le mensonge flagrant d'une laïcité de façade de l'État face aux influences profondes des sectes «évangéliques» réactionnaires, prêtes à tout pour renverser la légalisation de l'avortement. Paradoxalement, ce qui serait dans la plupart des pays industrialisés un épiphénomène géré sans trop de difficulté s'avère, aux États-Unis, un assaut direct et brutal contre le principe même de la démocratie et du «gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple».

Non seulement il est clair depuis longtemps que la majorité de la population, et des femmes en particulier, est acquise au concept du «droit de disposer de son corps», mais il est tout aussi évident que l'opposition à ce droit n'a aucune autre base qu'une croyance religieuse réactionnaire et relativement minoritaire. Et c'est sur cette base que le Président et la majorité du Sénat s'apprêtent à imposer, probablement pour toute une génération, une orientation à l'ensemble du système national de Justice qui n'a jamais été adoptée par le peuple et que la majorité de celui-ci rejette.

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