07 mars 2024

Une campagne américaine peu ragoûtante

Je ne puis m’empêcher de suivre de près les bizarres vire-voltes de la politique chez nos voisins du sud… même si elles ont souvent le don de me frustrer. C’est le cas des primaires du «Super Tuesday» de cette semaine et de leurs diverses retombées. 

On savait que le Démocrate Joe Biden, sans rivaux directs dans son parti puisque Président sortant, allait vivre un quasi-couronnement. On pouvait prévoir la même chose pour son pendant Républicain Donald Trump, malgré le baroud d’honneur de la pauvre Nikki Haley. Loin de contredire ces pronostics, la soirée de mardi n’a fait que les amplifier, mettant en évidence bien plus de négatif que de positif. Essayons de faire la part des choses et d’imaginer les suites vraisemblables.

En premier lieu, le «Super Tuesday» est un affrontement concocté sur des lignes partisanes  et promotionnelles bien plus proches de la joute sportive teintée de commercialisme que de l’exercice démocratique. La multitude des scrutins simultanés fait que les médias, à leur corps défendant, ne peuvent faire autrement que de sautiller de l’un à l’autre en cherchant le spectaculaire ou le scandaleux, sans la moindre mesure de perspective ni profondeur d’analyse. Ils ne peuvent nous offrir, du moins dans l’immédiat, qu’une mosaïque fortement influencée par le «spin» des deux partis, incapables qu’ils sont d’endiguer le flot de données disparates pour un moment de réflexion sur la signification et les conséquences des résultats partiels dont ils nous inondent. Sans oublier l’obligation d’interrompre aux pires moments la diffusion des nouvelles pour insérer, dans un flot déjà indigeste, des messages publicitaires vitaux pour leur propre survie. La chose m’était d’autant plus évidente que je sautillais moi-même entre trois réseaux câblés concurrents (MSNBC à gauche, CNN plus au centre et FOX News loin à droite) et deux ou trois chaînes généralistes (PBS, CBS, ABC).


Deuxièmement, la formule même des primaires expose les pires lacunes du modèle démocratique représentatif, de trois façons:

A) Elle met l’accent non sur le pouvoir et la responsabilité des citoyens mais sur un concours de popularité dont la focalisation purement élitiste se concentre sur des candidats-vedettes – sans restrictions ni préoccupations pour leur compétence et leur aptitude à exercer la charge qu’ils convoitent. Il n’y a aucun rapport entre les succès sportifs d’un Steve Garvey et l’expérience au Congrès d’un Adam Schiff… et pourtant c’est sur cette base que se déroulait leur affrontement en Californie – qui a donné une quasi-égalité.

B) Elle balaie sous le tapis les questions mêmes que l’exercice démocratique se doit de résoudre, chaque candidat étant forcé de défendre non pas ses convictions sur ces questions, mais les idées dont il croit qu’elles peuvent influencer en sa faveur des votants souvent tenus dans l’ignorance des véritables enjeux. Le sain affrontement des opinions informées est transformé en guerre de slogans vides de sens, parfois même pernicieux.

C) Elle accorde sur le choix des candidats ultimes à l’élection un pouvoir disproportionné à une minorité de partisans fanatiques, souvent agressifs et manipulés par des meneurs d’opinion qui se fichent totalement du bien commun ou n’en ont qu’une vision déformée (à gauche comme à droite, hélas). Lire à cet effet la critique incisive de ce genre d’exercice dans le mal titré mais fort éclairant «Pour en finir avec la démocratie participative» (Textuel, France, 2024).


Troisièmement, le cumul prématuré de multiples scrutins partiels crée une échéance artificielle nuisible à ce qui serait un des rares avantages de la formule des primaires à l’Américaine: l’évolution graduelle de l’opinion publique, grâce à un chapelet d’évènements répartis sur plusieurs mois et dans diverses régions du pays, vers une meilleure compréhension de l’actualité, des enjeux et des particularités locales qui influencent le cours du processus politique.


Passons à l’effet du «Super Tuesday» sur les candidats majeurs. La résultante principale est  la certitude d’un match-retour entre deux vieux (dans tous les sens du terme) adversaires qui se détestent… et dont on peut arguer qu’ils sont les plus déplorables têtes de file possibles pour leurs partis respectifs –pour des raisons similaires et contradictoires.  Et Trump et Biden sont carrément trop vieux pour reprendre ou conserver le gouvernail d’un État hyper-puissant qui, malgré une certaine lassitude et désaffection, continue d'exercer une influence parfois inquiétante sur le sort de la planète entière. 

A) Trop vieux par l’âge – je puis en témoigner sans être accusé de calomnie ou de préjugé, étant leur ainé à tous deux. Biden est visiblement en manque d’énergie et de mobilité, Trump agité par une sorte de frénésie nerveuse qu’il tente de faire passer pour une seconde jeunesse. Le premier a d’évidentes lacunes de mémoire et de concentration, le second des failles de logique et de perception de la réalité qui sont incompatibles avec la direction d’un pays surtout de grande taille. Au mieux, chacun pourrait jouer le rôle d’un conseiller expérimenté auprès d’un leader plus jeune, plus dynamique et plus cohérent.

B) Trop vieux par la santé. Rien ne dit qu’aucun des deux sera à même de terminer un épuisant mandat de quatre ans, soit pour cause de décès, soit simplement par incapacité physique d’assumer la charge jusqu’à la fin. Le moins âgé, Trump, est de loin le meilleur candidat pour un infarctus ou une crise cardiaque fatale. L’idée même d’élire un Président en sachant qu'il devra tôt ou tard céder la place à un(e) vice-président(e) non élu(e) est sérieusement anti-démocratique.

C) Trop vieux par l’expérience et par la vision. Tous deux ont passé le plus clair de leur vie active dans un siècle différent politiquement, socialement et techniquement. L’expérience pourtant réelle dont ils peuvent se targuer ne serait pertinente au gouvernement que passée au filtre critique d’un esprit plus jeune et plus conscient des réalités du 21e siècle. Ici encore, je puis en témoigner personnellement: ma vision des choses n’est valide qu’une fois confrontée à celle de trois neveux qui ont entre 30 et 40 ans de moins que moi… et j’en suis parfaitement conscient, comme ils le sont sans doute.


(la suite à venir)

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