14 mars 2023

Un «laboratoire» démocratique?

La crise de la réforme des retraites en France refait du pays ce qu’il a plusieurs fois été par le passé: un lieu central d’exploration de l’avenir de la politique pas seulement de son propre continent, mais de la planète. À ce titre, elle devrait concentrer sur elle-même l’attention du monde entier, même au-delà de crises comme l’Ukraine, l’environnement et la faillite des banques américaines. 

Elle met en évidence trois thématiques cruciales pour l’évolution du 21e siècle:

A) L’hypocrisie de notre démocratie.

B) La superficialité du jeu politique tel que nous le concevons.

C) Le problème crucial que constitue une probable atrophie de l’emploi salarié.


Retraite et emploi

Commençons par la fin: la «réforme» concoctée par les esprits myopes et rétrogrades d’Emmanuel Macron et de son entourage ne peut en rien résoudre le problème bien réel qu’elle cible. Peu importe quelles qu’en soient les causes, la tendance inexorable de l’emploi est vers une atrophie de la masse de travailleurs salariés et une croissance de celle des adultes qui ne tirent aucun revenu de l’économie de production. En l’espace d’à peine plus d’une génération, les pays industrialisés sont passés d’une ratio d’environ 5/1 à moins de 2/1, et rien n’indique que cette régression va s’arrêter, encore moins s’inverser. En d’autres termes, n’importe quelle approche qui cherche à perpétuer le financement de la survie des non-travailleurs par ceux qui continuent à toucher un salaire est condamnée d’avance à l’injustice et à l’inefficacité. 

Oui, une réforme des retraites est inévitable, mais non, elle ne peut en aucun cas continuer sur la voie des «retraites par répartition» à laquelle non seulement Macron et sa bande, mais une majorité de son opposition semblent s’accrocher non par logique, mais par pur respect de la tradition. Donc, tout le débat en cours est non seulement hors-sujet, mais il bloque toute tentative pour aborder la réalité d’un problème crucial. Une réflexion objective sur la situation tend à rejeter l’alternative des «retraites par capitalisation» qui ne peuvent qu’accentuer les clivages sociaux-économiques dans la population et un climat général d’insécurité en les rendant directement dépendantes de l’évolution en montagnes russes de l’économie. 

La troisième option la plus vraisemblable, celle de l’instauration d’un Revenu Universel Garanti qui remplacerait non seulement les retraites, mais la plupart des mesures de redistribution de la richesse commune, paraît souhaitable mais implique des modifications radicales dans l’économie qui seront difficiles à avaler pour nos élites rapaces et profondément capitalistes. Existe-t-il une quatrième voie? J’aimerais bien le savoir… et c’est une des questions auxquelles le débat actuel n’offre aucune réponse.


Le jeu politique

Depuis deux semaines au moins, l’essentiel du débat public sur la réforme se concentre non sur le fond de la question, mais sur la mesure de la force relative des mouvements syndicaux et citoyens face à ceux d’une élite (Présidence, Gouvernement et instances parlementaires – Assemblée et Sénat). Comme si c’était là l’effet d’une joute sportive entre le Paris Saint-Germain et le Real Madrid ou le Manchester United. 

Non, la démocratie n’est pas un jeu de foot. C’est un des fondements de la civilisation dans laquelle nous prospérons depuis plus de deux millénaires, et il est excessivement risqué d’en faire l’enjeu d’un affrontement ludique. Et c’est là, précisément, l’effet inévitable de l’approche «démocratie représentative» que nous avons adoptée, laquelle implique un affrontement «sportif» entre des partis opposés constituant une oligarchie politique de fait.

Il ne suffit pas de donner un coup de chapeau à la notion de «pouvoir du peuple». Il faut accepter, ce qui est beaucoup plus difficile pour la gauche autant que pour la droite, celle de «confiance au peuple»… et donc d’un méfiance bien méritée à l’égard des élites.


Une démocratie tromple-l’oeil

Le pouvoir du peuple et son opinion doivent être plus que la fiction qu’en fait notre simulacre de démocratie. Il faut non seulement rendre aux affrontements politiques leur signification réelle, mais en rendre consciente la masse des citoyens, actuellement réduits par la mécanique électorale au rôle de simples spectateurs. 

Le régime date d’une époque où la grande majorité des votants étaient analphabètes et mal informés. Cela se comprend, et cela explique la nature de la plupart des rouages existants de la mécanique électorale. Faire d’une petite élite bourgeoise instruite et prospère le siège et le garant d’un gouvernement compétent pour le pays et responsable du bien-être de la majorité, dans une perspective «démocratique» bienveillante, était sans doute réaliste au 18e et 19e siècles.

Mais cela ne l’est plus. La seule vraie raison pour laquelle nos gouvernants actuels continuent à souscrire à cette vision est un égocentrisme hypocrite. Le citoyen moyen des pays industrialisés a accès à une qualité d’éducation et peut consulter des sources d’information factuelle entièrement comparables à celles qui sont accessibles aux élus (peu importe qu'il en profite vraiment). La réduction du temps de travail lui donne certainement le loisir nécessaire pour en prendre avantage. Reste à lui en donner l’envie, ce qui ne peut se faire qu’en le convainquant que son opinion a du poids sur les évènements.

C’est pourquoi il importe de repenser radicalement la vision que nous avons de la démocratie, avant que des élites rapaces et myopes ne nous mènent à une catastrophe planétaire que seule une prise réelle du pouvoir par les citoyens peut vraiment éviter.

2 commentaires:

Unknown a dit...


Je prend le coeur de ton argumentation
-Le citoyen moyen des pays industrialisés possède une qualité d’éducation et peut accéder à des sources d’information factuelle entièrement comparables à celles qui sont accessibles aux élus. La réduction du temps de travail lui donne certainement le loisir nécessaire pour en prendre connaissance. Reste à lui en donner l’envie, ce qui ne peut se faire qu’en le convainquant que son opinion a du poids sur les évènements.-

Je te rappelle d'abord les taux d'analphabétisme fonctionnel, incapacité de comprendre un texte complexe. Autour de 50% dans les pays développés. Il faut donc dire: la moitié des gens peuvent accéder à des sources d'information factuelle entièrement comparables ...
Quand à la vertu du peuple qui serait supérieure à celle de ses dirigeants je te rappellerai que plusieurs sondages un peu partout révèlent que le peuple serait plutôt pour la peine de mort.
MAIS ça ne change rien à la nécessité du combat contre les inégalités et le fait que les élites tendent à vouloir conserver leur part de richesse inéquitable. À cet égard je ne peux m'empecher de penser que la liberté et l'égalité des citoyens était meilleure au vingtième siècle qu'au dix-neuvième où elle était déjà meilleure qu'au dix-huitième. En ces matières on est toujours coupables d'idéalisme ou de de paresse.

Unknown a dit...

Michel Lacombe a dit

Je prend le coeur de ton argumentation
-Le citoyen moyen des pays industrialisés possède une qualité d’éducation et peut accéder à des sources d’information factuelle entièrement comparables à celles qui sont accessibles aux élus. La réduction du temps de travail lui donne certainement le loisir nécessaire pour en prendre connaissance. Reste à lui en donner l’envie, ce qui ne peut se faire qu’en le convainquant que son opinion a du poids sur les évènements.-

Je te rappelle d'abord les taux d'analphabétisme fonctionnel, incapacité de comprendre un texte complexe. Autour de 50% dans les pays développés. Il faut donc dire: la moitié des gens peuvent accéder à des sources d'information factuelle entièrement comparables ...
Quand à la vertu du peuple qui serait supérieure à celle de ses dirigeants je te rappellerai que plusieurs sondages un peu partout révèlent que le peuple serait plutôt pour la peine de mort.
MAIS ça ne change rien à la nécessité du combat contre les inégalités et le fait que les élites tendent à vouloir conserver leur part de richesse inéquitable. À cet égard je ne peux m'empecher de penser que la liberté et l'égalité des citoyens était meilleure au vingtième siècle qu'au dix-neuvième où elle était déjà meilleure qu'au dix-huitième. En ces matières on est toujours coupables d'idéalisme ou de de paresse.