10 novembre 2012

La fête à Lyon

J'ai volontairement omis du chapitre précédent ce qui a pourtant été le clou de notre actuel séjour en France: une expédition de quatre jours à Lyon pour célébrer nos deux anniversaires. D'autant plus agréable que malgré l'octobre généralement maussade et les sombres avertissements de la météo, nous avons eu droit à trois jours de beau temps doux...

Nous avons pris le TGV de Montpellier la veille de ma fête pour débarquer à la Part-Dieu en fin d'après-midi. Nous avions choisi au hasard sur Internet un petit hôtel en plein centre-ville, directement sur la Place Bellecour. Coup de chance! Le Royal Lyon est un véritable bijou plus que séculaire, rénové avec goût dans un style "cocon bourgeois" de l'entre-deux-guerres. Immense chambre bien insonorisée et coin salon confortable. Un bar feutré avec vue sur la place et élégante musique de cool jazz. Sans compter le restaurant, Côté Cuisine, qui est l'atelier-école de l'Institut Paul Bocuse: une gastronomie de haut niveau à prix doux, dans une ambiance sans prétention!
Le lendemain lundi, après nous être baladés un peu dans le quartier voisin de la Presqu'île, nous nous sommes dirigés vers le haut-lieu de notre séjour, le mythique restaurant de la Mère Brazier, repris depuis quatre ans par un chef bourré de talent (et d'ambition), Mathieu Viannay qui a déjà ramené dans ses chaudrons deux étoiles Michelin.
Ici, pas question d'ambiance relax. C'est le grand service avec tout son cérémonial: le maître d'hôtel vous accueille, une hôtesse vous place, le chef de bouche apporte le menu et prend les commandes, suivi du sommelier avec son album de centaines de bouteilles (accent mis sur le beaujolais et les côtes-du-rhone voisins) et ses astucieuses suggestions. Ensuite c'est le ballet des serveurs et serveuses: mise en bouche avec l'apéro, entrée froide, un profond crozes-hermitage débouché pour l'entrée chaude, enfin le chef de bouche qui rapplique avec un chariot sur lequel trône la cocotte en fonte dans laquelle mijote depuis cinq heures LA poularde de Bresse demi-deuil de près de deux kilos qui est la gloire de la maison.
Il lui faut un bon dix minutes pour découper savamment les deux poitrines couleur d'ivoire tacheté de gris ardoise (les lamelles de truffe glissées ici et là sous la peau translucide) qu'il dispose élégamment dans nos assiettes pour les napper d'une sauce à la crème truffée et parfumée du bouillon de cuisson. Nous arrivons à peine à déguster le tiers de nos gargantuesques portions que le garçon-chef revient avec le second service: les cuisses déjà cuites, tout juste sautées dans la graisse. Bonjour l'indigestion! Mais la seule odeur est un tel délice que nous ne pouvons résister à l'envie d'au moins y goûter.
Bien entendu, l'appétit nous est revenu malgré tout quand j'ai aperçu le pléthorique chariot de fromages, tandis qu'Azur se laissait séduire par un "Cube au Chocolat Jivara et Cœur Passion, Sorbet Cacao" qu'elle avait vu voguer quelques minutes plus tôt vers la table voisine.

Au moment de régler la note en sortant, j'ai eu le plaisir de fixer, par la porte entrouverte, Mathieu Viannay lui-même officiant dans sa cuisine, sans doute pour préparer le service du soir. Vous vous doutez qu'après tout ça, une sérieuse sieste s'imposait.
Les deux jours suivants, nous avons baguenaudé dans les quartiers de Lyon, une ville que nous connaissions peu et qui pourtant le mérite. Tantôt en minibus dans la Croix-Rousse, tantôt à pied le long des "traboules" et du Vieux-Lyon, tantôt en car panoramique sur les hauteurs de Fourvière, tantôt en tram dans la toute nouvelle Confluence, tantôt en taxi vers la Tête d'Or en soirėe.Mangeant à la fortune du pot ici dans une grande brasserie, là dans un bistrot à moules ou un des fameux "bouchons" à la cuisine canaille. Une fortune sans grand risque, dans une ville qui se prétend, non sans raison, "Capitale mondiale de la gastronomie".
Deux haltes archi-touristiques, mais incontournables: la Maison des canuts, ces ouvriers de la soie qui ont fait la richesse de la ville aux 18-19e siècles avant d'y semer la révolte... et les premières graines du syndicalisme français et européen; et un amusant "Petit musée du Guignol" consacré non seulement à ces poupées animées proprement lyonnaises, mais à toutes les formes de marionnettes de tous les coins du monde. Ça m'a rappellé le beau temps où j'écrivais pour ce genre de théâtre des "Mains de Croquemitaine" qui n'ont jamais été jouées... que par des comédiens à la télé!
Avant de reprendre le train jeudi, nous avons goûté la succulente et légère cuisine des élèves du maître Bocuse qui officiaient au restaurant de notre hôtel.
C'est à Montréal cet été que je m'étais remis au dessin et à la peinture.  D'abord quelques exercices de style pour me refaire la main, comme ces lys tigrés du jardin de la résidence dont j'ai tiré une stylisation "art nouveau" qui a paru faire grand plaisir à la voisine d'à côté, ou cette péniche parisienne pointilliste offerte à Saumart. Puis des efforts un peu plus ambitieux au pastel, dont une danseuse flamenco virevoltant sous les spots de la Vieille Casa des années 60.
J'ai poursuivi sur ma lancée peu après l'arrivée à Montpellier, encouragé par le temps maussade de cet automne atypique. Cette fois, l'inspiration m'est venue d'abord de souvenirs d'enfance à Québec, mais surtout à Trois-Pistoles. 
Vues des battures à marée basse, pêcheurs d'éperlan sur le "quai d'en-dedans" et surtout ces belles grosses goélettes pansues du Bas Saint-Laurent, dont les passages réguliers pour se charger du bois "de pulpe" qui alimenterait les moulins à papier de Québec rythmaient  l'été de notre village riverain. Me résonnent encore dans les oreilles, après soixante ans et plus, les cris des débardeurs manoeuvrant leurs crochets de fer et le vacarme étrangement musical (comme un xylophone viré fou) du déversement des billots directement des plate-formes des camions dans le ventre des bateaux, au milieu d'un nuage odorant et doré d'éclats d'écorce gavée de résine.
À Montpellier, nous avions déjà renoué avec nos voisins du dessous les Chantefort (dont la fille et la petite-fille habitent Montréal) et avec l'ami guitariste algérien Fethi, qui se produit tous les midis Place de la Comédie. Nous l'avons d'ailleurs entraîné à l'un des clous du Festival de la guitare annuel, le concert de l'exquis intrumentiste classique Aniello Desiderio.
Nous n'avons par contre pas eu la chance de revoir nos copains Mistouf et Yveline qui se retrouvent sans travail: la propriétaire de la résidence des Jardins Saint-Jaume, où ils cuisinaient avec plaisir et talent, s'est sentie forcée de fermer la salle à dîner-restaurant, faute de locataires dans l'immeuble. Quelle bêtise, alors que c'était la seule partie de son affaire qui marchait!
Et le Bum chromé? Il a eu une sortie fort réussie fin juillet en notre absence, à l'occasion du Tour de la Martinique des yoles rondes, pour lequel une entreprise locale l'avait nolisé. Il en est revenu en excellent état, nous disent nos complices martiniquais, et risque de reprendre la mer sans nous pendant la période des Fêtes. En effet, il est peu probable que nous nous rendions aux Antilles avant la fin de l'hiver, préférant rentrer à Montréal directement dans les prochaines semaines...

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