01 mai 2010

Régatte de voiliers classiques

(22 avril 2010) «Jonas dans la baleine disait: "J'voudrais ben m'en aller"», la comptine idiote qui me trottait dans la tête au départ des Saintes m'a incité à surnommer Jonas le magnifique cachalot qui nous attendait patiemment juste après la Passe du Sud, avant-hier au coucher de soleil.

C'est à la suite d'un assez vif débat sur la durée du voyage et l'opportunité de retrouver le plus vite possible notre port d'attache que j'ai insisté pour que nous nous mettions en route à cette heure inhabituelle, afin de rallier en une seule étape de nuit le Marin, sans effectuer l'escale habituelle à la Dominique.
Pourtant, le second arrêt à Antigua a été un succès. La descente de Barbuda samedi dernier, pluvieuse au début, s'est faite plutôt rapidement et le choix de Marc de contourner Antigua par l'est (la "Côte au vent") a
été amplement justifié par une bonne brise qui nous a amenés en milieu d'après-midi dans la baie d'English Harbour, que nous avions choisie de préférence à Falmouth par crainte -- justifiée -- que cette dernière ne soit hyper-achalandée à l'occasion des régattes du week-end.
Le petit port-musée (déjà décrit) était lui aussi plutôt occupé, mais nous avons quand même trouvé à nous loger au ponton du carénage, où nous devions effectuer des vérifications et peut-être des réparations à l'annexe et au guindeau (treuil motorisé de l'ancre principale).
Pendant qu'un technicien triturait le moteur du guindeau dans son atelier voisin et qu'un mécanicien en faisait autant de l'annexe le long du quai le lendemain matin, nous sommes partis au large contempler un spectacle unique: une cinquantaine de voiliers "classiques" démarraient juste à la sortie du port pour se disputer une course de vingt milles en quatre "bords" entre deux bouées.
Ils se divisaient en cinq classes, dont les deux plus étonnantes étaient les "grands classiques" à coques de bois ou de fer et deux ou trois mats à gréements traditionnels, certains datant des années 1940, et les "esprit de la tradition", immenses bateaux modernes mais conçus et construits dans la lignée des yachts classiques.
Certains portaient jusqu'à une douzaine de voiles, manoeuvrées par des équipages de vingt à trente-cinq marins.
Le virage face au vent autour de la bouée "de terre" et l'empannage vent derrière autour de la bouée "du large" étaient de véritables ballets durant à peine quelques secondes, mais orchestrés avec une extraordinaire précision. Nous avons passé trois bonnes heures à suivre les péripéties de la course, au milieu d'une flottille d'autres amateurs, dont un étonnant deux-mats à voiles rouges gréé en jonque chinoise. Quel spectacle!
De retour au ponton, pendant que nous dégustions à bord un lunch concocté par Twiggy, nous nous sommes trouvés aux premières loges d'un gracieux défilé des participants, qui venaient effectuer un tour d'honneur dans la baie d'English Harbour sitôt leur course terminée. Nous y avons reconnu plusieurs de nos anciens voisins de quai lors de notre précédente escale à Antigua.
Le clou du spectacle était un joli yacht rose, manoeuvré par une dizaine de naïades en bikini... Très hollywoodien!
En fin de journée, le technicien (prénommé curieusement "Mandela") est venu réinstaller le guindeau rafistolé, si bien que nous avons pu nous remettre en route pour la Guadeloupe dès lundi matin. Pendant la première heure de la traversée, nous avons d'ailleurs eu l'occasion d'admirer le premier "bord" de la dernière régatte du week-end, mettant aux prises plusieurs des mêmes voiliers que la veille, mais sur un parcours différent.
Nous avons passé une nuit peu mouvementée au mouillage de Deshaies, puis sommes descendus, en grande partie à moteur et par calme plat, jusqu'aux Saintes, où nous avons découvert (a) que notre réservoir d'eau était vide et (b) que la réparation du guindeau n'avait pas tenu. Par bonheur, le quai des marins-pêcheurs du bourg de Terre-de-Haut, normalement réservé aux professionnels, nous a accueillis et ravitaillés.
C'est à ce moment que, constatant que nous n'avions plus de guindeau (donc des possibilités de mouillage bien réduites) et que de plus Azur commençait à être très fatiguée et impatiente du voyage, j'ai décidé d'imposer un retour immédiat "à la maison" au lieu des trois étapes prévues initialement. Une fois le premier choc passé, et calmées les inquiétudes face à la navigation de nuit, la bonne humeur est revenue et le goût de l'aventure nous a repris.
C'est sous l'éclairage dramatique d'un gros soleil rouge frôlant l'horizon que nous avons franchi la passe menant des derniers îlets des Saintes vers la Dominique, distante d'une quinzaine de milles. Tout-à-coup j'entends Marc crier: "Attention, épave devant!" qu'il corrige aussitôt par "Baleine! Baleine!"
L'apparence première de Jonas était en effet un peu ambiguë: une sorte de longue barre noire luisante flottant au ras de l'eau, juste au travers de notre route. Ce pouvait aussi bien être un grand canot renversé qu'une grosse pièce de bois détrempée. Il fallait quelques secondes pour constater que c'était vivant et que ça se déplaçait, lentement, par ses propres moyens.
Marc réduit les moteurs et nous nous arrêtons à peut-être 25 mètres du monstre, dont le dos arrondi et strié, avec son moignon d'aileron caractéristique, dépasse la longueur du Bum chromé. Si on ajoute la queue, actuellement invisible, le tout doit bien faire dans les 17-18 mètres, sinon plus! Belle bête.
Pendant une dizaine de minutes, nous en faisons le tour à vitesse réduite: on a l'impression qu'il nous observe lui aussi, ou bien qu'il pose pour la photo! Deux ou trois fois il lance des jets de vapeur vers l'avant, et puis il fait le dos rond et plonge comme au ralenti. La dernière vue que nous laisse notre ami Jonas est son énorme queue battant l'air, teintée des couleurs du soleil couchant.

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