(6 juillet 2009) Marie-José a beau se plaindre que son idole Rafael "Vamos" Nadal lui ait fait faux bond au dernier moment, elle doit quand même admettre que nous avons eu droit à un Wimbledon exceptionnel. D'autant plus que grâce à l'échec d'Andy Murray en demi-finale vendredi (le malheur des uns...), nous avons pu assister en direct à une finale d'anthologie en cinq sets, 78 jeux et plus de 4h30 entre Roger Federer et Andy Roddick.
Pour les demi-finales hommes vendredi, nous avions décidé d'éviter l'incroyable bousculade annoncée sur la ligne Wimbledon du métro, et sommes partis une bonne heure d'avance en taxi. Nous avons bien fait, même si l'embouteillage routier tout aussi conséquent nous a sérieusement retardés; nous sommes arrivés au Gatsby Club à temps pour l'apéro. Celui-ci a été suivi d'un joli gaspacho puis d'un rôti d'agneau parfumé, tendre et fondant, arrosé d'un beau chateauneuf-du-pape. Fraises et champagne au dessert.
Autour de nous, le seul sujet de conversation était l'Écossais Andy Murray, numéro trois mondial et surtout premier joueur britannique à qui l'on accordait une chance sérieuse de se rendre en finale depuis quelque 70 ans. Il fallait être à Londres ces jours-ci pour se rendre compte à quel point la Murray-mania a dominé ce tournoi, de loin le plus emblématique du sport local et donc le plus apte à mettre l'orgueil britannique à fleur de peau.
Impossible d'allumer la télé, d'ouvrir un journal ou de lier conversation avec une serveuse de pub ou un chauffeur de taxi sans que le sujet vienne immédiatement sur le tapis: capable, pas capable? gagnera, gagnera pas? Le Times et le Guardian en ont fait l'objet de leur sondage quotidien (oui à 70-75 p.100), les experts de tout poil disséquaient ses chances, son jeu, ses qualités et ses faiblesses sous toutes les coutures.
Les magazines publiaient des entrevues où non seulement son entraîneur, mais sa maman et sa copine, une jolie rouquine à mi-chemin entre le mannequin flyé et l'étudiante terre-à-terre, révélaient leurs techniques pour le calmer, l'encourager, l'exciter et quoi d'autre. Même son chien y allait de quelques jappements pleins de sous-entendus.
Tous les Anglais (sans parler des Gallois et des Irlandais du nord -- et même du sud, qui sait?) se sentaient tout-à-coup écossais, les Écossais infiniment plus que les autres, bien sûr.
Les historiens épluchaient le passé en remontant jusqu'à la victoire de Fred Perry en '36, en passant par les faux espoirs suscités quatre fois dans la dernière décennie par Tim Henman. Tout le monde balayait du revers de la main les obstacles mineurs qui restaient sur la route de Murray, soit Andy Roddick et Roger Federer.
Quand nous avons gagné nos places sur le Central Court à 14h pile, la tension dans les gradins était à couper au couteau... même si le premier match des demi-finales mettait aux prises ces deux non-entités, Tommy Haas et Federer.
Pourtant, rien n'était encore joué entre eux, car l'Allemand Haas était venu à un cheveu d'éliminer le Suisse il y a un mois à Roland-Garros, remportant les deux premiers sets et tenant bien son bout dans les deux suivants avant de lâcher prise au cinquième. Ce vendredi-ci cependant, Federer avait clairement décidé de ne prendre aucun risque et montrait une forme exceptionnelle dès les premiers engagements, même si cela ne se traduisait pas immédiatement au score.
Comme la veille, le fait d'être sur place changeait sérieusement la perspective. Par la fenêtre grossissante de la télé, le champîon suisse paraît souvent indécis, nonchalant, peu intéressé. Mais vu en personne et en taille réelle, c'est une autre histoire: dès qu'il met le pied sur le terrain, il domine la scène et justifie le surnom de "Patron" que lui attribuent ses confrères joueurs professionnels. D'une moue, d'un sourire en coin, d'un haussement de sourcil ou d'un mouvement d'épaule à peine perceptible, il communique ses émotions et fait vibrer le public.
Après cinq ou six parties pourtant égales quant au pointage, il était clair pour tous (et notamment pour son adversaire) qu'il allait gagner, ce qu'il a pris tout son temps pour faire en trois sets serrés, mais verrouillés comme des cadenas de banque.
Dix minutes plus tard, devant un parterre qui retenait son souffle puis explosait en bravos (flegmatiques, les Anglais?), Andy Murray et Andy Roddick faisaient leur apparition. Chacun de leurs mouvements était accompagné d'un bourdonnement de commentaires dans les gradins, tout au long de la mise en place -- changement de filet, de personnel de balles -- et de la période de réchauffement.
C'est dans un silence presque physiquement palpable qu'a débuté le match. Pendant deux manches et demie, le suspense est demeuré complet, rien ne permettant de départager les concurrents.
Puis graduellement, on a senti que Murray ne trouvait pas de vraie solution au style amélioré et parfois mystifiant de l'Américain. Sans délaisser son incroyable service en boulets de canon, ce dernier se mettait de plus en plus à voler les armes de son adversaire, se déplaçant soudain vers le filet, variant la force et l'effet de ses frappes.
Lorsque Roddick a remporté assez clairement le troisième set, la messe était dite, sauf pour les inconditionnels de Murray. Même en jouant à son meilleur niveau, l'Écossais avait de plus en plus souvent le dessous, et à moins d'une peu probable baisse de régime de l'Américain, on ne voyait plus comment il pouvait encore l'emporter.
Le quatrième set, quoique chaudement disputé, n'était plus en réalité qu'une formalité. Et si l'on mettait de côté l'immense déception des partisans anglais, il posait même la question d'une victoire américaine en finale, tant Roddick montrait une souplesse et des qualités tactiques inédites jusqu'ici.
Comme la veille, nous nous sommes hâtés de gagner la tête de la file de taxis, où on nous a donné comme voisins un couple âgé de Néo-Zélandais et leur fils trentenaire... qui dormait littéralement debout, accroché tant bien que mal à une sangle au plafond du cab, occasionnellement secoué par sa maman qui craignait qu'il ne lâche prise et ne se fasse mal en tombant.
Le lendemain, comme nous n'avions pas de billets pour la finale féminine (un Xième duel "fraternel" entre Venus et Serena Williams, aisément remporté par cette dernière), nous sommes demeurés à Londres. L'avant-midi a été consacrée à une balade à pied dans Mayfair, le quartier aristocratique (Grosvenor, Berkeley Square, Pall Mall) que ma soeur Marie reconnaîtra facilement comme le décor habituel des romans "Regency" de l'auteur favori de notre maman, Georgette Heyer.
Nous avons abouti sur Regent Street, tout près de Picadilly, où une étroite petite rue nous a menés au Bentley's Oyster Bar, temple londonien très BCBG du poisson et des fruits de mer depuis bientôt un siècle. Bouquet de crevettes pour Azur, bisque de crabe pour moi, suivis d'un goûteux filet de plie de la Mer du Nord sur un lit de pommes écrasées et petits légumes. Et un sherry amontillado très sec au parfum de noisettes pour accompagner tout ça, une suggestion imprévue mais appropriée du sommelier.
Nous avions demandé aux responsables de la "Wimbledon Experience" de nous avertir si jamais il leur restait des billets pour la finale hommes (ou "gentlemen", comme on dit ici). Tant qu'Andy Murray demeurait en course, il n'en était pas question. Mais miraculeusement, au lendemain de sa défaite en demi-finale, on nous a annoncé qu'en y mettant le prix (je n'ose pas dire combien), ça redevenait possible.
C'est ainsi que, hier après-midi, nous avons eu droit à ce qui restera sans doute dans les annales de Wimbledon comme une des finales de tournoi sinon les meilleures, du moins les plus longues et les plus dramatiques. À classer quelque part entre l'interminable et presque miraculeux McEnroe-Borg des années '80 et le sublime Nadal-Federer de l'an dernier.
À notre arrivée sur le terrain, malgré que les estrades étaient encore pleines à craquer, l'atmosphère était plutôt calme. Rien de la tension de l'avant-veille, tant la déception de la défaite de Murray (disséquée ad absurdum par tous les commentateurs télé, radio et journaux depuis deux jours) demeurait présente aux esprits.
Le début de match a d'ailleurs été un peu trompeur, Federer semblant dominer la situation sans toutefois prendre les devants dans le score, comme il l'avait fait deux jours plus tôt contre Haas. On pouvait croire qu'il allait l'emporter non pas facilement, mais lentement et sûrement. Or un bref passage à vide de sa part en fin de premier set a permis à Roddick d'emballer la manche contre toute attente, faisant entrevoir l'émergence d'un véritable duel.
En deuxième, puis en troisième manche, le Suisse n'a jamais pu mettre en péril le service de l'Américain; mais il remportait le sien en retour, avec une régularité d'horloge, puis s'imposait au jeu décisif. Cependant la question commençait à se poser: pourrait-il gagner la finale sans jamais prendre le service de Roddick?
Question encore plus cruciale après que ce dernier a réussi à le surprendre par un second bris à la fin du quatrième, pour imposer la tenue d'un cinquième set qui, cette fois, ne pouvait se décider par un "tie break".
À 4-4 dans la manche finale, tout le monde attendait maintenant une défaillance de Federer qui aurait donné la victoire à son rival et l'aurait empêché de reconquérir le premier rang mondial. Roddick gagnait la plupart de ses services à zéro, Federer peinait pour conserver les siens.
À 8-8, les deux joueurs refusant obstinément de céder le moindre centimètre de terrain, il est devenu évident que nous nous trouvions soudain face à une "grande finale", digne de s'inscrire dans les annales.
À 10-10, j'ai soufflé à Azur (et au couple de voisins philippins à nos côtés): "Federer va finir par l'avoir." Il me paraissait en effet de plus en plus clair que le Suisse, comme il l'avait fait maintes fois dans le passé, s'était solidement ancré sur ses positions et se sentait de plus en plus à son aise dans une situation de tension extrême qui aurait fait basculer n'importe qui d'autre. Roddick paraissait usé jusqu'à la corde, ses yeux s'enfonçaient dans leurs orbites.
Mais il a fallu attendre 16-14 (un record) pour que l'Américain cède finalement à cette pression incroyable, perdant la main pour la première fois en 39 jeux de service. Chose remarquable, avant de célébrer comme l'aurait fait n'importe qui, Federer est allé trouver son rival malheureux, lui passant le bras autour des épaules pour le consoler tandis que le public, debout, les acclamait tous deux. La grande classe et une digne fin à un magnifique turnoi... malgré l'absence du No 1 et vainqueur de l'an dernier, Rafael Nadal, qui devait sans doute regarder ça chez lui à Majorque avec un peu d'amertume.
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