(17 mars 2010) Mézanmi mézanmi! Bondié kel semèn! comme on dit en Martinique.
Entre Montpellier en tête du football français après avoir passé des années en seconde division, Sarkozy plus ou moins cocu par Carla (mais plus que moins, paraît-il), la Gauche ressuscitée -- par défaut -- aux élections régionales françaises et l'incroyable deuil de la "France profonde" à la mort de Jean Ferrat, où donner de la tête… et du coeur?
Commençons par l'essentiel: le printemps est arrivé au Languedoc. Après la bizarrerie d'une tempête de neige au bout d'une semaine d'un mars modérément clément, le temps s'est réchauffé et le soleil nous a ramené un climat auquel nous étions habitués, et qui nous avait attirés ici. Les terrasses se repeuplent, les musiciens de rue réoccupent la Place de la Comédie, les façades de nos restos favoris sourient de nouveau -- même si nous avons découvert ce midi que Mimmo, le patron d'un de nos chouchous, le Verdi, a émigré du côté de Chambéry, laissant la cuisine aux mains de son frère et la salle à son fiston barbu, jeunot mais gentil. Faudra toujours voir ce que ça donne à la longue, d'autant plus qu'il y a lieu d'être méfiant: un de nos plats préférés, le somptueux osso bucco à la milanaise sur rizzotto au mascarpone, a disparu du menu!
Pas de doute que ce qui nous a le plus touchés ces temps-ci, c'est la mort de Ferrat. À l'exception probable de Moustaki (et peut-être d'Anne Sylvestre, dirait ma soeur Marie, mais je n'en suis pas si sûr), c'est le dernier des géants de la grande chanson française, celle qui avait jailli dans le Saint-Germain des Prés d'après-guerre, qui disparaît.
Comme tant d'autres, nous connaissions par coeur des dizaines de ses refrains, autant ceux de combat et de militance que d'amour et de poésie, autant de ses propres mots que de son poète fétiche Aragon: "Nuit et brouillard", "la Montagne", "Aimer à perdre la raison", "Potemkine", "C'est beau la vie", "Nous dormirons ensemble", "Camarade", "J'entends, j'entends", "Maria", " On ne voit pas le temps passer", "A Brassens", "Neruda"…
Ce que nous n'imaginions pas, c'est la déferlante d'émotion spontanée qui a bousculé la France à l'annonce de son décès -- sans doute au grand dam du régime sarkozyste, pour qui ça ne pouvait pas tomber plus mal. Je parle non pas des témoignages prévisibles de personnalités (quoique certains étaient bien sentis), mais d'une marée populaire de sentiment étonnante pour un artiste modeste, timide malgré son militantisme (communiste) affirmé et critique, qui n'était pas monté en scène depuis 1973 et qui avait été à toutes fins pratiques interdit de télévision pendant des décennies. Je pense que par la nature même de l'homme et le caractère intimiste d'une grande partie de son oeuvre, chacun croyait être seul dans son coin à l'avoir aimé et apprécié, et que la découverte de ce gigantesque partage de la "douleur du partir" a encore amplifié le mouvement.
Je l'ai rencontré deux fois lors de passages à Montréal. La première m'avait marqué, et me semble éclairer à la fois ce qu'il était et la raison majeure pour laquelle son public avait avec lui cette relation d'amitié plutôt que d'adulation.
Je l'interviewais pour La Presse dans la suite qu'il occupait dans le modeste hôtel Europa de la rue Drummond, vers 1970. Après l'entrevue formelle qui avait porté autant sur son voyage à Cuba, sur Mai 68 et sur le communisme face au Printemps de Prague que sur ses chansons et son spectacle, il me demande: "Vous êtes pressé?" - "Non…" - "Bon, je fais monter un verre et on cause un peu d'autres choses, d'accord?"
Cinq minutes plus tard, il me servait un "communard" (un kir fait avec du vin rouge au lieu de bourgogne blanc) et se mettait à m'interroger à son tour: sur le mouvement indépendantiste émergent et ses connotations nationalistes dont il se méfiait, sur le syndicalisme nord-américain et ses relations pour lui illogiques avec le politique, sur le journalisme de spectacle et le journalisme en général, sur les boîtes à chansons et les chansonniers (il devait d'ailleurs plus tard se définir comme "un chansonnier dans le sens où les Québécois le disent"). Une conversation à bâtons rompus qui a duré deux bonnes heures, où j'avais l'impression d'être un vieux copain alors que nous ne nous étions jamais vus auparavant.
Quoi qu'il en soit, nous (comme sans doute des dizaines ou des centaines de milliers d'autres) avons passé les trois derniers jours en grande partie à réécouter ses chansons et à regarder obsessivement les émissions à sa mémoire -- dont une magnifique lundi soir sur la 3e chaîne, qui a attiré cinq millions de téléspectateurs en pleine heure de grande écoute.
Les funérailles télévisées hier midi étaient d'autant plus touchantes qu'elles n'avaient rien de "national": seulement quelques milliers d'amis rassemblés sur la place de son village perdu de l'Ardèche, les larmes aux yeux et la chanson à la bouche, sans un seul discours officiel. Adios, Ferrat!
Par son ampleur et son caractère imprévu, l'événement a mis en sourdine le pourtant spectaculaire revirement de l'électorat français au premier tour des élections régionales: sans avoir rien fait pour le mériter, le Parti socialiste se retrouve clairement au premier rang, en position même de rafler les deux seules des 22 régions du pays qui échappaient à son contrôle: Corse et Alsace. Toute une claque pour Sarkozy, sa mégalomanie, ses réformes mal amorçées et mal menées (même là où elles se justifiaient) et ses stratégies autocratiques.
Le résultat met aussi en lumière toutes les bizarreries de pensée et de comportement de la classe politique ici. D'une part, la direction socialiste parade comme si elle avait eu quelque chose à voir là-dedans; de l'autre la "majorité" présidentielle enfouit profondément son long et souple cou d'autruche dans le sable propice du "haut taux d'abstention" pour ne pas admettre l'évidence d'un échec et d'un rejet d'autant plus patents qu'il n'y avait à proprement parler pas d'opposition valable. Et pour insister obstinément que, la Droite étant "unie" et la gauche divisée, rien n'est joué pour le second tour dimanche prochain… en oubliant bien opportunément qu'à droite, pas mal de poignards sont dès maintenant sortis de leurs étuis et cherchent les dos "responsables de la déroute" dans lesquels se planter. Un sondage plaçant le premier ministre François Fillon, inodore, incolore et insipide, bien au-dessus du président en cote de popularité a même poussé certains des jadis inconditionnels partisans de Sarkozy à muser devant les caméras que ce dernier "ne serait peut-être pas le meilleur porte-drapeau de la droite à la prochaine présidentielle" dans deux ans. Fallait le faire!
Pour le vieil observateur politique que je suis, il y a par contre des évidences que personne, mais personne, n'a eu l'idée de mentionner dans le débat depuis le vote, dimanche soir: d'abord, dans une élection, ceux qui sont "contre" sont toujours plus motivés que ceux qui votent "pour" (sauf en présence d'un chef charismatique), ce qui explique sans doute en bonne partie le taux d'abstention record. Combiné avec le fait que la quasi totalité des présidents régionaux semblent en voie de réélection facile, cela signifie clairement que la plupart des électeurs, peu importe leur couleur politique, sont plutôt satisfaits de la manière dont la Gauche dirige les régions.
Cela confirme donc l'émergence aussi bien d'une France "à deux vitesses" que d'une gauche "à deux étages". Les Français, à mon avis, sont résignés à laisser par défaut le pouvoir central et les grandes orientations à la Droite, mais pour ce qui touche leur quotidien (de la voirie à l'éducation, en passant par la formation professionnelle et les transports publics), ils font bien plus confiance à l'autre camp. Corollaire important, le destin du PS risque de se jouer plutôt au niveau de dirigeants locaux et régionaux populaires, efficaces et solidement ancrés qu'à celui de leaders dits nationaux (lire "parisiens") qui se sont largement déconsidérés eux-mêmes par leurs jeux de coulisses emberlificotés, leur ambitions patentes et leurs querelles intestines. La "patronne" Martine Aubry peut bien sourire de toutes ses dents, qu'elle a fort grandes, au lendemain de cette victoire, je soupçonne qu'elle se rendra bientôt compte qu'elle flotte comme un bouchon sur de vigoureux courants centrifuges qu'elle ne contrôle en aucune façon.
Le résultat ici au Languedoc est, à cet égard, exemplaire. Après avoir expulsé du parti le président sortant Georges Frêche pour des propos "racistes" (qui en fait ne l'étaient pas, seulement politiquement incorrects, et d'assez réjouissante manière), elle est partie en campagne contre lui, obligeant même son ancienne adjointe, qui lui a succédé à la mairie de Montpellier, à prendre face à lui la tête d'une liste "socialiste" concoctée au dernier instant. Résultat: la mairesse Mandroux n'a recueilli que 7% des voix contre 35% pour Frêche, et aucune des deux autres listes de gauche (écolos et divers gauches) n'a atteint la barre des 10% qu'il fallait pour se maintenir au second tour. Évidemment, face à la droite toujours présente à 20% et à l'extrême-droit à 13%, le PS n'a plus d'autre choix que d'appeler à voter Frêche dimanche prochain… mais bien entendu sans jamais le nommer. Ce que, cependant, ne se sont pas privés de faire aussitôt plusieurs des ténors du parti, certains suggérant même qu'"au vu du choix des citoyens", ce ne serait pas une si mauvaise idée de le réintégrer dans les rangs. Oups.
Que la plupart des analystes des médias, face à ce genre de résultat, parlent d'une "nette victoire" pour Mme Aubry en dit plus sur l'indigence du débat politique français que sur leur intelligence.
Face à ces intermèdes de pure comédie, la rumeur persistante d'une prochaine séparation entre Sarkozy et sa vedette de femme fait presque figure de nouvelle significative. Ce sont des journaux britanniques (toujours en quête de ragots juteux) qui ont lancé le ballon, allégrement repris par une partie des médias français, qui se sont même mis à accoller aux noms des deux intéressés ceux de potentiels partenaires actuels ou futurs… dont la plus jolie des jeunes ministres, également championne d'arts martiaux -- as-tu peur, Carla?
Chose sûre, si c'est vrai, soit on le saura très bientôt, soit ça sera balayé sous le tapis au moins jusqu'en juin 2012. En politicien pragmatique, le "petit Nicolas" sait qu'il a tout avantage à désamorcer l'affaire immédiatement, le plus longtemps possible avant le scrutin, s'il ne peut pas la repousser après -- comme il l'avait fait de son divorce avec sa précédente épouse, Cécilia.
Bon. Passons aux choses sérieuses. Le club de football (soccer) de Montpellier, pourtant sans grandes vedettes et stagnant depuis des années en seconde division, a été promu à la première ligue au tout dernier match de l'année dernière. Et voilà que dès la saison suivante, et presque en fin de calendrier, il caracole en tête du classement national, nez à nez avec le champion de l'an dernier Bordeaux et devant les puissants aspirants Marseille et Lyon, qui devraient pourtant le dévorer tout cru. Après une période de compréhensible incrédulité, les sportifs du coin ont délaissé leur club chéri du rugby à XV (également en première division, mais dans une saison sans gloire) pour s'enthousiasmer pour l'équipe Cendrillon de ce qui est habituellement, ici, le sport numéro deux.
Cédant à la curiosité, samedi soir dernier nous nous sommes rendus au stade de La Mosson (immense et magnifique, construit pour le Mondial du Rugby il y a deux ou trois ans) pour assister à un match contre Auxerre, l'autre équipe montante de la ligue. Nous n'avons eu aucune raison de le regretter, ayant assisté à une très jolie partie dont le score, 1-1, réflétait bien l'égalité entre deux formations audacieuses au jeu plutôt offensif. Auxerre a marqué un but bien mérité en toute fin de première demie, Montpellier a répliqué de manière tout aussi convaincante au milieu de la seconde mi-temps, et le reste du jeu a été émaillé d'assez belles attaques et occasions de marquer pour soutenir l'intérêt d'un public bruyamment partisan.
Au milieu du match, une de nos jeunes et jolies voisines, voyant notre enthousiasme, s'est tournée vers moi: "Si vous êtes amateur, j'espère que vous allez venir nous soutenir mercredi prochain!" Il se trouve que toutes deux font partie de l'équipe montpelliéraine de football féminin qui dispute ce soir un match international (Ligue féminine des clubs champions) contre un club suédois, pour le droit d'accéder aux demi-finales européennes. Non, nous n'y allons pas, mais ce n'est pas l'envie qui manque.
Je m'arrête ici, et à moins d'imprévu, la prochaine fois que je reprendrai le blogue sera du cockpit du Bum chromé dans la baie du Marin, Martinique.
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