09 avril 2010

Au rythme paisible de Marie-Galante

(5 avril 2010) Notre 46e anniversaire de vie commune s'est passé tout en douceur, au rythme presque primitif de Marie-Galante. C'est le hasard de la météo qui nous a enfin conduits ici: depuis le temps que nous venons du côté de la Guadeloupe, d'abord en avion et depuis quatre ans en bateau, nous n'avions jamais trouvé le tour d'explorer cette île voisine, aussi paisiblement charmante que négligée.

Sitôt que nous avons quitté le confort luxueux de l'hôtel Bakoua pour celui, bien différent, du Bum chromé
samedi veille des Rameaux, nous avons fermement décidé d'abord que nous prenions la mer aussitôt que possible, et deuxièmement que nous tenterions d'explorer le plus possible des recoins de la Caraïbe où nous n'étions jamais allés. Dont, bien entendu, Marie-Galante.
Comme il fallait s'y attendre, il y avait quelques anicroches techniques à régler avant le départ: un lecteur de cartes partiellement analphabète, un téléphone satellite aux abonnés absents, une pompe de douche un peu pompette, une chasse d'eau ne sachant pas chasser… Sans compter tous les copains à saluer au passage: Pancho du Marin Pêcheur, Nicole et Gaston du Marin-Mouillage, Léna et Jean-Yves des Trois-Îlets, nos Suisses-Montpelliérains voisins de ponton Florence et Michel, l'incontournable et toujours charmant Raymond Marie…
Une fois terminé le défilé des informaticiens, électroniciens, électriciens, mécaniciens et autres plombiers indispensables à nos futurs confort et sécurité, nous en étions au Jeudi Saint, après avoir raté la traditionnelle Procession des Rameaux. Et pour cause: de rameaux, y en avait point, de rameaux, y'en avait guère, la sécheresse des deux derniers mois ayant calciné toutes les feuilles de palmier habituellement réservées à cet usage sacré.
Dans l'intervalle, nous avons retrouvé avec plaisir notre skipper de l'an dernier, le rasta Marco, et (pure paresse) avons décidé de lui adjoindre pour le prochain périple une hôtesse-cuisinière. À défaut de celle-ci, introuvable dans les délais, nous avons déniché un hôte-cuisinier volontaire
en la personne de Charles, dit Twiggy, le filiforme fils de la fidèle Henrietta qui veille avec un soin jaloux sur l'entretien du Bum depuis maintenant trois ans.
C'est donc à quatre que nous avons mis le cap sur Saint-Pierre, après une courte escale à Sainte-Anne pour nettoyer les coques. Cela nous a permis de tester l'efficacité de l'antifouling "Métaleau" à base de cuivre appliqué à grands frais en octobre dernier. Premier constat: tel que prédit par ses critiques, ce système n'empêche pas les herbes et autres bestioles de prendre domicile le long des carènes. Mais comme elles n'arrivent pas à s'y fixer solidement, il suffit d'un bon coup de brosse ou de torchon pour les déloger, tel qu'annoncé par ses promoteurs. Après une petite heure de boulot, les coques sont comme neuves.
Une remontée un peu tardive mais sans histoire nous a menés au mouillage, agréable mais plutôt encombré surtout pour une arrivée de nuit, de Saint-Pierre. Juste au moment, d'ailleurs, où les cloches prenaient bruyamment leur envol pour Rome depuis le double clocher de l'ancienne cathédrale des Antilles, un des rares monuments épargnés par l'éruption de la Montagne Pelée de 1902.
Au matin du Vendredi Saint, c'est tout juste si nous avons trouvé une boulangerie ouverte pour les besoins du petit-déj.: croissants corrects, savoureuses "pommes-cannelle", brioches au chocolat. Le tout parfumé de marmelade de citron vert, de gelée de fruit de la passion… et de très bon beurre d'arachide qu'il nous restait d'achats effectués dans les Grenadines en août dernier. Il faut dire qu'avoir un véritable maître d'hôtel pour nous mettre le couvert et desservir ensuite, en la personne de Twiggy, était un plaisir aussi addictif qu'imprévu. Et, petit bonheur supplémentaire, la Montagne Pelée était pour une fois visible dans toute sa splendeur, dégagée des nuages qui en masquent toujours le sommet.
Sitôt dépassée la pointe nord de la Martinique, nous nous préparons à affronter le redoutable Canal de la Dominique, terreur des navigateurs… Penses-tu! Quatre heures à ronronner au moteur sur une mer plate comme une nappe de restaurant londonien et sous un ciel sans nuages, ni le moindre souffle de vent. Pouah!
Trois heures (tout aussi plates) plus tard, nous jetons l'ancre dans la Baie de Portsmouth, au nord de la Dominique. Baignade au soleil couchant dans l'eau chaude et propre d'une belle plage de sable noir, au milieu de bandes de diablotins noirauds et rigolards venus en famille profiter du congé pascal. En soirée, débute dans un bar voisin un concert rap-calypso-reggae-steelband dont les décibels syncopés ne traversent pas les cloisons de notre cabine. Fort heureusement: lorsque je me lève et grimpe prendre l'air sur le skybridge peu après six heures du matin, la fête bat toujours son plein!
À la sortie du mouillage, après avoir éludé les inévitables et obstinés "boat-boys" vendeurs de pain, de fruits et d'excursions, nous retrouvons la même absence d'air et de vague que la veille… ce qui pour une fois fait bien notre affaire: habituellement, il faut galérer face au vent et à une forte houle pour gagner Marie-Galante en direction nord-est (exactement celle d'où soufflent les Alizés prévalents dans la région). Cette fois, la traversée d'une vingtaine de milles est une partie de plaisir, et il n'est pas encore midi que nous sommes ancrés au port de Grand-Bourg, principale commune de l'île.
Celle-ci, qui ressemble à une galette bien ronde et bien plate d'une dizaine de kilomètres de diamètre, est largement ignorée par les touristes, qui n'y viennent que par petits groupes et pour quelques heures à bord de bateaux-traversiers basés en Guadeloupe. Ses quelques milliers d'habitants se répartissent en trois villages et quelques hameaux, la plupart en bord de mer, et vivent principalement de la pêche, de l'agriculture et de la canne (deux rhumeries réputées, Bielle et Père Labat). Une seul hôtel digne de ce nom, quelques pensions à saveur gentiment familiale et une douzaine de restos de plage servant la cuisine locale complètent le tableau. Pas même un marchand de souvenirs en vue!
Un taxi trouvé sur la place nous emmène à l'entrée d'une jolie plage où ne s'ébattent que deux couples d'"étrangers", aussi reconnaissables que des cachets d'aspirine dans une boîte de Glosettes, parmi une quinzaine de familles locales. Une délicieuse trempette dans une eau d'azur sur fond de sable blanc derrière une barrière de corail est suivie d'un lunch abondant mais sans grande originalité au Touloulou, pourtant vanté par les guides comme une des meilleures tables de l'île. Ben quoi, on ne peut pas tout avoir!
Marco et Twiggy ont découvert par la bouche de notre rondelette et sympathique serveuse que le Touloulou, qui fait aussi discothèque, organise pour la nuit prochaine une torride (???) nuitée pascale. Évidemment, ils projettent de venir y terminer leur journée. Hélas pour eux, un accident routier mortel (rarissime ici) précisément sur la route à emprunter vient perturber la soirée et fait avorter cet alléchant programme.
Au matin de Pâques, nous voulons louer une voiture ou un taxi pour explorer le tour et l'intérieur de Marie-Galante. Mais nous nous y sommes pris trop tard, toutes les bagnoles à louer sont réservées et le seul taxi que nous connaissons est (a) à l'église toute la matinée pour la grand-messe de Pâques, et (b) dans un dîner de famille jusqu'en milieu d'après-midi. Après quoi, pas sûr qu'il pourra souffler dans le ballon…
On fait quoi, alors, pour notre anniversaire? On met les voiles. D'abord jusqu'à la baie voisine de Saint-Louis, totalement encombrée de voiliers de toutes formes et de toutes tailles. Nous venons en effet de tomber pile sur le démarrage de la course-régatte annuelle vers les Saintes.
Marco trouve un coin propice où jeter l'ancre directement en vue de la bouée de départ; nous y passons une heure et demie fascinante à regarder les manoeuvres de positionnement des diverses catégories de partants, depuis les grands voiliers de croisière jusqu'aux minuscules mais véloces Hobie Cats et autres mini-catamarans de sport.
Une fois l'excitation retombée, nous continuons vers le nord jusqu'à l'Anse Canot, superbe plage blanche et calme où s'éparpillent quelques dizaines de familles locales (pas de touristes ici, on vous l'a déjà dit). Une baignade nonchalante nous rapproche d'un petit groupe formé d'Albert, un Guadeloupéen d'origine indienne installé ici depuis deux ans, de sa fillette d'une dizaine d'années et de sa copine "métro" Hélène, résidente de ce qu'elle appelle "le paradis de Marie-Galante" depuis quinze ans.
Une demi-heure plus tard, nous sommes tous assis dans le sable sous un bouquet de raisiniers sauvages, à disputer une féroce partie de dominos en avalant (avec circonspection) un punch du rhum local, qui titre pas moins de 59 degrés! Une seconde baignade nous rafraîchit suffisamment pour reprendre la route vers notre abri de Grand-Bourg, où nous nous contentons d'un repas improvisé à bord du Bum.
Malgré un nouveau concert qui démarre peu après le coucher de soleil en plein centre de Grand-Bourg, nous nous couchons tôt en prévision d'une assez longue journée de mer demain: longer toute la côte de la Guadeloupe après un détour du côté des Saintes.

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