Bequia aura été la porte d'entrée de ce qui restera dans nos souvenirs comme un vrai paradis terrestre pour navigateurs du dimanche, pratiquement au niveau des Seychelles. Pendant une semaine, nous circulons de petite île en petite île, toutes différentes malgré une ressemblance de surface (cocotiers, sables blancs, mer turquoise), et chacune nous paraissant tour à tour plus charmante que la précédente.
D'autant plus que la météo s'est soudain mise de la partie, nous offrant cinq jours consécutifs de beau fixe, avec tout juste ce qu'il fallait de vent pour rendre la navigation aussi facile qu'intéressante. Chaque matin, des boat-boys s'amenaient sur leurs canots ou leurs planches de surf pour nous proposer pain frais (à des prix faramineux, par exemple 3 euros ou 4 dollars US pour une baguette médiocre), fruits juteux ou souvenirs parfois amusants. Un petit déjeuner relax pris dans la pénombre du cockpit arrière (nous avions tendu un rideau de nylon blanc du côté sud-est) précédait un parcours à peine houleux d'une à deux heures jusqu'au délice suivant.
De Bequia même, dont nous avons parcouru un bout à pied en faisant des courses, il y a peu à dire. Sauf une curiosité assez étonnante, les "maisons troglodytes" qui, pour une fois, n'ont rien d'ancien ni de primitif. Elles résultent de la curieuse lubie d'un publicitaire américain, Tom Johnston, qui en démarra la construction dans les années 1960 (photo). Avant de partir, nous avons acheté d'un boat-boy sept ou huit langoustes de bonne taille, que nous mangerons peu à peu au cours de la semaine. Pour les garder vivantes, nous les traînons derrière le bateau, enfermées dans un sac de jute, ce qui fonctionne parfaitement: au bout de cinq jours, les dernières survivantes gigotent encore vigoureusement.
Située à une douzaine de milles de Bequia, Mustique, dont la réputation de repaire de VIP (c'était entre autres le "camp de vacances" de la princesse Margaret dans les années 1970) nous faisait craindre le pire, se montre aussi simple que sympathique. Pendant que Gérard complète quelques courses, nous nous attablons à la terrasse du "célèbre" bar et restaurant Basil's, dont nous sommes à cette heure de la matinée les seuls clients, pour un délicieux punch aux fruits frais. À notre surprise ravie, ce haut-lieu mythique des virées de milliardaires est en fait une plate-forme de bois brut jetée un peu n'importe comment au bord de la baie, couverte de pignons de tôle et en partie ceinturée de bambous fendus aux couleurs passées (photo)!
À l'intérieur, jouxtant un bar bien garni, une estrade sans prétention est prête à accueillir un orchestre local pour animer la piste de danse voisine. Tout autour, des tables de bois souvent bancales, entourées de chaises pliantes de teck... semblables à celles que mon frère Antoine avait rapportées de Madagascar pour meubler sa dînette montréalaise! De fait, la seule chose qui révèle le statut super-star de Basil's est le montant de l'addition, qu'on peut d'ailleurs régler avec Diner's Club ou American Express, deux instruments financiers rarement acceptés dans les bouis-bouis insulaires, lesquels préfèrent largement les billets de banque, américains de préférence.
Sur la recommandation de Gérard, nous faisons l'impasse sur l'île suivante, Canouan, pour nous ancrer après une demi-journée de voile idyllique dans l'anse de carte postale de Mayreau. C'est la plage caraïbe dans toute sa splendeur, eaux calmes vertes et turquoises peuplées de poissons brillants, sable presque rose à force d'être blanc, juste ce qu'il faut de cocotiers et de bouquets de raisins de mer pour couper le vent du large et masquer le bar rustique mais bien équipé de l'hôtel voisin. Ajoutez à cela une bonne population de voiliers au mouillage et de naïades bronzées en bikini.
Au lever du soleil le lendemain (photo), je pique une tête dans l'eau limpide pour aller voir de près ce que manigancent deux ou trois pélicans qui m'ont tout l'air de plonger à tour de rôle dans les bouquets de raisiniers derrière la plage. Une fois que j'ai pris pied sur cette dernière, je me rends compte qu'elle a une double face: l'anse paisible où nous avons dormi n'est en fait séparée de la houle atlantique que par une mince langue de sable. Si bien qu'une seconde plage, presque identique, se trouve de l'autre côté, masquée par la végétation et seulement différente par le fait qu'elle est battue de modestes vagues, dans lesquelles les pélicans s'en donnent à coeur joie.
De Mayreau, il faut à peine une demi-heure de moteur (le vent étant, pour une fois, contre nous) pour aller jeter l'ancre au coeur des Tobago Keys, une grappe de cinq îles minuscules et inhabitées, jetées au milieu d'une barrière de corail en forme de fer à cheval. Le gouvernement de Saint-Vincent a eu l'intelligence de les protéger comme réserve de vie sauvage, tout en permettant aux plaisanciers de venir y mouiller.
Le résultat est un véritable jardin d'Eden en miniature (photo), où l'on peut se baigner au milieu des oiseaux de mer en se laissant frôler par les tortues et les poissons tropicaux dont les nageoires en forme d'ailes d'ange viennent vous chatouiller les mollets, pour ensuite se laisser sécher sur le sable blanc en compagnie de paresseux iguanes. Nous y passons une journée enchantée, suivie d'une nuit bercée d'un léger ressac sous un ciel semé d'une multitude d'étoiles.
Union, où nous faisons escale quelques heures le lendemain, est une autre histoire: jadis trépidante et prospère en tant que noyau de la location de plaisance dans le sud de la Caraïbe, elle est aujourd'hui un recoin somnolent et presque oublié, depuis que les grandes sociétés de charter de bateaux ont déménagé leurs bases d'opération ailleurs, notamment en Martinique.
L'aéroport jadis bourdonnant ne s'éveille plus que par sursauts occasionnels, lors du passage d'un des petits avions-navettes qui font le saut de puce d'île en île. D'importantes structures de marché et d'entretien de bateau se dressent, inutiles et désertées, donnant à l'ensemble des airs de village fantôme. Pourtant, le petit village a un charme fou avec ses bicoques de toutes les couleurs abritant de petits bars chaleureux et quelques boutiques de qualité qui ont survécu à la décrépitude générale. Il y a en particulier un trésor qui mérite presque à lui seul un arrêt ici: le Captain Gourmet, un petit magasin d'alimentation tenu par un couple de Français, dont les étagères rustiques regorgent de produits d'un niveau qui ne déparerait pas une enseigne de luxe des environs de la Madeleine ou de l'avenue Georges V.
Après y avoir effectué les formalités de douane et d'émigration (on change de pays), nous piquons de nouveau vers le sud où, pour la première fois de ce voyage, le poisson se met à mordre: en l'espace d'une demi-heure, Gérard sort de l'eau deux thons petits, mais bien suffisants pour nous assurer un délicieux repas de poisson grillé (photo). Nous arrivons rapidement à Carriacou, la première des Grenadines qui appartiennent non à Saint-Vincent, mais au pays voisin de Grenada. C'est une île de bonne taille, près du double de Bequia, dont le dynamisme surprend après le calme d'Union; une curiosité à noter, un bar construit sur une île au beau milieu du port (photo). Nous mouillons à Tyrrel Bay, une anse bien mieux protégée que celle de la capitale Hillsborough, et repartons dès le matin pour Grenada.
Tel que prédit par Gérard, nous bénéficions d'une bonne brise même le long de la côte sous-le-vent, dû au fait que l'orientation de l'île est plutôt nord-est à sud-ouest que nord-sud comme ses voisines. Nous nous installons sur un ponton près de la capitale, St. George, d'où nous pouvons contempler un immense paquebot de croisière, amarré à un quai juste de l'autre côté de la baie (photo). Une fois les formalités d'arrivée accomplies (douane et immigration sont dans les locaux mêmes de la marina), nous partons en balade.
Après un tour rapide de la ville, où le marché du samedi met grande animation -- et bloque à peu près totalement la circulation --, nous prenons la route du nord vers le village pêcheur de Gouyave. L'endroit est fort sympathique, nous y faisons quelques emplettes avant de prendre le chemin de l'intérieur vers la plantation Douglaston Spice Estate.
Nous nous attendions à une sorte de musée touristique, nous tombons sur une vraie ferme, un peu décrépite mais absolument authentique; une dame âgée, fort sympathique au demeurant, nous y donne un cours bien documenté (non sans humour) sur la culture et la préparation des diverses épices qui font la renommée de l'île, depuis le cacao jusqu'à la muscade, en passant par le café, la cannelle et le turméric. Le tout sous les regards amusés de sa famille et de son petit-fils qui se lie d'amitié avec Azur (évidemment!). Nous sortons de là chargés de sachets odorants et continuons à grimper à l'intérieur des terres pour traverser l'île au complet, jusqu'à la côte Atlantique.
La prochaine destination est Grenville, la deuxième ville de l'île et sans doute la plus charmante. Ici aussi c'est le marché, mais en bien plus folklorique et plus chaleureux qu'à St. George. Après y avoir erré un bout de temps, notre chauffeur nous entraîne dans une ruelle sans âge où, jure-t-il, nous allons manger le meilleur lambi du pays.
Azur regimbe bien un peu, surtout qu'il faut se farcir un escalier en tuiles raide et d'aspect peu ragoûtant. Mais dès cet obstacle franchi, nous sommes bien récompensés: l'intérieur, qui n'a sans doute pas changé depuis 50 ans, a un charme fou (photo), avec vue d'en haut sur le marché aux poissons et le port, et la cuisine tient toutes ses promesses. Ne me demandez pas le nom de cet antre des délices, il n'en a pas. Gérard se lie d'amitié avec la serveuse-barmaid, qui l'aide à composer un apéritif improvisé à base de rhum local, de jus frais et d'épices -- j'espère qu'il se souviendra de la recette, c'était simplement délicieux.
Retour à la marina en suivant la route de la côte est, qui nous gratifie de virages en épingle à cheveux découvrant des paysages maritimes superbes. Puis sieste bien méritée, avant d'échanger notre ponton pour le mouillage de Prickly Bay, plus au sud, d'où nous devons appareiller demain soir dimanche pour Trinidad.
La navigation de nuit est à peu près incontournable: sauf vent exceptionnel, la traversée de près de cent milles devrait nous prendre une bonne quinzaine d'heures, et il est préférable d'arriver de jour dans le port commercial très achalandé de Chaguaramas, où le Bum doit entrer en cale sèche. Nous passons donc la soirée sur le skybridge avec Gérard, qui exulte car nous bénéficions d'une brise presque franc est de 18 à 22 noeuds, qui va raccourcir considérablement le trajet.
Mais lorsque nous descendons dormir vers les 23 heures, nous découvrons l'envers de la médaille: la route que nous suivons au près dans une houle forte et courte secoue la cabine comme un vieux panier, et nous avons beaucoup de difficulté à trouver le sommeil. Mais la fatigue aidant...
01 décembre 2007
25 novembre 2007
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