24 décembre 2011

Un jus chez Basil's

Les primitives paillottes de Basil's, à côté du petit débarcadère de Mustique, sont paradoxalement le bar le plus célèbre et le plus authentiquement snob (et dieu sait qu'il n'en manque pas!) de toutes les Antilles. Debout au comptoir à façade de bambou fendu ou assis sur un tabouret ou une des banquettes communautaires des tables en bois
brut, vous pouvez vous trouver au coude-à-coude avec Elton John, la soeur de Carla Bruni-Sarkozy ou un des petits-fils de la Reine d'Angleterre, qui ont hérité du domaine de leur grand-tante Margaret. En toute simplicitė, bien sûr.Car rien n'est moins tape-à-l'oeil ou m'as-tu-vu que le repaire de milliardaires et de célébrités qu'est Mustique. Tout le contraire de sa rivale Saint-Barth, où le jet-set est aussi pressé de se faire voir que les masses bigarrées de touristes de le contempler ("Hé, je viens de voir Johnny -- ou Delon, ou Angelina Machin -- sortir de chez Yves Saint-Laurent!").
Ici, pas de débarquement massif de paquebots de croisière, pas de visites organisėes, pas de marina huppée. Tout juste un quai de services, un ponton pour les annexes, les pilotis sur lesquels est bâti Basil's, quelques boutiques (de l'eau, du pain, des fruits plutôt médiocres, mais aussi du champagne millésimé, du cognac hors d'âge, du caviar iranien, du foie gras frais de chez Hédiard et autres nécessités vitales pour les classes laborieuses) et une plage encombrée de barques de pêcheurs qui sont la meilleure source de langoustes et de conques de lambis de la région. Et face à la grève, quelques bouées à la disposition des plaisanciers qui comme nous sont assez fous pour payer le prix d'une bonne nuit d'hôtel parisien pour s'y amarrer.
Enfin, dans les petites anses du côté au vent et sur les collines, nichées dans la verdure ou sous les cocotiers qui ombragent le sable blanc, des résidences aussi luxueuses que discrètes, sur des terrains dont chacun vaut le prix d'un appartement avec jardin privé à Neuilly ou dans Mayfair. Mustique c'est, comme on dit au Québec, "la clâousse".
Comme c'est la première visite de Janine aux Grenadines -- et que nous avions une petite envie de langouste -- , nous sommes venus y passer une nuit après avoir effectué notre entrée dans l'archipel par la plus modeste Bequia, où nous avons mangé dimanche de l'excellent poulet épicé et des côtes levées dans un nouveau restaurant "les pieds dans l'eau", au bout de la belle plage qui borde la rive sud d'Admiralty Bay, et avons dormi confortablement à l'ancre avant de plonger dans l'eau propre et fraîche au petit-déjeuner puis de mettre la voile pour Mustique.
Il nous fallait aussi y faire le plein d'eau, car nos réservoirs étaient vides pour une raison mystérieuse: ou bien nous les avions mal remplis en partant, ou bien il y a une fuite quelque part, ou une pompe dysfonctionnelle... Le jeune préposé au service musticien nous a réglé ça dès notre arrivée avec promptitude, sourire... et autant d'élégance stylée qu'un butler de la Vieille Angleterre!
Puis le skipper et Twiggy ont entraîné Janine à terre à bord de l'annexe pour un premier contact avec le "paradis des milliardaires". Elle a eu droit à tout... c'est-à-dire à la plage des pêcheurs, à la tournée des quatre boutiques et à un jus tropical (ils sont vraiment très bons) chez Basil's, qui venait d'ouvrir pour la journée. Pendant ce temps, Moris négociait l'acquisition de cinq belles langoustes -- à consommer en route -- et de quelques kilos de chair de lambis, à rapporter en Martinique, où elle est presque introuvable. Il y a ajouté une douzaine de coulirous, ces cousins de notre éperlan qui sont délicieux frits.
Resté seul à bord avec Azur, je suis descendu nager aux alentours, dans une eau turquoise mais déjà chaude, échangeant quelques mots avec nos voisins de bouée, des sexagénaires Américains qui font une virée pépère en groupe dans les îles avec d'autres membres de leur yacht club floridien.
Au matin, après une nouvelle saucette et un déjeuner aux délicieux croissants de la boulangerie (française) de l'île, cap sur Mayreau qui est sans doute notre mouillage préféré dans les Grenadines et le voisin immédiat du "paradis sur terre" de Marie-José, les Tobago Cays.
Un vent de sud, presque de face, nous a empêchés de faire de la voile, mais nous sommes arrivés en début d'après-midi dans l'anse de Saltwhistle Bay, presque déserte... ce qui surprend à cette saison, habituellement touristique. Nous avons donc choisi un très bon emplacement, près de la plage et non loin du ponton, et j'ai plongé avec Moris tandis que Twiggy faisait frire les coulirous et gonfler du riz blanc. Avec des avocats bien mûrs comme entrée, cela faisait un délicieux et léger repas de "cuisine- pays", arrosé d'un coup de rouge.

Au matin, je dormais si bien que j'ai failli rater le lever de soleil. Je me suis jeté à l'eau juste à temps pour le regarder en nageant paresseusement faire son show habituel à travers la frange de cocotiers, tandis que les silhouettes de pélicans et de fous de bassan plongeaient à tour de rôle dans les rouleaux blanc et vieil or de l'autre côté de la barre de sable clair. Deux chiens fantômatiques mais amicaux m'ont accompagné dans une bonne marche le long de la grève.
(Cette page a été écrite il y a près de deux semaines, mais je n'avais pas d'accès Internet pour l'ajouter au blogue.)

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