09 novembre 2012

La vie continue


À côté du politique, le quotidien poursuit son petit train-train de voyages, de rencontres, de retrouvailles et d'activités diverses (notamment gastronomiques!).
Ces dernières semaines, l'ami Dréan nous a entraînés dans deux virées gourmandes, comme pour nous faire regretter la dizaine de jours en Corse où il nous avait conviés au printemps, et où nous n'avions pas pu le suivre. La première sortie s'inscrivait sous le signe du poisson à Sète, où la Palangrotte -- de grande réputation -- fait face au principal canal qui traverse la ville en direction du vieux port. Huitres, soupe de poisson, supions sautés suivis d'une bourride de lotte ou d'un loup "a la plancha" arrosés d'un muscat sec (une merveille dont Jean-Pierre, qui croyait avoir tout goûté des vins de la région, découvrait l'existence) ont fait amplement honneur au renom de la maison.

Hier, la montée vers les garrigues d'Argelliers dans l'arrière pays, avec le copain chanteur Roland Bertier, nous a menés à une trouvaille encore plus fabuleuse.  Cachée au bout d'une petite route tordue et mal pavée, l'Auberge de Saugras occupe un ensemble d'antiques bâtiments de pierre dorée surplombant un ravin. Seule note contemporaine, une jolie piscine turquoise creusée en contrebas.
À l'étage, sept vastes chambres meublées à l'ancienne, la plupart avec balcon, invitent à la nonchalance. Au rez-de chaussée surplombant une terrasse ombragée et la petite falaise, les deux salles du restaurant, d'une convivialité bien campagnarde sous leurs arches et leurs poutres vernies. Au menu du jour, un boudin noir aux pommes qui était un pur délice (j'adore le boudin depuis toujours), suivi d'un suprême de volaille fondant nappé d'une sauce aux cèpes où nageaient aussi quelques rattes sautées au gras de canard. Azur, qui ne voulait pas suivre le mouvement, a hérité d'une foisonnante salade au cou de canard farci, puis d'une pintade rôtie avec haricots verts et ratatouille. Pour démontrer son expertise oenologique, notre hôte a sélectionné là-dessus un Mas Bruguière 2009 tout juste assez fruité. Au dessert, une énorme portion de mousse aux châtaignes avec sauce au chocolat noir... dont il n'est rien resté alors que tout le monde prétendait n'avoir plus faim. L'état d'euphorie qui s'ensuivit a même résisté à l'incontournable embouteillage du retour à Montpellier vers les cinq heures.
C'est en rentrant au Québec au début juin que nous avions eu la douleur d'apprendre la disparition d'un autre vieux copain, qui avait été un des phares de l'humour de la Révolution tranquille: Jean-Guy Moreau a été emporté brusquement le premier mai, tandis que nous célébrions la Fête du Travail boulevard Saint-Germain. Ce qui a été un dur moment pour nous a été un choc bien plus terrible pour plusieurs de nos amis -- les chansonniers Pierre Létourneau, Pierre Calvé, Claude Gauthier et le guitariste Michel Robidoux vivaient presque en symbiose avec lui depuis deux ans qu'ils avaient monté ensemble le spectacle des "Boîtes à chansons" qu'ils promenaient depuis avec un beau succès à travers le Québec. Robidoux, en particulier, en était comme assommé.
En nous réinstallant dans notre confortable appart du LUX Gouverneur, nous avons constaté que la fièvre estudiantine du printemps et la ferveur du "mouvement des casseroles" qui l'accompagnait avaient plutôt baissé, sans doute sous l'effet de la campagne électorale annoncée. D'ailleurs, la plupart de nos colocs retraités réagissaient de plus en plus mal à la vue du "carré rouge" emblématique, auquel ils étaient pourtant plutôt sympathiques il y a trois mois.  "Ça a trop duré", commentaient certains... comme si c'était la faute des manifestants!
La même chose était vraie de mon pamphlet "Refaire le monde" dont paradoxalement, à mesure que sa pertinence était confirmée par la suite des évènements, l'intérêt paraissait diminuer et pour les éditeurs et pour mes copains activistes. Normal, en quelque sorte: ce qui étaient à la mi-2011 des prédictions et des idées souvent à contre-courant devenaient, au cours de 2012, des évidences et des lapalissades.
Je persiste à croire que ma conclusion, sur la nécessité de repenser en profondeur non seulement l'économie mais surtout le système politique, demeure non seulement réaliste et proprement révolutionnaire, mais de plus en plus urgente.  Il suffit de mesurer l'essoufflement des mouvements d'indignés à court de solutions véritables ou leur récupération par diverses factions religieuses ou idéologiques, pour s'en convaincre. L'ennui, c'est que l'âge, l'absence d'appuis concrets et la dispersion des intérêts aidant, je suis moi-même de moins en moins motivé pour poursuivre ma démarche en ce sens.
Cela dit, il était difficile de déprimer au milieu d'un des plus beaux étés dont j'aie souvenance, du plaisir de renouer avec la jouissance physique de la peinture à l'acrylique et du dessin au pastel (notamment un souvenir  assez réussi de la vieille Assoç espagnole, offert à Lucia de Rubio), et entourés comme nous le sommes de voisins et amis chaleureux dont deux ont ressurgi après des décennies de silence.
Michel Lacombe, ancien confrère journaliste spirituel et quelque peu cynique, ex-mari de ma grande amie Monique Groulx, actuel compagnon de la chroniqueuse de La Presse Nathalie Petrowski et encore actif à Radio-Canada, m'a convié de but en blanc au Cherrier, sous prétexte de me soutirer des suggestions de logis et d'activités en Martinique où il planifiait des vacances avec Nathalie pour l'automne. En vérité, la conversation a vite dévié vers nos expériences passées du métier et surtout vers des anecdotes croustillantes, parfois scabreuses, sur nos multiples connaissances communes. Le tout agréablement arrosé comme il se devait.
Suzanne Valéry était comédienne, la meilleure amie d'une de mes amies quand je suis arrivé à Montréal au début des années 1960. En 63, elle tournait "La Vie heureuse de Léopold Z" avec mon bon copain de nuits blanches Guy L'Écuyer et le réalisateur Gilles Carle, dont c'était le premier film important... et dont elle était enceinte. Pendant quelques mois, elle a apporté son grain de folie comme colocataire dans mon vaste et quasi désert appartement de la rue Lincoln, avant que nous nous perdions de vue quand j'ai rencontré Azur.
Nous nous sommes croisés par hasard près d'un demi-siècle plus tard à la mort de Gilles, puis nous sommes retrouvés virtuellement peu après sur Facebook (ça sert quand même à quelque chose!). Soudain, à la fin août, elle m'appelle: "Yves Leclerc, qu'est-ce que tu deviens? Tu sais qu'on est presque voisins? On se voit quand?", exactement comme si nous nous étions parlé la semaine précédente. "On se voit tout de suite, il y a une épluchette de blé d'inde dans le jardin sous ma fenêtre, nous t'y attendons dans trois-quarts d'heure", réponds-je sur le même ton.
D'où de fort joyeuses retrouvailles autour des maïs bouillis badigeonnés de beurre (délicieux), hot-dogs grillés (moyens), bière en fût et vin au pichet typiques de ce genre de fête, avec Ingrid Saumart qui s'était jointe à nous dans l'intervalle. Encore une fois échange de savoureux souvenirs -- la plupart impubliables. Pour terminer un peu plus tard sur un digestif dans notre salon... avant que Suzanne nous quitte pour aller souper avec ses petits-enfants! On n'a plus les grands-mères qu'on avait.
Autre rappel de la belle époque, nous sommes allés une fin d'après-midi prendre un verre dans un des bars de la rue Crescent avec une copine de toujours, Nadia Fauteux. Assis sur la terrasse des Beaux Jeudis (un des rares survivants des années '60 avec son voisin le Sir Winston Pub) ,j'aperçois une plaque signalant que la ruelle voisine porte désormais un nom... celui de Nick Auf Der Maur, ancien joyeux luron des nuits montréalaises, journaliste puis personnage politique hors du commun sur la scène municipale. La première fois que tu vois une rue (même si ce n'est qu'un bout d'allée) porter le nom d'un copain de jeunesse, ça fait un assez curieux effet!

Dans l'intervalle, nous nous étions offert avec des voisins (les Lebarbé et Didier Calvet et Claudine, pour ne pas les nommer) une fiesta de homard préparée sur mesures dans la salle à dîner de l'immeuble par notre chef-maison Bruno Ferrès. Il nous avait choisi une collection de jolis bestiaux variant entre 1 1/4 et 1 1/2 livres, cuits au goût de chacun. Heureusement, dans cette résidence, personne n'est gourmand!

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