13 octobre 2020

Cul-de-sac pandémique

C'est intéressant et profondément inquiétant de constater ce qui se passe dans la plupart des pays «démocratiques» aux prises avec une deuxième vague de pandémie. Presque partout, les populations qui, au printemps, étaient majoritairement disciplinées et confiantes dans la sagesse des mesures d'urgence imposées par les gouvernements, deviennent de plus en plus sceptiques et même délinquantes à mesure que la situation s'aggrave.

Dans chaque pays, province, état, lander ou shire, les observateurs tentent de trouver à cela des explications locales, à faire retomber la faute sur les défauts sociaux et culturels de la mentalité des citoyens («pourquoi les écoles québécoises ont-elles trois fois plus d'infections que les ontariennes, les états américains deux fois plus que les provinces canadiennes, la Belgique plus que la France ou les Pays-Bas, les grandes villes plus que les campagnes...?»). Mais il est difficile, si on fait l'effort de regarder le tableau dans son ensemble, de ne pas y voir, au-delà des spécificités, une crise généralisée. Difficile de ne pas constater la réalité du vieux principe que «les mêmes causes produisent les mêmes effets», même si en apparence les circonstances diffèrent.

En mars et avril, il était gênant mais compréhensible que nos dirigeants aient été pris de court par un phénomène hors-normes, tel qu'il ne s'en était pas produit à cette échelle depuis plus d'un siècle. Dans la plupart des régions du monde, les peuples, quoique déçus du manque tragique de préparation des responsables, ont accepté la nécessité de leurs improvisations, admis que celles-ci connaissent un certain pourcentage d'échecs. Mais aujourd'hui? 


Les gouvernants et les gens d'affaires ont eu six mois et plus pour analyser la situation, avec l'aide des ressources considérables fournies par le savoir de la communauté scientifique et médicale et les statistiques et les observations concrètes des organismes de santé publique. Malgré cela, ils n'ont rien d'autre à nous proposer que les mêmes recettes à l'efficacité douteuse, qu'une même vision régionale ou nationale souvent entachée d'un opportunisme politique décevant, sans une perspective plus vaste à la mesure de la dimension planétaire de la crise? À cela s'ajoute le constat troublant que les dictatures, dans leur ensemble (du moins selon leurs statistiques publiées), paraissent s'en tirer bien mieux que nos élites élues.


Une double tendance se fait jour qu'il est sans doute mal vu de dénoncer, mais impossible d'ignorer: d'une part, les gouvernements, malgré leurs discours populistes, sont trop enclins à risquer la santé de leurs citoyens pour préserver celle d'un système économique et financier dont les failles sont de plus en plus évidentes; d'autre part, chaque clique régionale ou nationale, obsédée par la préservation de ses privilèges régionaux ou nationaux, s'abstient obstinément de collaborer avec ses voisines et le reste de la planète pour définir, réaliser et rendre accessibles à tous des solutions globales à ce qui est une tragédie globale. Nulle part n'avons-nous vu même un brouillon d'accord international sur la mise en commun des ressources, soit pour fabriquer et distribuer les équipements nécessaires selon les besoins et les urgences, soit pour partager les résultats de recherche et d'expérimentation afin de développer et produire à des prix raisonnables et en quantités suffisantes les traitements, médicaments et vaccins dont le besoin est criant.


Dans un tel contexte, la délinquance fréquente chez les jeunes, mais aussi de plus en plus présente chez les aînés, pourtant les plus fragiles et les plus menacés, paraît justifiée. Mais ce n'est pas une solution. À court terme, le bon sens dit que nous n'avons pas d'autre choix que de suivre les mêmes consignes qui, au moins, limitent les dégâts. En espérant que cela nous procurera un répit temporaire au cours duquel de meilleures formules, de meilleurs remèdes pourront être mis au point. 

(ajout tardif en réaction à des amis délinquants: Dans une situation de crise, il faut être réaliste, quelles que soient les réserves justifiées que l'on a.  Quand le capitaine dit "Le navire coule, tous aux canots de sauvetage", ce n'est pas le moment de se plaindre "Attendez une minute, le canot n'est pas propre ou pas assez grand" ... ou même: "Etes-vous sûr que vous ne mentez pas et le navire coule vraiment? ")


Ce que le même bon sens nous dicte, en revanche, c'est qu'à plus long terme la seule façon d'éviter qu'une catastrophe du genre se reproduise est de repenser en profondeur la manière dont nos sociétés et la planète dans son ensemble sont gouvernées. Il n'y a plus de raison valable pour que nous laissions en place un système qui avait été conçu en un temps où les hommes étaient jugés supérieurs aux femmes et les peaux blanches aux peaux noires, rouges ou jaunes, où la majorité des peuples étaient illettrés, où les classes possédantes instruites pouvaient prétendre à un sens civique et responsable qui les rendait dignes de gouverner, où l'information factuelle était réservée à une soi-disant élite. Les citoyennes et citoyens bigarrés d'aujourd'hui ont dans la plupart des pays un niveau d'éducation, de connaissance et d'information qui les rend aptes à prendre les décisions politiques qui affectent leur présent et leur avenir; leur désir de promouvoir leurs intérêts propres n'est pas moins respectable que celui d'actuelles élites étroitement inféodées à des pouvoirs financiers d'une infinie rapacité.

 

Dans un premier temps, il faut donc nous serrer les coudes, à l'échelle de chaque région, province, état ou pays, mais également de la planète dans son ensemble, pour sortir tant bien que mal de cette crise. Mais dans un second temps, il sera tout aussi crucial de nous extraire du cul-de-sac politique dans lequel la cupidité à courte vue de nos élites nous a enfermés pour réaliser une véritable démocratie citoyenne capable de faire face aux défis du 21e siècle.

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