14 février 2014

Un Clin d'oeil de Geelong

Pourquoi est-on déçu d'un lieu en somme très bien, et agréablement surpris d'un autre que des gens pas plus bêtes que nous trouvent nul? C'est souvent une question de détails, de circonstances, de l'instant subjectif présent.
Nous sommes arrivés à Melbourne dans la nuit d'hier crevés, plutôt malheureux d'une insignifiante escale en Tasmanie (Burnie) dont j'attendais bien mieux. Le jour s'est levé sur un port industriel couvert d'un voile de pollution couleur moutarde qui ne laissait voir par nos hublots que le flanc d'un autre paquebot de croisière (Crystal Symphony) accosté parallèlement au nôtre. Rien de commun avec le pur délice du lever de soleil sur la Baie de Sydney, il y a six jours.
Au lieu d'un guide francophone charmant amoureux de sa ville, nous n'avons ensuite eu droit qu'à des chauffeurs de taxi asiatiques à l'anglais incertain, qui se fichaient bien des charmes de Melbourne et ne pensaient qu'à nous charrier d'un point à un autre dans le temps le plus court, à travers une circulation tonitruante et bloquée de toutes parts.
Pour être honnête, il faut avouer que la ville fait preuve d'un dynamisme impressionnant, qu'une fois traversée une banlieue portuaire d'une niaiserie toute américaine, son centre autour de Federation Square a une personnalité bien marquée, soulignée par une architecture audacieuse mais un peu cacophonique.
Nous avons trouvé un vrai plaisir à faire du magasinage dans un immense centre commercial dont l'animation fourmille plaisamment sous un dôme de verre vertigineux. Et les marchands et leurs commis faisaient preuve d'un empressement courtois qui n'avait rien d'américain.
En revenant à bord, nous avons côtoyé un parc magnifique, traversé de jolis quartiers où de belles résidences victoriennes se mêlaient dans une surprenante harmonie à de superbes maisons modernes, enfin longé un bord de mer où s'empressent villas et townhouses d'un style qui rappelle le meilleur du Vieux Miami.
Mais rien de tout ça n'arrivait à effacer la désagréable première impression... d'autant plus que celle-ci s'est trouvée renforcée par le vacarme d'un concert impromptu qui a clos la soirée sous nos fenêtres. Il pouvait tout aussi bien parvenir du paquebot voisin que des quais... mais dans notre esprit, il demeurait la faute à Melbourne!
Pourquoi, le lendemain, faire escale à Geelong juste en face sur la même baie, dont le Petit Fûté dit qu'il n'a d'intérêt que comme porte de sortie vers la Péninsule voisine de Bellarine et la Great West Ocean Road? Nous nous le sommes demandé... jusqu'à ce que, en sortant sur mon balcon peu après l'arrivée au mouillage, je découvre à mes pieds un ballet féérique: des centaines de méduses aux chevelures blanches et aux coroles translucides de couleurs pastel, certaines devant bien faire un mètre de large, se balançaient et s'entrecroisaient juste sous la surface d'une eau calme et transparente. Azur est aussitôt arrivée pour contempler avec moi cette merveille.
Après le petit déjeûner, par pur désoeuvrement mâtiné de curiosité, nous avons pris la navette qui nous a amenés à terre. Le débarquement se faisait sur un ponton flottant au coeur de la marina du Royal Yacht Club local, à vingt pas d'un Lagoon 440 qui ressemblait comme un jumeau à notre Bum Chromé. Déjà, nous avions presque le sentiment de nous retrouver chez nous. Et un comité d'accueil de membres du club et du bureau de tourisme nous a pris en charge avec une bonhommie d'autant plus efficace qu'elle ne faisait rien pour nous vendre les charmes de l'endroit.
A suivi une courte balade sur le front de mer, joliment aménagé. Il a surtout comme qualité d'être animé avec un gros clin d'oeil par une collection de «bollards», des poteaux d'amarrage sculptés et peints de couleurs vives pour caricaturer une variété de personnages locaux, depuis le petit pêcheur jusqu'à la dame patronesse en passant par un marin négociant avec une fille du port, un groupe de pompiers, des baigneurs et baigneuses de toutes les époques, des clubs sportifs (cricket, rugby, football), des soldats en uniforme de parade... Une centaine en tout, d'une même drôlerie quasi enfantine.
Un taxi nous a emmenés au Musée d'art local, où j'ai été frappé par une puissante collection d'acryliques sur le thème des «Bad Dances» d'un artiste local nommé Webb et par d'élégantes gravures en noir et blanc représentant des falaises imaginaires, puis étrangement ému par un pan de mur consacré aux peintres abstraits «hard edge» australiens dont les oeuvres des années soixante étaient étroitement cousines de celles de mes amis plasticiens montréalais de la même époque, les Mousseau, Tousignant, Lemoyne, Goguen, Marcelle Ferron, Rita Letendre...
Après une rapide tournée des (quelques) monuments notables de la ville, retour au Yacht Club dont le bar m'a servi une bière locale et un fish'N chips si délicieux qu'Azur, toute prévenue qu'elle est contre ce genre de cuisine, a immédiatement signalé à la blonde serveuse: «Moi aussi, moi aussi!».
C'est donc avec un réel regret que nous avons repris la navette... à bord de laquelle un des passagers français s'est exclamé en nous voyant: «Mais voulez-vous bien me dire ce que nous sommes venus foutre ici?»

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