24 décembre 2011

Une rentrée secouée (18 déc.)

Peu après mon bain de lever de soleil dans Saltwhistle Bay, c'était le départ de Mayreau pour la courte balade à travers les récifs et hauts-fonds jusqu'aux Tobago Cays. Ces mythiques îlots vert rutilant et blanc doré sont en effet incrustés dans un fer-à-cheval de rochers et de corail qui en rend la navigation périlleuse, mais qui en retour leur assure une zone de mer turquoise d'un calme plat même dans les plus brusques bourrasques. Par temps ensoleillé, ils sont l'attraction majeure des Grenadines et, pour Azur, "le paradis sur terre".

Ici encore, pas trop de monde au mouillage principal entre trois des îles, et seulement un nombre restreint de baigneurs et plongeurs sur la plus belle des plages, celle de Baradal qui s'avance en pointe étincelante
entre les rouleaux brisés par les coraux et l'eau calme à l'intérieur. Nous y passons deux bonnes heures à batifoler dans les vaguelettes sur fond de sable et d'herbes fines où sinuent entre nos jambes des bancs de petits poissons couleur d'acier luisant au dos teinté d'ambre. Hélas pas de tortues de mer aujourd'hui, à peine une ou deux caranques, ces grands bijoux argent et noir aux ailes d'anges.
Nous rentrons à Mayreau reprendre un mouillage plus près de l'entrée de la baie, où nous nous livrons à une débauche de langouste grillée sur barbecue, accompagnée d'un joli rosé espagnol oublié dans notre cave sans doute depuis l'arrivée des Canaries, mais encore vigoureux. Re-baignade (cette plage est une vraie drogue), sieste sur la trampoline et soirée bercée par "l'azur phosphorescent de la mer des Tropiques"...
Le lendemain matin, nous continuons vers le sud jusqu'à Union, la dernière des Grenadines de Saint-Vincent, qui a pour moi deux charmes à faire partager à Janine: son bar littéralement "les pieds dans l'eau", construit par un doux rasta sur un îlot artificiel fait de milliers de coquillages jetés au milieu de la rade par les pêcheurs pendant des décennies et où on n'aborde qu'en annexe ou water-taxi, et le délicieux et minuscule village de Clifton,
avec sa nonchalante petite place ombragée, entourée de bars, auberges et boutiques qui sont comme autant de pimpantes maisons de poupées de couleurs vives. Nous y passons deux heures à nous promener, à faire un peu de shopping au Captain Gourmet, cette épicerie fine incongrue tenue depuis toujours par une famille de Français atypiques et chaleureux, et à regarder les requins des sables se chauffer au soleil dans le bassin du yacht club de l'Anchorage.
Vers midi et demi, nous entreprenons la remontée vers le nord et la Martinique, avec comme première escale Canouan. C'est certainement celle des Grenadines que nous connaissons le moins, nos skippers passés Gérard et Will l'ayant en aversion, et Marco nous y ayant fait mouiller une seule fois à la nuit tombante pour en repartir à l'aube. L'abordant cette fois en milieu d'après-midi, nous sommes agréablement surpris par sa rade de Charlestown, élégante et plutôt calme, qui sert de cadre à un festin de "restes" de langoustes que Twiggy a cuisinées en fricassée nichée dans de savoureux spaghettis à l'huile et à l'ail, bien "al dente". Avec pour finir un dessert de mangues mûres.

Pas surprenant que le lever du lendemain vendredi soit quelque peu paresseux, et la baignade nonchalante. C'est seulement une fois le soleil haut dans le ciel que nous levons l'ancre vers Bequia, où doit se faire la "sortie" douanière du petit royaume enchanté des Grenadines. L'idée est de nous y arrêter seulement pour les formalités puis de remonter jusqu'à la côte sud de Saint-Vincent, qui offre le choix entre la petite mais douillette marina de Blue Lagoon et le quai aux ferries de la capitale Kingstown, moins agréable mais plus propice à un départ rapide samedi matin.
Mais à l'entrée dans la baie de Port Elizabeth, la faim nous inspire une halte au gentil restaurant qui nous avait bien rassasiés à la descente. Malgré l'accueil de la même pétillante serveuse et la qualité du repas, nous aurons à le regretter.
Car le dîner entraîne une sieste puis, tandis que le skipper débarque au village pour les formalités, une plongée le long de la belle et calme plage. Ensuite, plus question de se remettre en route, le temps ayant visiblement fraîchi et les abords de Blue Lagoon et de Kingstown n'étant pas des plus simples dans l'obscurité.
Dès que nous pointons les proues hors de l'Admiralty Bay au petit matin, nous nous trouvons face à un vent de nord franc de 25 noeuds, accompagné d'une houle croisée avec des creux de trois mètres venant du nord-ouest, de 2,50 m du nord. En quelques minutes, nous sommes secoués comme un panier de crabes, et après avoir vainement tournaillé pour trouver un angle d'attaque nous permettant de profiter un peu du seul vrai bon air de voile rencontré depuis une semaine, nous nous résignons à faire du moteur face au vent, atteignant péniblement les 4,5 noeuds de moyenne.
Le vent diminue, mais à peine, une fois le long de la côte de Saint-Vincent, mais la houle est demeurée aussi vicieuse. Twiggy tient généreusement compagnie aux deux femmes affalées sur la table du cockpit arrière, tandis que je seconde de mon mieux le skipper à la barre et aux manoeuvres sur le skybridge, récoltant quelques bons paquets d'embruns. Trois longues heures plus tard, cela empire encore en entrant dans le canal entre Saint-Vincent et Sainte-Lucie, dont nous n'atteignons la pointe sud que passé les seize heures.
À 17h, face aux Deux Pitons entre lesquels descend un tourbillon de soufflerie, il faut admettre que la seule solution logique est de continuer jusqu'au nord de l'île, où nous pouvons au moins compter vers 20h30 sur le refuge sûr et confortable de la moderne marina de Rodney Bay, dont l'entrée de nuit est facile. C'est sans compter sur un détail qui a son importance.
Rodney Bay est le point final de la course transatlantique de l'ARC, à laquelle participent chaque année depuis les Canaries près de 300 voiliers de tous types et de toutes tailles, la plupart manoeuvrés par des équipages amateurs sinon néophytes. Or, l'arrivée se fait justement cette semaine. Ce qui veut dire que la marina est déjà fortement encombrée et continue d'accueillir des bateaux, pas toujours bien barrés, jusqu'en pleine nuit.
Donc, au lieu d'entrer bien paisiblement dans un hâvre calme et accueillant, nous faisons partie d'une file pas très ordonnée de candidats parfois énervés aux rares places de ponton encore disponibles. Moris réussit adroitement à s'insérer vers 21h dans un des rares emplacements encore capables de recevoir un catamaran, et refuse d'en bouger malgré les gros yeux que lui fait le personnel du port. Ouf.
Au lever du jour, nous nous découvrons enveloppés d'un véritable carnaval de drapeaux, de pavillons et de bannières de toutes couleurs et toutes nationalités, entre lesquels palpitent de longues guirlandes de fanions décoratifs. Nos voisins immédiats sont suédois, irlandais, finnois et portugais, tous pressés de partager leurs aventures. Heureusement, comme nous avons vécu une expérience similaire il y a cinq ans, nous entrons aisément dans le jeu et pouvons compter sur des alliés pour résister à la demande polie mais ferme des surveillants de ponton pour que nous évacuions au plus tôt notre place de choix.
Moris a donc tout le temps d'aller remplir les formalités, tandis que Twiggy trouve dans une épicerie-boulangerie ouverte (c'est dimanche matin) de quoi fabriquer un solide petit déjeuner. C'est bien repus et sans nous presser que nous larguons enfin les amarres vers 10h30 pour une dernière étape, sans histoire, jusqu'à notre coin de ponton du Marin.

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