08 novembre 2020

Une «victoire» à prendre avec un grain de sel?

Pour mieux évaluer ce qui se passe aux États-Unis, il faut savoir que les élections américaines ne sont jamais une affaire de changement majeur d'orientation mais plutôt un choix entre deux équipes généralement similaires de «managers» de centre et de centre-droit, avec de légères différences de pensée et de sincérité.  C'était vrai pour Trump, c'est maintenant vrai pour Biden ... et c'était presque aussi vrai avant pour Barack Obama.  

Tant que le pays restera obsédé par le profit à tout prix, l'individualisme féroce, la vénération pour une Constitution vieille de 230 ans et un système bipartite oligarchique, il y aura peu d'ouverture pour de réels progrès politiques. Tel est le contexte de toute la discussion actuelle sur le résultat; les progressistes peuvent pousser un soupir de soulagement, ils n'ont pas de quoi pavoiser.  

Mais ce n'est pas une raison pour verser de l'huile sur le feu et attiser la méfiance et les troubles sociaux en répandant des rumeurs trompeuses sur l'honnêteté du scrutin ou en les accréditant - la tentation de certains gauchistes de pratiquer une "politique du pire" fonctionne rarement, elle ne l'a jamais fait dans une société aussi rigidement butée dans sa division que celle des États-Unis aujourd'hui.  De toute façon, la réélection de Trump n'aurait certainement pas amélioré les choses pour les peuples, que ce soit aux États-Unis ou dans le monde en général.

J'ajouterai que contrairement à ce qui se dit dans les médias, la «vague bleue» promise par Biden s'est bien produite: il a obtenu près de 10 millions de voix de plus que Hillary Clinton en 2016, soit environ 14% – c'est énorme. Ce que personne n'avait prévu, c'est que Trump a également réussi à galvaniser sa propre base à un niveau imprévu et inédit: la répudiation de ses attitudes et de ses actions n'a touché qu'une faible majorité de la population, répartie très inégalement sur le territoire. 

L'explication que j'y vois est que comme cela s'était produit au moment de la perte d'hégémonie de l'Angleterre avant et surtout après la 2e Guerre mondiale, une importante proportion des citoyens yankees se réfugient dans un repli passéiste et réactionnaire (parfaitement incarné par Donald Trump) plutôt que de faire face objectivement à une nouvelle réalité géopolitique désagréable. La pandémie de la Covid-19, suivant de près l'éclatement de la bulle Internet d'il y a vingt ans, la catastrophe financière des «subprimes» de 2008 et la prise de conscience de la crise écologique, ne  fait qu'accentuer un «déclin de l'Empire américain» que de plus en plus de peuples de la planète se sont mis à souhaiter plus ou moins consciemment, au grand dam des premiers concernés. La poussée constante de la Chine, le maintien tant bien que mal d'un bloc européen relativement riche et cohérent, le retour des ambitions russes et l'échec de l'Occident à éliminer la menace islamiste laissent peu de place au doute à ce sujet.

J'ajouterai un indice supplémentaire: Trump et ses acolytes ont réussi à susciter dans une partie de la population une peur panique d'une montée en force du «socialisme» dans le pays... alors qu'il n'y a en tout et pour tout que deux socialistes avoués sur 535 membres au Congrès: Bernie Sanders au Sénat et Alexandria Ocasio Cortez à la Chambre! 

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