12 octobre 2016

Merci, Mr. Trump!

C'est évidemment très jouissif de regarder une droite américaine rétrograde et nombriliste se déchirer à belles dents tandis que Hillary Clinton, première femme candidate d'un grand parti (mais également personnage bourré de snobisme, de roublardise et d'ambition et très mauvaise politicienne de campagne, ne l'oublions pas) vogue sans efforts vers une victoire plus large qu'elle ne pouvait jamais en avoir rêvé. Mais cela n'interdit pas de réfléchir aussi à la signification plus profonde et plus durable de cette très curieuse campagne présidentielle américaine.
En particulier, je soupçonne que tous les vrais progressistes, aux USA mais aussi ailleurs, vont avoir une grande dette de reconnaissance envers Donald Trump. Il ne l'a sans doute pas fait exprès, mais sa candidature hors norme — combinée à celle de Bernie Sanders, il faut le souligner — aura fortement contribué à faire voler en éclats le carcan hypocrite et paralysant d'un rigide bipartisme qui bloquait toute évolution constructive du système et de la mentalité politique à Washington. On peut désormais espérer qu'avec un peu de chance, de nouvelles possibilités d'expression et d'action vont germer sur les ruines d'un «Grand Old Party» Républicain qui ne mérite plus depuis longtemps ni son nom ni son label.
Ceci est d'autant plus vraisemblable qu'il se pourrait bien que les Démocrates aussi ne s'en sortent pas indemnes, même si leur triomphe est total et que leurs élus reprennent le contrôle du Sénat et de la Chambre, ce qui est de plus en plus envisageable. Les immenses attentes populistes (dans le bon sens du terme) soulevées par les succès imprévus de «Bernie» et le (timide) virage à gauche qu'ils ont imprimé au programme de Mme Clinton vont probablement être rapidement déçues par un establishment «libéral» qui ne prend jamais au sérieux des promesses n'ayant pour but que de s'assurer du pouvoir et qui va certainement, le couple Clinton en tête, rentrer au bercail de ses rapports privilégiés avec Wall Street et les bailleurs de fonds milliardaires. N'oublions pas que ce prévisible désenchantement populaire va suivre de près celui qu'avait ressenti l'électorat progressiste après l'élection de Barack Obama il y a huit ans et qui n'a que partiellement été apaisé par une fin de règne plus ouverte et plus sympathique. On peut imaginer qu'au sein même du parti,  et encore plus à sa périphérie, va s'élever une nouvelle génération d'activistes, et pourquoi pas d'élus, beaucoup moins gênés d'adopter des positions plus à gauche, maintenant que le sénateur du Vermont a crevé le «plafond de verre» qui interdisait même de prononcer le mot socialisme, d'imaginer des solutions solidaires et collectives à des problèmes collectifs et d'utiliser la force de l'État pour autre chose qu'écrabouiller des «ennemis» externes.
Ce mouvement pourrait être renforcé par des alliances circonstancielles à droite, avec la proportion assez importante des partisans de Donald Trump qui étaient séduits non par un programme incohérent et imprécis, mais par un discours anti-élitiste bien en résonance avec celui des «Bernistes». Les plus lucides de ces électeurs devraient avoir compris, à la lumière des scandaleuses péripéties des derniers jours, que les soi-disant principes libertariens et constitutionnalistes des diverses factions Républicaines ne faisaient que maquiller une soif éhontée de pouvoir, prête à toutes les compromissions (notamment celle de se boucher le nez pour appuyer un bouffon nauséabond comme Donald Trump) afin d'y accéder. Et donc que les défauts et les hypocrisies qu'ils reprochaient aux Démocrates étaient tout aussi présentes et aussi immorales dans leur propre camp.
Si cela se produit — et il n'est plus totalement absurde de l'imaginer — nous pourons avec raison dire «Merci, Mr. Trump»!

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