22 mars 2022

Les ingrédients d’une Poutine… gagnante?

Que nous le voulions ou non, l’issue de la crise ukrainienne repose plus sur ce que fera (ou ne fera pas) Vladimir Poutine que sur toute initiative de l’Otan, de l’Union européenne, de la Maison blanche ou même de la Chine. C’est cette perception qui explique pourquoi je viens de passer une bonne portion des dernières journées à me renseigner (aux sources les plus diverses possible) en détail sur l’homme, sur sa carrrière, sur son entourage et sur ce que cela nous révèle de son comportement le plus vraisemblable.

Premier constat, Poutine n’est pas un Adolf Hiler, il en est même sur plusieurs points le repoussoir: ni fanatique, ni hystérique, ni passionné. C’est un homme froid, calculateur, mesuré, réaliste. Mais il partage avec le maître du 3e Reich deux caractéristiques qui peuvent être inquiétantes: Un égocentrisme ambitieux, dévorant et la phobie d’avoir tort. Lui non plus n’écoute personne de son entourage immédiat, et lui aussi peut être envahi d’une crise de rage en se rendant compte que ses manoeuvres ont échoué. Sauf que sa rage à lui sera non pas aveugle, mais froide et calculée, donc encore plus dangereuse. Et sauf que contrairement à Hitler, il écoutera plus attentivement ses ennemis que ses amis.

Deuxième constat, il n’agit jamais par instinct, toujours par calcul. Cela peut être inquiétant par manque d’humanité, mais cela garantit pratiquement qu’il ne fera jamais un geste purement suicidaire: ses pires actions lui réserveront toujours une porte de sortie. Si jamais le Kremlin déclenche l’holocauste nucléaire, je suis paradoxalement convaincu que cela ne viendra pas de lui, peu importe ce qu’il tente de nous faire croire. Le doigt sur le bouton rouge? Un pur coup de pub.

Troisième constat: c’est un bluffeur, avec toutes les qualités et les vices de l’espèce – et croyez-moi, en tant qu’ex-joueur compulsif (trois ans chez les Gambleurs Anonymes, c’est pas rien), c’est une espèce que je connais bien et que je sais reconnaître d’un coup d’oeil. Comme tout vrai bluffeur, il sait voir quand il est battu, et ménager sa mise pour la prochaine chance. ‘Going all out’ sans espoir de retour, c’est pas lui.

Quatrième constat: c’est un gagnant, et il veut le rester. Toute sa carrière est une succession de réussites, de bonds en avant, même face à des contextes plutôt sombres: il s’est bien tiré de l’écroulement de l’empire soviétique, il a survolé une réunification allemande qui aurait dû l’enterrer (il était alors en poste à Berlin-Est), il a profité de la descente aux enfers de son mentor Boris Yeltsine, alors qu’il aurait dû sombrer avec lui. S’il peut voir, ou si on lui offre, une porte de sortie qui lui donnera l’occasion d’une autre ronde plus favorable, il voudra la prendre.

Cinquième constat: il vieillit. Les virtuoses de la haute voltige dans son style vivent rarement très vieux, et je soupçonne qu’il en est conscient, même s'il semble en très bonne condition pour un quasi-septuagénaire. Les pressions auxquelles il faut résister, les sursauts d’énergie qu’exigent ses coups de bluff et ses volte-faces vont forcément entamer sa durée de vie… et le réaliste qu’il est doit en tenir compte dans ses calculs les plus objectifs. 

Tout cela ne nous dit pas comment faire pour trouver une solution. Mais cela nous montre au moins ce qu’il ne faut pas faire. Il ne faut surtout pas le salir dans l’opinion mondiale à tel point que son orgueil l’emporte sur son bon sens (voyez comment il a réagi au ‘criminel de guerre’ dont l’a stigmatisé Biden). Il ne faut pas l’acculer dans un coin d’où il me trouvera aucune issue: l’image du rat pris au piège est particulièrement pertinente dans son cas. 

Pour avoir moi-même négocié – comme représentant syndical jadis, plus récemment comme patron de PME – , je pense qu’il ne faut surtout pas le prendre pour un imbécile et lui servir dans le huis-clos des pourparlers des arguments qui ne valent que face à l’opinion publique. Mieux vaut attaquer de face avec une certaines franchise les points de conflit et les réalités de terrain, et indiquer discrètement les avenues par lesquelles il peut sauver la face tout en cédant sérieusement sur le fond.

Je ne suis pas sûr d’avoir raison sur tout ceci, mais ça me paraît un point de départ vraisemblable pour discuter de la façon d’éviter le pire.

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