07 mars 2018

Viser les bonnes cibles?

Je crois que dans plusieurs cas, les critiques de Donald Trump se trompent de cibles. Et ses partisans aussi. Je tente ci-dessous une relecture en ce sens de quatre thèmes majeurs des reproches que l'on fait au Président américain.

1. La Personnalité
Accuser Donald Trump de mensonge et d'incohérence est une perte de temps. Bien sûr, il ment sans le moindre scrupule ni remords. Bien sûr, il part dans toutes les directions sans la moindre logique. Mais ses électeurs le savent très bien et s'en fichent totalement: ils sont probablement même heureux d'avoir enfin un Président imparfait, qui mène sa vie et le pays comme ils le font eux-mêmes, à coups de tête et de subites volte-faces, en disant ou «tweetant» ce qui lui passe par la tête, quitte à se contredire dix minutes plus tard.
La même chose est vraie de ses vantardises, de sa roublardise, de son machisme flagrant et de ses poussées (inconstantes, mais réelles et relativement fréquentes) de racisme. Au lieu d'insister d'un ton moralisateur et sans résultat sur les défauts de caractère eux-mêmes, il faudrait démontrer plus clairement les retombées négatives qu'ils ont sur le moral et l'évolution du pays et de la société. Ce n'est qu'à ce niveau que le Président américain est vraiment vulnérable.

2. Le Fonctionnement de la Maison Blanche
De même, reprocher à Donald Trump son népotisme et son comportement brouillon et à son équipe son manque d'expérience politique et sa manière anarchique de gérer les affaires publiques néglige deux réalités pourtant évidentes: le Président a été élu non pour assurer la continuité, mais pour brasser la cage et exercer ses fonctions autrement que ses prédécesseurs, aussi bien Républicains que Démocrates; et le vrai problème est non pas le style de gestion, mais la médiocrité des résultats.
Évidemment, le chaos permanent à la tête de l'État a quelques chose d'inquiétant, qui exaspère visiblement journalistes et commentateurs habitués à plus de régularité et de constance. Mais tant qu'une partie de l'électorat aura l'impression que cela produit des effets positifs, cette critique sera sans conséquence. Il serait bien plus pertinent de faire la preuve que ces effets sont un trompe-l'oeil qui masque assez habilement de profondes lacunes dans la vision et dans l'approche de l'exécutif américain face à un ensemble de réalités nouvelles. 
Dans la protection de l'environnement, dans l'évolution du marché de l'emploi face aux ruptures causées par les progrès technologiques, dans la solution du problème complexe et crucial de l'immigration et dans la nécessaire rénovation des infrastructures, en plus d'un an au pouvoir, M. Trump soit n'a obtenu aucun résultat tangible, soit a nagé dangereusement à contre-courant. Ses deux seules «réussites», une baisse des impôts qui favorise fortement les riches en appauvrissant l'État et la nomination systématique de magistrats réactionnaires aux plus hauts niveaux des tribunaux du pays, sont pour le moins contestables. Quant à son action dans les affaires internationales, elle est incohérente... mais ce n'est généralement pas là un thème qui passionne l'électorat américain, sauf lorsqu'il se sent menacé par un «ennemi» réel ou inventé.

3. Le Malentendu républicain
Parce que Donald Trump a été élu sous la bannière du Parti républicain, à tendance nettement conservatrice, les commentateurs (et les Républicains eux-mêmes) ont tendance à croire qu'il est lui-même conservateur et soucieux de réaliser le programme du parti. La réalité est tout autre. Trump n'a ni ligne idéologique cohérente, ni adhésion ferme à un parti quel qu'il soit. Il a été longtemps apolitique, puis Démocrate plutôt de droite; il est devenu Républicain par pur opportunisme, parce que c'était la seule option qui lui donnait des chances de se faire élire et qu'il avait instinctivement perçu un vide de leadership à la tête du GOP après les épisodes des Bush père et fils et d'un John McCain vieillissant et malade.
Quant à sa pensée, elle n'a aucune permanence mais comporte un curieux, souvent contradictoire mélange d'intuitions personnelles fortement influençables et de lectures primaires de l'opinion publique; elle va donc fluctuer sans cesse au gré d'une part de ses rencontres avec des «penseurs» le plus souvent iconoclastes et simplistes (Steve Bannon, Michael Flynn) et d'autre part des courbes de sondages. La résultante est un salmigondis d'idées de droite et d'extrême-droite et de projets populistes favorisant les petites entreprises et même les classes ouvrières. Il est clair que le «mainstream» du Parti républicain s'y reconnaît de moins en moins et commence à douter que le Président ait réellement l'intention de réaliser son programme — sauf là où cela peut contribuer à le faire réélire.

4. L'Enquête Mueller
Le procureur spécial Robert Mueller est en principe chargé de déterminer l'étendue et les responsables de l'intrusion du Kremlin dans le processus électoral américain en 2016, et plus particulièrement les liens entre l'équipe de campagne de Donald Trump et les agents russes qui ont mené cette opération. Il faut souligner que cette démarche a lieu en parallèle avec des investigations menées par des commissions de la Chambre des représentants et du Sénat, toutes deux contrôlées par le parti présidentiel et donc procédant avec une forte réticence.
Dans un premier temps, l'enquête a démontré clairement la réalité de l'intervention russe pour déstabiliser la candidate démocrate Hillary Clinton et donc favoriser l'élection de Donald Trump. Même les plus féroces partisans du Président l'admettent aujourd'hui. Là où il y a désaccord, c'est sur le rôle joué par son entourage immédiat. Y a-t-il eu «collusion» ou complicité consciente? M. Trump et ses défenseurs affirment que non... et il est vraisemblable qu'ils ont raison. Non pas que l'alors candidat républicain ait fait preuve de clairvoyance et de patriotisme, mais simplement parce que son organisation de campagne était beaucoup trop sommaire et brouillonne, sans structure de commande ni capacité de planification discrète et subtile, pour lui permettre de mener pareille opération en collaboration avec des agents étrangers sans que cela soit immédiatement ébruité.
Il est probable que le procureur spécial en est déjà arrivé à cette conclusion; c'est ce qui expliquerait la stratégie qu'il a adoptée et qui semble dérouter beaucoup d'observateurs. Habile manoeuvrier, M. Mueller sonde systématiquement les points faibles de l'entourage immédiat de Donald Trump, à la recherche de leviers (souvent dans des dossiers qui n'ont rien à voir avec l'élection de 2016) qui lui permettront de faire pression et d'obtenir des aveux non pas de collusion ou de complot, mais de manipulations dont les proches du Président auront été victimes de la part des agents du Kremlin. De telles admissions (par exemple de la part du fils et du gendre du Président) pourraient mener à des accusations de complicité plus ou moins involontaire avec une puissance étrangère pour fausser le fonctionnement de la démocratie américaine.
Cette conclusion serait peut-être insuffisante pour déclencher un processus de destitution de Donald Trump, mais elle réduirait considérablement ses capacités d'action (et de nuisance) d'ici la fin de son premier mandat et poserait un obstacle majeur à sa réélection en 2020. Il me paraît assez vraisemblable que c'est vers un tel objectif que s'oriente aujourd'hui le procureur Robert Mueller.

Aucun commentaire: