07 janvier 2015

Ho, Charlie!

Je me rappelle avec émotion un lunch décontracté avec l'immense caricaturiste Cabu et sa solide et chaleureuse femme Isabelle (avec qui je travaillais pour le mag informatique VO) dans un boui-boui chinois du bd. de Belleville, au début des années 1980. Un grand souffle d'air frais qui avait illuminé un de mes nombreux séjours parisiens à cette époque. 
Et quand je me sens balayé par le tsunami d'hypocrisies qui prétend condamner le massacre de Charlie Hebdo, je ne puis m'empêcher d'imaginer l'éclat de rire cynique et les remarques caustiques dont l'auraient salué Cabu lui-même et ses collègues assassinés du journal. Les deux principales hypocrisies, étrangement symétriques: que Charlie Hebdo n'était pas anti-religieux, et que ses assassins n'ont rien à voir avec l'Islam. 
Évidemment, que Charlie Hebdo était contre les religions. Pour lui, l'humour était une arme et cette arme était résolument tournée contre ce qu'il considérait comme un ramassis d'obscènes et sanguinaires superstitions. Il s'en prenait surtout à leurs formes extrêmes, d'accord, mais n'épargnait surtout pas leurs préjugés plus «mainstream», notamment ceux contre les homosexuels et les femmes et leur tolérance pour la pédophilie. Il faut ne l'avoir jamais lu pour croire le contraire. 
Tout aussi évidemment, les religions, l'Islam en premier, sont coupables de leurs extrémistes. Elles forment le terreau qui les nourrit, fournissent les slogans et les arguments absurdes et mortifères qu'ils invoquent et s'abstiennent soigneusement de les combattre effectivement, sauf pour les dénoncer lorsque leurs excès exposent trop crûment leurs propres inepties et soulèvent contre elles, à bon droit, les peuples. L'Islam est tout aussi responsable des islamistes que le Judaïsme l'est des horreurs de Gaza et des colonies illégales et que la Chrétienté l'a été de l'Inquisition, des colonisations féroces en Afrique et en Amérique, de l'Irlande du Nord, etc. 
Une troisième hypocrisie est que la grande majorité des notables qui dénoncent vertueusement l'attentat, en France comme ailleurs, détestaient cordialement le journal et son esprit frondeur anti-establishment... sans le lire, bien sûr. S'ils avaient eu l'audace de l'ouvrir, ils auraient été atterrés de son contenu – ceux d'entre eux qui ont été obligés de le faire parce qu'il les visait directement, politiciens, imams, évêques et rabbins confondus, ont assez souvent fini par le poursuivre en justice dans l'espoir vain de le museler. On pourrait même soupçonner que ce que les trois islamistes meurtriers de ce matin ont réalisé est une chose qu'eux-mêmes se retenaient tout juste de souhaiter, par pure pusillanimité. 
Je suis profondément attristé de ce qui s'est produit... en même temps que je constate la magistrale illustration que cela constitue de la vérité philosophique trop souvent oubliée que «le prix de la liberté absolue est l'insécurité absolue», un prix qu'avaient assumé et qu'ont hélas payé mes anciens confrères. Nous avons besoin qu'on nous rappelle que les sociétés soviétique de Staline et fasciste de Franco étaient extrêmement sécuritaires... et que nos sociétés «libres» ne sauraient jamais l'être au même degré. Il faut savoir ce que nous voulons. 
Salut, Charlie, et chapeau bas!

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