10 juin 2020

Démos et Élites

Une correspondante du forum freeDiEM25 sur Facebook a articulé récemment une remise en question radicale (dans le meilleur sens du terme) de ce qu'est le mouvement DiEM25 (et la gauche), ce qu'ils devraient être et ce qu'ils sont devenus en fait. Les réactions de certains membres du groupe m'encouragent à développer un thème apparenté – celui de la relation entre Démos et élites.
Bien sûr, tout mouvement progressiste, en particulier au 21e siècle, doit prendre racine dans la base populaire - et la plupart de ceux qui ont eu au moins un certain impact dans la dernière décennie ont satisfait à cette condition, qu'il s'agisse des Printemps arabes tunisien et égyptien, des Indignés espagnols, des Américains d'Occupy Wall Street, des Carrés Rouges du Québec, des Français de Nuits Debout puis des Gilets Jaunes...
Mais il faut admettre qu'ils ont presque tous fini par bafouiller et s'effacer sans obtenir de résultats pratiques, sauf parfois sur des revendications locales spécifiques. Nous devons nous demander pourquoi et ce qui peut être fait à ce sujet.
Ma propre explication, que j'avoue sujette à débat, est que ces succès limités ont deux causes principales: l’absence d’un cadre idéologique solide offrant de l’espoir et des réponses positives cohérentes (pour prolonger des protestations essentiellement négatives et critiques), et l’absence de structure durable pour coordonner l'action et regrouper les sujets de plainte restreints en demandes plus larges répondant à des besoins plus généraux.
Dans les deux cas, un facteur commun semble avoir été la faiblesse ou l'inexistence d'un lien organique et consensuel entre les peuples et les élites intellectuelles. Il est évident que le progrès social doit être basé sur les besoins et les problèmes de la masse des gens. Mais quelqu'un, à un moment donné, doit intervenir pour les articuler en un programme clair, attrayant et convaincant, orienté vers une action efficace, et quelqu'un (d'autre, probablement) doit concevoir les moyens de diffuser ce programme et de le concrétiser. Et ce sont là des tâches qui nécessitent à la fois un talent et une expertise que l'on ne peut pas espérer voir apparaître par lui-même dans la masse contestataire.
Hélas, l'expérience passée de la gauche n'est pas d'une grande utilité ici: ses élites ont été conçues et développées dans un contexte très différent, le 19e et le début du 20e siècle, où une majorité écrasante du peuple se composait de travailleurs illettrés, mal payés ou de paysans misérables; de plus, une grande partie de l'action progressiste devait se faire clandestinement, hors de la vue de gouvernements tyranniques. La nécessité d'une direction compacte instruite et bien entraînée («l'avant-garde du prolétariat») pour dicter des slogans et des actions directes était donc très logique, ce qui n'est plus le cas dans la plupart des pays «avancés».
D'un autre côté, le besoin d'expertise demeure (et a probablement même augmenté dans notre société beaucoup plus technique), mais il doit être dissocié de celui des commandements autoritaires, car les peuples dans leur ensemble sont beaucoup mieux éduqués, mieux informés, et aussi beaucoup plus hétérogènes que lors des siècles passés. Cela suggère un besoin nouveau et urgent de compenser l'orientation positive «de bas en haut» des gauches au 21e siècle par la constitution d'un lien efficace entre les Démos et les différentes «élites» de spécialistes qui peuvent, dans un esprit coopératif et égalitaire, montrer la voie vers les meilleures idées, les meilleures techniques de propagande et de publicité, les meilleurs modes d'action pour atteindre des objectifs sociaux pertinents au profit de tous.

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