18 septembre 2020

Ma théorie du complot à moi

J'ai passé une partie de ma vie d'adulte à combattre et à dénoncer les théories imaginaires de complot politique. Mais le congé de vérité et de rationalité qui nous est offert par l'ère Trump est bien près de me réconcilier avec ces tendances loufoques: j'offre par la présente à votre jugement ma propre et presque crédible conspiration «Trump-à-AOC».
 Premièrement, Donald Trump, l'actuel président républicain soi-disant conservateur des États-Unis, n'est pas et n'a jamais été un conservateur ni un républicain. En tant qu'homme d'affaires, il était la quintessence du combinard immobilier de tendance libérale financé par l'État, ayant fait fortune en utilisant des subventions publiques pour construire et louer des appartements aux classes moyennes et inférieures. Et il était un électeur et un contributeur démocrate avoué. Il n'est devenu républicain que lorsqu'il a découvert que seul ce parti était suffisamment crédule et avide de pouvoir pour lui permettre de devenir son candidat à la présidence, un fait qu'il a volontiers admis.
 Deuxièmement, alors que le Parti dont il a pris le contrôle a longtemps été d'une droite frileusement centriste, apôtre d'un gouvernement minimal, prudent sur le plan budgétaire, moralement puritain et idolâtre de la loi et de l'ordre et de la Constitution, M. Trump a des liens évidents avec l'extrême-droite, n'hésite pas à exploiter au maximum à son avantage les pouvoirs du gouvernement et à accumuler d'énormes déficits publics, change d'épouses et les trompe avec abandon et enfreint les règles légales et constitutionnelles chaque fois qu'il le juge opportun. Dans le même temps, il a réussi à utiliser la majorité républicaine au Sénat pour concentrer de plus en plus de pouvoir à l'exécutif et à la présidence, tout en réduisant la capacité du Congrès de surveiller et de contrôler leurs actions.
 En contre-partie, pensez à ce qui arrive à son ancienne maison-mère politique, le Parti démocrate. Après des décennies d'un cheminement plutôt fade de centre-gauche, il s'est engagé dans un grand-écart suicidaire entre un corps principal capitaliste Clintonien favorable à Wall Street et une aile Bernie Sanders beaucoup plus clairement de gauche et ouvertement socialiste. La défaite humiliante (et bien méritée) d'Hillary Clinton en 2016 a renforcé cette dernière tendance, donnant notamment une énorme visibilité et beaucoup de pouvoir interne à la jeune, audacieuse, charismatique et éloquente membre latina de la Chambre, Alexandria Ocasio Cortez, que beaucoup voient déjà comme la première femme politique de gauche capable d'accéder à la Maison Blanche.
 Il semble peu probable que dans les cercles de pouvoir américain, enracinés à droite et profondément capitalistes, un courant véritablement socialiste et marxiste arrive à s'affirmer dans l'un des principaux partis; mais supposons que les éructations électorales de M. Trump dans ce sens puissent avoir un semblant de réalité. Dans ce cas, pourquoi agit-il maintenant de manière si provocatrice qu'il retourne contre lui-même la majorité des électeurs de centre et de centre-droit, augmentant la probabilité que les démocrates dirigés par Joe Biden remportent en novembre non seulement la présidence, mais une majorité au Sénat tout en conservant le contrôle de la Chambre?
 Biden aura plus de 80 ans et sera peut-être sénile avant la fin de son premier mandat et n'essaiera probablement pas de se faire réélire, mais il y a de fortes chances qu'étant donné le désarroi prévisible dans un GOP post-trumpien battu à plates coutures, son parti se maintienne au pouvoir pendant au moins une décennie supplémentaire? Dans ce cas, il n'est pas absurde d'imaginer qu'en 2028 ou 2032, une AOC véritablement socialiste devienne présidente des États-Unis, héritant des pouvoirs presque dictatoriaux soigneusement acquis pour elle par Donald Trump dans la période 2016-2020. Elle serait alors parfaitement placée pour imposer un changement majeur d'orientation économique et sociale à l'ensemble du pays, loin de son conservatisme actuel et plus près de Cuba ou du Vénézuéla.
 Ce qui m'amène à me demander: et si cette chaîne d'événements n'était pas un accident mais un sombre complot conçu pendant la crise financière de 2008-2010 par un cercle socialiste secret dirigé par une machiavélique Nancy Pelosi, dont les sympathies de gauche à l'époque étaient bien connues? Dans ce cas, Donald Trump n'aura pas été le populiste de droite qu'il prétend être, mais un cheval de Troie infiltré dans le Parti républicain pour atteindre un objectif gauchiste! Après tout, cette théorie n'est pas plus irréaliste que l'affirmation «birther» contre Barack Obama jadis adoptée et promue par Trump lui-même, ou le complot du Deep State imaginé par le mouvement américain de l'alt-right, ou la cabale pédophile menée dans un sous-sol de pizzeria par des dirigeants démocrates libéraux, telle que dénoncée par QAnon.
 Si vous croyez ce qui précède, surtout ne le dites à personne!!!

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