08 décembre 2015

Du suicide collectif comme mode de combat politique

Comme Français de (relativement) fraîche date, élevé dans une tradition électorale différente, je voudrais qu'on m'explique comment le fait de priver le quart de la France d'une représentation régionale de gauche pendant des années, laissant le champ libre à la droite et à l'extrême droite, va favoriser la démocratie.
D'une part, si on l'analyse sans parti pris, la stratégie du «front républicain» ne peut clairement fonctionner que si elle est réciproque et partagée — ce qui n'est explicitement pas le cas. Et que si les deux camps font preuve de bonne foi, ce qui est encore plus douteux ici. La preuve en avait été faite à la présidentielle de 2002, où la capitulation de la gauche en faveur de Chirac, soi-disant pour faire barrage à un Le Pen qui n'avait aucune chance d'être élu, avait ouvert à la droite un boulevard présidentiel qui s'est prolongé au profit de Nicolas Sarkozy.
D'autre part, rien ne dit qu'une telle stratégie, unilatérale, va fonctionner cette fois-ci. Au mieux, elle permettra à l'extrême-droite d'être encore plus fortement présente, quoique minoritaire, dans les instances des régions abandonnées par la gauche. Au pire, elle ne l'empêchera pas de gagner tout de même et de gérer les régions sans que les voix de la gauche puissent s'y faire entendre d'aucune façon. Ce qui est d'ailleurs l'issue la plus vraisemblable, vu l'évidente réticence d'un électorat déjà méfiant de son propre leadership à suivre des consignes de vote qui veulent l'obliger à plébisciter des personnages de droite qu'il déteste et méprise, non sans raison souvent.
De plus, cette approche empêchera les dirigeants locaux de la gauche de faire l'apprentissage du nouveau fonctionnement des régions élargies, et donc sera un sérieux handicap à leur reconquête par la suite. 
Enfin, plusieurs cas passés ont montré le danger qu'il y a à imposer de Paris une volonté contraire à celle de la gauche locale. Le cas Georges Frêche en Languedoc-Roussillon n'est quand même pas si ancien... et on se rappelle que l'affreux exclus avait été triomphalement réélu, avec l'appui majoritaire non seulement des électeurs de gauche, mais aussi des harkis qu'il avait soi-disant «insultés».
La mantra de «voter Républicain» est donc, dans les circonstances, ambiguë à la limite du bizarre. Elle ne peut mener qu'à un geste quichottesque dont l'effet à court terme est incertain et dont les répercussions à moyen et long terme seront visiblement négatives — notamment pour la présidentielle dans un an et demi.
 Elle a aussi pour effet de diaboliser un électorat de plus en plus vaste attiré par certains des thèmes de l'extrême-droite, privant ainsi la gauche de toute possibilité de s'adresser de façon crédible à cette clientèle pour lui faire comprendre que ses inquiétudes et ses difficultés peuvent trouver à gauche de meilleures réponses qu'à droite. D'autant plus que l'attitude électoraliste à tout prix de l'état-major sarkozyste et son acharnement à se rapprocher des positions du Front national dans l'espoir de limiter l'hémorragie de ses propres partisans et de séduire ceux de Marine Le Pen rendent plutôt académique la distinction que font Valls et cie entre une droite «légitime» et une qui ne l'est pas. Curieusement, J.-C. Cambadélis, patron du PS, l'avait parfaitement compris et exprimé dans une entrevue à la mi-septembre. Il a dû oublier...
Tout compte fait, le suicide collectif ne m'apparaît toujours pas comme une stratégie gagnante, en politique ou ailleurs.

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