09 février 2017

Un peu d'arithmétique électorale

Après la surprise Hamon et la tempête Fillon, les choses commencent à se tasser en France. Sans qu'on puisse parler de tendance stable (la campagne présidentielle est encore jeune), les positions dans le peloton semblent se préciser, du moins pour le premier tour, si on se fie aux deux ou trois sondages concordants publiés cette semaine. Amusons-nous un moment à jongler avec les chiffres qui en ressortent.
Marine Le Pen est assez solidement en tête, entre 24 et 27%, mais son potentiel de croissance est pratiquement zéro à moins que les appuis à la droite «dure» de François Fillon ne s'écroulent, ce qui ne paraît pas devoir être le cas: malgré ses déboires, il est fermement installé au 3e rang avec entre 17 et 19%.
Emmanuel Macron, 2e autour de 21%, a l'air de tenir bon mais il est clair que sa progression a cessé; la «grande migration» qu'il espérait de la droite du PS et de la gauche de LR ne s'est pas produite et elle est de moins en moins probable, tandis que sa force d'attraction auprès de la clientèle du FN est négligeable. 
Les 4e et 5e positions aussi sont plus ou moins gelées: Benoit Hamon autour de 15% et Jean-Luc Mélenchon à 11-12%. L'hémorragie au PS est clairement stoppée, à gauche comme à droite, et le programme nettement progressiste mais plus audacieux et plus «moderne» de Hamon peut rebuter les élëphants, mais il capte les jeunes et tente visiblement la gauche de la gauche, en particulier les communistes qui n'ont pas de «vrai» candidat et dont l'adhésion à Mélenchon est plutôt réticente.
Dans ce paysage, spécialement depuis que Fillon est parvenu à scotcher la droite classique à ses basques pour le meilleur et (surtout) pour le pire, on a l'impression que presque rien ne peut bouger. Mais ce «presque» est important: le seul mouvement significatif envisageable, une alliance des deux principales fractions de la gauche, se ferait pratiquement sans perte de voix: on voit difficilement les partisans de Mélenchon aller ailleurs que chez Hamon et vice-versa, même si les sondages indiquent que ces deux électorats sont relativement fluides. La même chose est vraie de la portion congrue (2-3%) qu'il reste aux Verts. Alors qu'il n'existe pas de «vases communicants» de ce genre à droite.
Par ailleurs, un facteur dont je constate que la plupart des analystes ne tiennent pas compte, c'est que la progression de Hamon n'est pas seulement un effet d'«après-primaire», elle est réelle car fondée non sur des consignes venues d'en haut et des ralliements de l'appareil (après tout, il s'agit d'un dissident et d'un trouble-fête), mais sur un mouvement spontané de la base. Associé à la clientèle assez militante de France Insoumise, cela donnerait donc une gauche réunie et dynamisée faisant au moins jeu égal avec Marine Le Pen, avec 26 à 30% au premier tour, face à une droite divisée avec peu de chaces de se rabibocher dans les deux mois qui viennent et à un centre plutôt mou.
Dans de telles cironstances, le second tour devrait être nettement à l'avantage d'un candidat unique de la gauche, qui profiterait au moins minimalement d'un «front républicain» anti-Le Pen auquel seraient contraints les chefs des LR sous peine d'un véritable suicide politique — je conjecture avec une quasi-certitude que toute autre stratégie aurait pour effet de sabrer dans leur majorité à l'Assemblée et au Sénat et dans leur contrôle des régions, après avoir déjà perdu l'Élysée. Alors qu'en appuyant la larme à l'oeil et la main sur le coeur un Président de gauche, ils auraient une bonne chance de conserver ces contre-pouvoirs.
La grande question est donc: la gauche sera-t-elle assez mature et assez réaliste pour saisir une occasion dont elle ne rêvait même pas il y a deux mois? C'est hélas moins évident qu'on pourrait le croire, tant les rancunes internes, les vanités personnelles et les désaccords idéologiques (souvent sans réelle signification, d'ailleurs) y nuisent à la lucidité. Et il faut faire relativement vite, sinon les appuis à Emmanuel Macron pourraient en se solidifiant lui donner des allures de vainqueur ultime, un argument bien plus fort que son nébuleux programme et son sourire enjôleur pour toute une mouvance de centre-gauche et de centre-droit avide de pouvoir à tout prix.

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