06 novembre 2016

Dans quel camp le changement?

J'ai plusieurs fois évoqué l'importance dans la phase des primaires américaines d'un vif désir de changement politique, aussi bien dans l'électorat démocrate (le «Bern» des partisans passionnés de Sanders) que républicain (le triomphe imprévu de Trump). Un changement dont on entend bien peu parler dans la phase finale... et quand c'est le cas, il n'est évoqué que par une seule voix: celle de Donald Trump lui-même.
Comment Hillary Clinton et son équipe ont-ils pu abandonner à leur adversaires ce thème qui traverse toute la campagne comme un puissant courant sous-marin, alors qu'il ne devrait en aucun cas jouer en faveur de M. Trump, qu'il est contraire à toute la tradition du conservatisme républicain et qu'il a été bien mieux incarné ces huit dernières années par une Présidence de Barack Obama qui, vers sa fin, est de plus en plus populaire?
a) M. Trump ne représente en rien le changement, sauf de la façon la plus superficielle. S'il ne fait pas partie, comme Mme Clinton, de l'establishment politicien du Beltway, il personnifie celui du monde des affaires, et particulièrement celui du secteur immobilier... qui a été le grand responsable de la Grande Récession de 2007-2010, coupable d'avoir appauvri la classe moyenne et mis en sérieux danger l'économie du pays. Il serait également le plus vieux Président américain jamais élu — alors qu'il n'a aucune expérience politique! Et la plupart de ses propositions (quand elles sont concrètes et compréhensibles) sont soit tournées vers le passé, soit mal vues de sa clientèle républicaine.
b) Les Républicains sont essentiellement le parti du statu quo, du traditionnalisme social et économique, de l'interprétation littérale d'une constitution datant de 225 ans, du déni du réchauffement global et de la nécessité de protéger la planète, de l'opposition au mariage gai, à l'assurance-santé universelle, au droit des femmes de disposer de leur corps, etc. Tout «changement» qu'ils défendent est essentiellemnt réactionnaire, un retour vers l'Amérique des années 1950.
c) Rien dans la politique américaine, au moins depuis l'ère Kennedy, n'a mieux exprimé un véritable changement que l'élection de Barack Obama en 2008, notamment avec sa mesure-phare de l'«Obamacare» qui a ouvert la porte à un système de santé universel imparfait, sans doute, mais nettement supérieur à tout ce qui a existé précédemment. Changement dans la méthode de lutte contre la crise économique, en privilégiant la relance et l'investissement public plutôt que l'austérité comme l'ont fait l'Europe et la plupart des autres États, et cela malgré la violente résistance des Républicains qui contrôlaient le Congrès. Changement enfin dans le style même de la Présidence, plus spontané, plus ouvert, plus «populaire» dans le meilleur sens du terme. En proposant la prolongation de l'ère Obama, ce que Mme Clinton offre n'est pas une continuité statique, mais (du moins on l'espère) la poursuite des changements déjà en cours, surtout si elle est sincère en s'engageant à réaliser dans la politique et dans l'économie certaines des mesures les plus progressistes réclamées par Sanders et ses partisans.
Que Mme Clinton soit incapable de voir ces trois évidences et d'en tirer profit en dit malheureusement beaucoup sur sa propre myopie quant aux véritables attentes de son électorat et sur le traditionnalisme de sa mentalité, qu'elle soit ou non de centre-gauche.

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