13 mars 2022

Le Facteur Xi

 Je me demande à quel point Joe Biden et Vladimir Poutine se rendent compte qu’ils sont actuellement des partenaires bien involontaires mais très utiles dans la campagne de la Chine pour devenir la première puissance de la planète. À leurs dépens, bien sûr!

Considérez seulement les faits suivants:

  • Poutine fait l’impossible pour se rendre impopulaire, sinon carrément haï, dans la plupart des régions du monde, en particulier chez tous les peuples d’Asie, d’Afrique, du Monde arabe et d’Amérique latine dont les populations ont connu des invasions, des guerres civiles, des vagues terroristes avec leurs cortèges de privations, de destructions et d’exodes.
  • En même temps, il appauvrit considérablement son propre pays, en particulier la clique d’oligarques qui formaient jusqu’ici l’avant-garde de ses efforts pour regagner de l’influence à l’étranger.
  • Enfin, il suscite chez la quasi-totalité de ses voisins une méfiance terrifiée qui va les pousser à s’en tenir le plus loin possible plutôt que de s’en rapprocher. Sa sphère d’influence européenne a tout d’une peau de chagrin… littéralement!
  • Pour sa part, son «complice involontaire» yankee complète malgré lui le sale boulot commencé par Donald Trump d’affaiblir ou du moins de rendre inefficace le réseau d’alliances stratégiques sur lequel Washington avait bâti depuis les guerres de Corée et du Vietnam une «pax americana» sans doute boiteuse et inégalitaire, mais qui faisait l’affaire même des pires américanophobes. 
  • Son constat d’impuissance devant le bras-de-fer du Kremlin s’ajoute à une combinaison d’inflation et de sabotage de la croissance économique qui non seulement rétrécit l’influence américaine sur le monde, mais risque de conforter la tendance nationale, bien identifiée et nourrie par son prédécesseur, à un isolationnisme de plus en plus frileux, malgré le «mondialisme» de son discours.
  • Pendant ce temps, Xi Jinping, sans le moindre état d’âme, joue la carte d’une hypocrite neutralité (il n’aime sûrement pas plus le Kremlin que la Maison blanche) qui encourage ses deux principaux rivaux sur la scène mondiale à se déchirer et à se nuire mutuellement.
  • Il peut donc en profiter pour d’une part consolider son emprise sur l’Empire du Milieu – qui risque de le redevenir plus que jamais – et d’autre part étendre son influence sur précisément les régions du monde où Poutine réussit si bien à se faire détester… et Biden à se faire oublier. Tout en se rendant économiquement indispensable dans la plupart des autres.
  • Pour cela, il n’est pas interdit d’imaginer que la Chine, dont l’économie connaissait récemment des flottements, peut très bien retrouver une robuste croissance post-pandémique: elle a moins souffert que le reste du monde d’un coronavirus pourtant né chez elle, elle ne participe pas au jeu des sanctions et des privations volontaires pro-ukrainiennes, enfin en bonne partie autosuffisante dans bien des secteurs cruciaux, elle aura l’occasion de continuer à vendre à leur prix actuel déjà concurrentiel et profitable des produits qu’un monde harassé par une hausse constante du coût de la vie ne pourra pas s’empêcher de lui acheter.

Bien sûr, un tas d'imprévus peuvent survenir dans le proche avenir pour réduire la puissance de ce Facteur Xi, mais il est certain que les diverses composantes de la tendance qui le favorise ont de quoi inquiéter tous ceux qui ne sont pas convaincus que le leadership actuel de Beijing fait toujours preuve du même relatif pacifisme à la fois inquiet et un peu hautain que ses prédécesseurs des trois derniers millénaires…

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