(3 juillet 2009) Jeudi matin, c'est maintenant ou jamais. La trousse d'information de Wimbledon nous commande de prendre le "tube", c'est-à-dire en argot londonien l'Underground ou métro. Après un sérieux débat sur l'opportunité de nous "crêter" pour notre intronisation au cérémonial du All-England Lawn Tennis and Cricket Club (AELTC), nous arrivons à un compromis qui nous paraît optimal: pantalon sport sombre et chemisier blanc décoré de dentelle de Bruges pour Azur, pantalon clair bien pressé, chemise sport ouverte et veste safari en lin écru pour Yves.
Nous descendons profondément sous terre à la station de Marble Arch pour prendre une rame vers Notting Hill et la correspondance vers Wimbledon. À Notting Hill, la cohue est indescriptible, mais nous arrivons quand même à nous insérer dans une rame bondée et surchauffée en direction sud.
Merci aux divinités du tennis, la ligne débouche rapidement à ciel ouvert et un souffle un peu plus frais pénètre par les évents pratiqués dans le haut des wagons. Débarquement en catastrophe à Southfields, où des préposés débordés nous dirigent vers la navette appropriée, direction Church Street, l'entrée principale du stade situé dans un grand parc en assez lointaine banlieue sud.
Le minibus nous dépose non pas sur le terrain même, mais face à une série de pavillons de toile aux façades de verre au tréfond d'un stationnement plutôt bling-bling (rien au-dessous d'une Bentley, d'une Lexus ou d'une modeste Mercedes allongée) de l'autre côté de la route. Bienvenue au Gatsby Club.
L'intérieur, une fois avalée la flûte de champagne ou de kir royal qu'on nous a presque imposée à l'entrée, est bien dans l'esprit du nom: murs, colonnades et balustrades "art nouveau" blanc cassé, décorés de nus stylisés et d'énormes bouquets blanc-vert-indigo (les couleurs du logo de Wimbledon).
Le personnel masculin est en tuxedo-noeud papillon genre années '20, les hôtesses en robes courtes semi-transparentes et bas de soie blanchâtres de garçonnes de la même période, coiffure bouclée semée de plumes d'autruche et maquillage noir profond et rouge sang à l'avenant. La nôtre, qui nous conduit cérémonieusement à notre table réservée, s'appelle "Milly, à votre service pour tout ce qu'il vous plaira tant que vous serez les hôtes du Gatsby Cub". J'ai une passagère envie de la prendre au mot, mais un regard féroce d'Azur m'en dissuade.
Une fois installés devant un plateau d'amuse-gueule et un seau argenté contenant une bouteille de Heidsieck Monopole, nous recevons la visite d'une autre hôtesse, plutôt style maîtresse d'école cette fois. Elle vient nous remettre nos billets pour la séance d'aujourd'hui... et des coupons permettant de récupérer des sacs à dos verts "Wimbledon" dont l'avenir immédiat montrera qu'ils sont loin d'être un luxe.
Un déjeûner excellent mais léger, arrosé d'un saint-amour tout juste frais, se termine à point pour nous permettre de traverser occuper nos sièges réservés à mi-hauteur dans les estrades du court central. Comme le premier jeu des demi-finales dames est déjà engagé, il nous faut attendre en file bien ordonnée à l'entrée de notre section, sous l'oeil vigilant d'un militaire prêté (ou loué?) pour l'occasion à l'organisation du tournoi.
Lorsque le vénérable "honorary steward" en blouson marine et panama qui contrôle les opérations donne enfin le signal, nous pénétrons dans le Saint des Saints du Central Court, nouvellement coiffé de son toit amovible -- actuellement rétracté, car il fait un temps splendide.
En grimpant à nos places, nous constatons de visu ce que la télé nous laissait deviner: tous les spectateurs ou presque sont habillés comme pour une garden-party huppée, femmes en pantalon-chemisier ou en robe, messieurs en pantalon clair et chemise sport ou même complet léger-cravate. On a bien fait de se "crêter".
Comme l'avait promis l'organisation, nous sommes très bien placés, à mi-hauteur des estrades du côté est (donc à l'ombre), vis-à-vis la ligne de service. Assez près pour bien détailler les joueuses, assez loin pour embrasser tout le jeu d'un coup d'oeil.
Le premier set du match Dementieva-Serena Williams vient de commencer, et la Russe en met plein les bras à l'Américaine. Celle-ci, qui se débat comme un beau diable, est plus mince et plus jolie en personne qu'au petit écran, elle fait moins "butch" et plus sympathique.
Autre différence avec un match vu à la télévision, en direct nous avons droit à tout le ballet bien réglé du personnel de terrain: juges de ligne, arbitre, superviseurs, coureurs de balles et préposés divers, chacun avec son uniforme spécifique et sa fonction détaillée comme du papier-musique.
À chaque changement de côté, une bonne partie de ce beau monde se déplace à la file indienne selon un rituel assez rigolo.
Deux préposés se hâtent de déployer des parasols bleus et verts au-dessus des sièges des joueuses. Lorsque vient le moment des balles neuves, ils se mettent à quatre pour en ouvrir deux boîtes qu'ils font inspecter par un superviseur et par l'arbitre avant de les faire rouler une à une le long des lignes vers les coureurs de balles.
Nous sommes gâtés pour ce premier match, qui dure trois longs et très bons sets. Dementieva gagne le premier, Serena sauve de justesse le second, puis semble en voie de perdre le dernier qu'elle finit par emporter in extremis.
Après deux heures et demie assis sur d'assez confortables mais quand même étroits sièges basculants, nous cédons à la tentante invitation d'un "four o'clock tea" au Gatsby Club. Sitôt revenus à notre table du pavillon, on nous sert d'autorité deux pimm's glacés accompagnés de biscuits et de petits fours. Suivent de fines tasses de thé léger et un plateau de sandwiches (mais oui, au concombre sur du pain sans croûte, comme dans les romans d'Agatha Christie). Et pour compléter, des bols de (superbes) fraises fraîches arrosées de crème et saupoudrées de sucre, avec l'obligatoire verre de champagne. Le tout au son d'un trio féminin de jazz pas mal du tout.
Inutile de dire que dans l'intervalle, le second match est bien engagé. Nous constatons sur une des télés dont le pavillon est parsemé que la No 1 Dinara Safina est en pleine déroute, face à Venus Williams. Le temps de retourner à nos places dans le stade, elle a perdu le premier set 6-1 et traîne 3-0 dans le second, après une quarantaine de minutes de jeu à peine. Déçus comme l'ensemble de spectateurs, nous assistons à la fin du massacre, la championne russe ne remportant même plus un seul jeu et perdant son dernier service à zéro.
Heureusement, on enchaîne presque immédiatement avec une bien meilleure demi-finale de double hommes jouée par le Canadien Daniel Nestor avec un partenaire d'Europe centrale, contre deux Américains dont James Blake. Ceux-ci gagnent assez difficilement le premier set et mènent brièvement dans le second, mais Nestor (qui jusque là jouait assez mal, sauvé par le brio de son compère) se ressaisit brusquement et renverse la situation de quelques coups brillants.
Après avoir regardé trois sets spectaculaires, nous décidons de rentrer sur Londres avant que la foule des spectateurs ne quitte massivement le stade. Déjà, il y a une queue interminable devant la station de taxis, à tel point que le répartiteur nous impose de partager une voiture avec un autre couple qui retourne aussi dans la capitale.
Nos compagnons de route sont des Sud-Africains d'âge moyen d'origine indienne, passionnés de tennis, qui sont venus spécialement à Londres pour Wimbledon et qui continuent ensuite sur New-York où ils ont des billets pour l'Open des USA. Pendant la bonne heure qu'il faut au taxi pour nous ramener en ville, nous parlons de tennis, de voyage et de bateau. Et un peu de politique sud-africaine, où le nouveau président Jacob Zuma ne semble pas rallier les opinions, en particulier des minorités.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire