22 avril 2010

Les Antilles snob du nord

(16 avril 2010) La remontée vers Statia avait débuté tout doucement le long de la côte sud-ouest de St. Kitts -- que nous avions visitée et trouvée sans grand intérêt il y a deux ou trois ans. Mais à mi-chemin de l'île, nous nous sentons brusquement soulevés par un fort vent de côté soufflant en rafales de 25, parfois 30 noeuds. Il y a tellement d'air que même en prenant un ris (raccourcissant les voiles), nous filons bientôt à plus de neuf noeuds, d'autant plus que la côte proche nous protège de toute houle importante.
C'est donc au bout d'à peine plus de trois heures, au lieu des cinq prévues, que nous contournons la dernière pointe sud de Statia pour mettre l'ancre devant le cimetière de la "capitale", Oranjestad. Celle-ci est à peine plus qu'une grosse bourgade nettement stratifiée en deux niveaux, le port et la haute-ville, reliés par deux côtes dont la plus abrupte a gardé le nom évocateur de "Slave Hill".
Tandis que nous préparons un repas à bord, Marc s'acquitte des formalités et revient nous informer qu'il n'y a pas grand-chose d'intéressant à voir à terre… et que Statia est une des rares îles des Antilles sans une seule plage digne de ce nom. Prometteur!
Comme de plus le mouillage est assez agité, c'est sans grand regret que nous hissons les voiles le lendemain matin pour piquer vers le nord et Saint-Martin. Le long trajet, en bonne partie contre le vent et mouillé de quelques averses, est tout de même assez rapide pour que dès 16 heures, nous contournions la "pointe aux Oiseaux" qui cache la baie de Marigot, capitale de la partie française de l'île (l'autre partie étant néerlandaise).
Bravo, qu'on se dit, on aura tout le temps de pénétrer de jour dans la curieuse et un peu déroutante mais confortable marina circulaire de Port Louis. Tu parles, Charles! Un vent de tête de 25 noeuds et une houle courte et hachée nous accueillent à l'entrée de la baie et ne nous lâchent plus, les moteurs nous traînant à guère plus de trois noeuds. Il faut donc une grande heure pour enfin pénétrer à l'abri du brise-lame en demi-lune, où nous découvrons que les pontons sont fort achalandés, notamment d'une vingtaine au moins de grands motor-yachts.
La place était presque vide la dernière fois, mais il faut dire que la marina venait alors d'ouvrir et n'avait même pas terminé ses aménagements.
Entre-temps, la capitainerie a fermé ses portes pour la nuit et plus personne n'est là pour nous accueillir et nous guider dans ce qui est déjà le crépuscule. Tant bien que mal, nous dénichons une place à quai. Un ou deux voisins compatissants (dont un jeune couple de Brésiliens) nous aident à nous amarrer convenablement le dos au ponton, dans un espace plutôt restreint. Une planche trouvée sur le quai nous sert de passerelle pour débarquer et aller manger un repas bien mérité dans un resto du centre-ville voisin.
Au matin, en nous inscrivant au bureau, nous découvrons que notre zone d'amarrage est consacrée aux bateaux américains, et donc que le voltage, les formats des prises de courant et des prises d'eau ne correspondent pas aux nôtres. Il faudra toute une journée pour que nous soyons enfin alimentés correctement. Et l'accès Internet, acheté à prix d'or -- il était gratuit jadis --, ne fonctionnera jamais à une vitesse acceptable.
Enfin, une vraie passerelle pliante de débarquement, gentiment signalée par un skipper, nous est refusée par la direction de la marina: "C'est une propriété privée, qui appartient à un autre bateau! Nous allons vous en fournir une autre." Avec un sourire un peu gêné, le préposé aux services nous revient une heure plus tard… avec la même passerelle. Mais cette fois c'est OK, puisqu'il s'agit d'un prêt "officiel". Allez donc comprendre la logique saint-martinoise.
La seconde journée au ponton est entrecoupée d'une belle série d'averses, qui perturbent sérieusement notre programme de shopping (quoi faire d'autre à Saint-Martin?) et de visite. Nous louons quand même une voiture pour descendre faire les courses dans un centre commercial "frontalier" solidement stocké, puis remonter luncher à "la Main à la Pâte", agréable et bon restaurant de bord de quai tenu par le plus hexagonal des Français. Vingt pas plus loin, Azur a le bonheur de trouver un marchand de journaux correctement fourni en publications françaises.
C'est donc le lendemain que nous partons en milieu de matinée pour une tournée dans le nord de l'île, creusé de jolies baies auxquelles leur vocation intensément touristique n'a quand même pas enlevé leur beauté, parfois à couper le souffle.
La balade, qui nous fait traverser au moins quatre fois la frontière franco-hollandaise zigzagante et toute virtuelle, se termine par un repas sans façon dans une recommandation du Routard, Ô Plongeoir, tout près de l'entrée de la marina.
Vu la date où nous sommes, la température plus ou moins clémente et une certaine fatigue avouée par Marie-José, nous jugeons préférable de renoncer à poursuivre vers les Îles Vierges, ce qui demanderait une semaine supplémentaire, et surtout au moins une très longue étape d'une centaine de milles, partiellement de nuit. À la place, nous en profiterons pour voir deux îles que nous ne connaissons pas, et nous arrêter de nouveau à Antigua au moment des Classic Regattas dont nous avions vu les impressionnants préparatifs la semaine dernière.
Jeudi midi, nous faisons donc escale à Saint-Barth, la plus huppée et une des plus petites des Antilles françaises. À l'entrée du port, assez encombré, nous sommes fascinés par une curieuse bête, moitié goélette, moitié multicoques. Nous apprendrons que le "Pilar Rossi" est la douce folie du coureur automobile Nelson Piquet, qui a transformé graduellement ce qui était un motor-yacht de 39 mètres en un super-voilier hybride de 64 mètres!
La chauffeure de taxi qui nous fait visiter s'empresse de nous pointer d'abord les centres commerciaux les plus cossus, puis les boutiques de luxe (Dior, Armani…) et enfin la résidence de Noureyev et celle de Johnny Hallyday, qu'elle prétend même apercevoir à la terrasse d'un café. Azur s'abstient de lui signaler que d'après le Paris-Match acheté la veille, le grand copain de Sarkozy est actuellement hospitalisé, en Algérie semble-t-il. Mais quoi? Il y en a bien qui voient encore Elvis déambuler dans les rues de Vegas!
Ce soir, dodo très hâtif, car il faut lever l'ancre au point du jour si nous voulons arriver avant la nuit à notre prochain étape, Barbuda. La première partie du trajet consiste à contourner le nord de Saint-Barth, ce que nous faisons par un vent de face combiné avec une houle très creusée. Heureusement, dès que nous mettons le cap vers le sud-est, la vitesse grimpe de quatre à huit noeuds, ne faiblissant que lorsque nous croisons des grains, assez fréquents.
Barbuda est une grande île coralienne, donc plate et sans le moindre relief (son "sommet" n'atteint pas les 60 mètres) mais bordée de magnifiques et interminables plages blanches, parfois même roses. Une bonne partie de l'intérieur est occupée par un immense lagon où vivent de multiples espèces d'oiseaux et d'animaux aquatiques. Le seul village, Codrington, dépasse à peine les 1200 habitants et n'offre même pas un port digne de ce nom.
Nous jetons l'ancre à l'extrême sud le long de Cocoa Point, le seul endroit relativement à l'abri de la brise de nord-est, qui n'a pas molli. Un mouillage "sauvage" s'il en est: avec trois autres bateaux, nous avons pour nous seuls une plage blonde longue d'une dizaine de kilomètres, que nous nous promettons de mettre à profit au matin.
Hélas, nous nous réveillons sous un ciel chargé de nuages sombres qui commencent à nous crever au-dessus de la tête dès le petit déjeuner. La baignade anticipée prend plutôt des airs de douche! Dans ces conditions, aussi bien lever les voiles et descendre illico vers Antigua, où un bon vent nous pousse de toute façon.

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