22 novembre 2007

18 novembre 2007

Les grandes vacances, c'est ça! Et si vous pensiez que nous étions déjà en vacances depuis des années (opinion fermement soutenue par mon frère Antoine), hé bien vous n'aviez rien vu!
Pourtant, ça n'avait pas si bien commencé. Lundi, la cage thoracique toujours de travers et plutôt douloureuse, je me suis résigné à aller au bourg du Marin voir le médecin (qui, grâce à l'intercession du copain Raymond Marie, m'a pris presque tout de suite), puis la clinique radio qui a rapidement diagnostiqué une fracture simple d'une côte du côté gauche (j'ai failli dire "babord") et une fêlure d'une autre à tribord (oups!). Donc, retour chez le Dr Salomon, qui me renvoie à la pharmacie voisine pour des mètres d'élastoplast, des kilomètres de sparadrap et divers onguents aussi odorants qu'efficaces -- enfin, espérons.
La bonne nouvelle, c'est que ce petit défaut d'infrastructure ne va pas m'empêcher de naviguer, à condition de me bander consciencieusement le torse et de ne pas trop souquer sur les manoeuvres. Donc, mardi, re-tournée d'adieux aux parents et amis, en passant par Fort-de-France pour les dernières emplettes.
C'est finalement mercredi matin que nous nous mettons en route, par un très beau temps à peine traversé par quelques grains grisâtres. Le moteur babord, son câble d'allumage remis à neuf, tourne de son mieux, les gros yachts à moteur ont fui sous d'autres cieux, désencombrant la marina. Après l'habituelle faufilade à travers les voiliers au mouillage, le Bum chromé ronronne vers Sainte-Lucie, ses voiles rapidement gonflées par une brise d'est quasi idéale, et la coque bercée d'une houle confortable. Escale dans le creux de Rodney Bay pour une longue trempette et un déjeuner sur le pouce, et descente pépère au moteur le long de la côte jusqu'à un des plus jolis mouillages que nous ayons vus jusqu'ici, Marigot Bay.
Imaginez une anse assez profonde entre deux collines, aux eaux bien protégées du roulis. Et juste au moment où vous vous dites: "Parfait!", vous vous rendez compte de votre erreur: vous apercevez au fond un goulot laissé libre par une barre de sable habitée d'une cabane turquoise et de quelques cocotiers, derrière lesquels se niche une sorte de petit lac bien rond, totalement à l'abri du vent, entouré d'hôtels rustiques et de bars ouverts sur la verdure environnante. Un vrai paradis du plaisancier.
Dans la quasi-obscurité, nous trouvons un bon coin pour jeter l'ancre, Gérard part à terre rencontrer des copains (y'a pas un coin de la Caraïbe où il n'en a pas une pelletée), tandis que du haut du skybridge, nous écoutons la fort bonne musique de jazz qui émane du bar J.J.'s voisin, le temps de prendre sommeil. Quelle mise en train pour cette descente sur les Grenadines!
Jeudi, la côte sainte-lucienne masquant le vent, nous pout-poutons en suivant le littoral jusqu'à la seconde ville de l'île, Soufrière qui, il faut le dire, a bien plus de charme que la capitale Castries.
Le mouillage choisi par le skipper est au sud du port, engoncé entre les deux "pitons" qui sont la marque de commerce nationale. Il s'agit de deux montagnes de 8 à 900 mètres, dont l'altitude modeste est compensée par le fait qu'elles plongent directement dans la mer, ce qui leur donne un aspect spectaculairement vertigineux, comparable seulement (du moins dans notre expérience) aux caps du Saguenay et à certains fjords de Norvège.
Gérard s'est entendu à l'avance avec son copain Johnson, un "boat-boy" qui nous aide à nous amarrer à une bouée, nous trouve un taxi fiable et une liste de bonnes adresses pour demain. Cependant, à cause de l'orientation du vent, le mouillage est loin d'être calme: la brise s'engouffre entre les deux Pitons et descend sur nous comme d'une soufflerie, atteignant des pointes de 20 noeuds. Heureusement que nous sommes sur un cata, les monocoques voisins ont l'air de rouler inconfortablement.
Après un peu de vagabondage dans les rues de ce qui n'est en réalité qu'un gros bourg sympa mais plutôt endormi, Redmond le taxi nous emmène vers "le seul volcan en activité qu'on peut visiter en voiture", un slogan publicitaire qui, pour une fois, correspond à l'exacte vérité. Une brèche dans le cône de la Soufrière (la montagne a le même nom que la ville et qu'une bonne demi-douzaine d'autres volcans de la région, et ses derniers sursauts remontent seulement à 1979) permet à la route de pénétrer jusqu'à un belvédère construit presque au centre du cratère, d'où s'échappent des fumées sulfureuses à la caractéristique odeur d'oeuf pourri. Sur la gauche, un escalier de pierre descend vers un bassin d'eau grise très chaude et chargée de soufre dans laquelle, après une courte hésitation, nous nous plongeons avec un plaisir imprévu mais bien réel.
Sortant du volcan par l'autre côté du cratère, nous nous retrouvons dans une passe en forme de selle de cheval où niche une élégante auberge, le Ladera, dont le restaurant, Dasheene, nous a été fortement recommandé. Avec raison. Non seulement les aliments (et les coquetels, notamment une surprenante concoction de rhum, curaçao, ananas et fruit de la passion sur un fond de thé à la citronnelle) sont excellents, mais le panorama est rien moins que magnifique: bar et salle à dîner construits de pierre et de bois verni sous un toit de paillote sont suspendus à peu près à mi-hauteur entre les sommets des deux Pitons, offrant une vue plongeante à couper le souffle sur la jolie baie entourée de verdure et bordée de sable blanc où est mouillé notre bateau.
La plupart des clients sont malheureusement de jeunes Américains coincés, qui ont visiblement peur de se risquer dans la cuisine locale (tout à fait respectable) et se contentent de steaks, poulets grillés ou même hamburgers. Pouah. Heureusement, il y a là un couple un peu plus âgé et plus déluré -- la jeune femme est photographe professionnelle--, avec qui nous avons un échange sympathique.
Malgré le roulis au mouillage, la nuit se passerait très bien si, pour une raison mystérieuse, ma côte cassée qui se faisait presque oublier depuis trois jours ne s'était remise à me causer des douleurs lancinantes, qui m'ont empêché de dormir jusqu'à trois heures du matin. Je me lève, lis un peu et retourne me coucher... et soudain, comme par enchantement, la douleur disparaît et je dors d'un trait jusque vers huit heures, réveillé seulement par les préparatifs de départ.
Nous profitons d'un bon vent de travers qui nous amène à près de huit noeuds à la pointe nord de Saint-Vincent. Escale à l'abri d'un cap boisé, le long d'une plage de sable gris bordée d'une rangée de cocotiers espacés avec une précision géométrique. Un bon bain dans une eau juste assez fraîche est suivi d'un lunch de côtelettes grillées à bord et d'une courte sieste.
Nous repartons au milieu de l'après-midi pour accoster au coucher de soleil dans la baie de Blue Lagoon, au sud de la capitale vincentoise, Kingstown. C'est une petite marina assez sympa qui ne compte que trois modestes pontons, dont la plupart des places sont occupées par des bateaux de location de Moorings, Sunsail et FootLoose, face à un petit complexe comportant hôtel, bar-restaurant et quelques boutiques. Mais la baie est mal protégée du vent, si bien que les pontons oscillent sans arrêt en frottant contre leurs pylones; curieusement, une fois descendus dans notre cabine, nous n'entendons rien de ce vacarme et dormons parfaitement bien.
Samedi matin, nous profitons du voisinage immédiat du resto pour nous offrir un gros déjeûner à l'américaine, avec oeufs, saucisses, toasts et confitures. Puis nous prenons un taxi qui dépose Gérard à l'aéroport (seul endroit où remplir les formalités de douane) avant de nous amener au centre-ville, qui semble n'être qu'une énorme, animé et bruyant marché à l'ancienne. Nous y circulons un bout de temps, dénichant ici du "bay rum" (remède souverain des Antillais contre tous les maux, de l'arthrite aux piqûres de moustiques), là de beaux gros avocats traditionnels, verts et dodus, bien éloignés de ces petits machins noirs et ridés qu'on nous vend sous ce nom à Montréal et à Montpellier.
Une soudaine et vigoureuse averse nous oblige à nous abriter à l'entrée d'un minuscule bistrot rempli d'amateurs de rhum Sunset et de bière Hairoun. Pas de place pour s'asseoir? Qu'à cela ne tienne: avec un large sourire, le gigantesque patron sort d'un fourre-tout voisin une table pliante, une banquette de bois brut et une chaise de plastique, et presto! nous voilà installés à une terrasse improvisée où, d'un geste plein de courtoisie, il dépose une bière et une bouteille d'eau minérale. Avec des verres ce serait mieux... mais faut pas trop demander, tout de même!
Vidal, un chauffeur de taxi disert et chaleureux qui nous avait abordés plus tôt, nous rattrape et nous propose de visiter les principaux lieux d'intérêt de Kingstown. Sa voiture est propre et confortable, il a du bagout et semble savoir de quoi il parle. Allons-y.
Nous escaladons d'abord une invraisemblable route en lacets encombrée de chèvres, de poules, de chiens et d'enfants qui s'écartent de justesse devant le pare-choc. Au sommet, à quelque 200 mètres d'altitude, nous pénétrons dans une forteresse fin 18e qui me fait fortement penser à la Citadelle de Québec, en plus petit. Cela n'a rien d'étonnant, toutes deux ont presque exactement la même histoire. Ce sont les Français qui ont commencé à les construire vers les 1750-60, et les Anglais qui les ont terminées au tournant des années 1800. Dans l'une comme dans l'autre, deux rangées de canons, une tournée vers la mer, l'autre vers la terre, et pour les mêmes raisons: défendre le port d'un côté, de l'autre prévenir une attaque d'une population locale hostile (Caraïbes et Noirs marrons ici, Amérindiens et Canadiens français là). L'intérieur, comprenant une prison et des logis militaires, a été transformé en musée dont l'élément le plus intéressant est une collection de tableaux historiques d'un style coloré, vif et original, peints par un ancien officier britannique. La vue sur la ville et le port est remarquable et, de l'ancienne guérite transformée en phare, l'on perçoit au loin les premières îles des Grenadines, notre prochaine destination.
Après la visite des deux églises qui se font face, la protestante et la catholique (celle-ci plus petite et plus hétéroclite, mais nettement plus charmante, avec ses décorations baroques, ses steel-drums remplaçant l'orgue et son joli jardin aux nénuphars) et un rapide tour de ville -- dont beaucoup de rues sont bordées d'arcades abritant des étals rudimentaires de vendeurs de tout et rien --, retour à la marina.
Le restaurant de l'hôtel n'a rien de gastronomique, mais il nous réserve quand même une agréable surprise: les meilleures frites que nous ayons mangées depuis la Belgique, surtout lorsqu'on les trempe dans un goûteux ketchup maison. J'en profite pour faire un peu d'Internet (courrier, et surtout comptes à payer) avant de rentrer à bord pour une seconde nuit ici, encore plus agitée que la première.
Dimanche matin, calme plat. Non seulement le vent s'est calmé, mais tous les commerces sont fermés et pratiquement personne ne bouge sur la rive. Normal, les îles ex-anglaises demeurent beaucoup plus "croyantes" que les françaises, avec leurs fortes communautés adventistes très pratiquantes qui s'ajoutent aux anglicans, aux méthodistes et à des minorités catholiques probablement d'origine française et espagnole. Dimanche, ici, demeure vraiment "le jour du Seigneur".
Après une petite demi-heure de galère pour dégager l'ancre coincée dans un corps-mort par dix mètres de fond, nous mettons la voile vers le sud. Par bonheur, sitôt sortis sous la pointe de Saint-Vincent, le vent reprend, orienté franc est et d'une belle constance, entre 15 et 18 noeuds. Nous filons donc vers Bequia (bizarrement prononcé "Beckoué") à plus de huit noeuds de moyenne, portés de plus par une longue houle dans la même direction.
Il nous faut à peine deux heures pour jeter l'ancre dans la baie de la première des Grenadines. Pendant que Gérard descend au village remplir les formalités de douane, Azur entreprend la préparation d'un plat de ses fameuses pâtes à l'ail, qu'elle avait eu l'imprudence de nous promettre il y a deux jours. Sitôt le skipper revenu, nous lâchons le tablier pour le maillot de bain. La plage voisine est superbe, l'eau d'un bleu-vert invitant. Pendant que nous y pataugeons avec délice, une bande de fous de bassan tropicaux (cousins des nôtres par la taille et la forme, mais assez différents par la couleur, grise et bleuâtre plutôt que blanche et noire) arrivent en tournoyant au-dessus de nos têtes puis se mettent à pêcher entre les baigneurs comme si ceux-ci n'existaient pas, les frôlant presque au passage. Le spectacle est d'abord un peu inquiétant: en plongeant presque à la verticale, ils prennent le profil et la vitesse de petites torpilles, précédées d'un bec luisant et bien pointu. Puis nous nous y habituons et suivons leur manège avec une fascination croissante, applaudissant comme des enfants lorsqu'ils émergent avec dans le bec un petit poisson argenté.
La baignade nous a certainement ouvert l'appétit, nous faisons un sort à la montagne de pâtes "al dente" qu'a fait cuire Azur, puis à la plus grande part d'un énorme et juteux ananas légèrement arrosé de rhum vieux. Au coucher de soleil, les sons d'un concert de gospel et de calypso qui se tient au village voisin nous tirent doucement de la sieste, pour une fin de journée tout en douceur. Dur, dur, les vacances aux Antilles...

Aucun commentaire: