20 janvier 2017

Public et privé

Il me semble évident que discuter de temps de travail et d'abolition de postes dans le secteur public est parler pour ne rien dire si on n'aborde pas sérieusement deux questions qui sont bien plus significatives: celle de la productivité des heures travaillées, et celle du partage des tâches entre secteur public et secteur privé.
Pour le premier point, le problème est très complexe. D'une part, mesurer la productivité dans le secteur public est extrêmement difficile, bien plus que dans le privé où il existe des critères objectifs. D'autre part, le public, à la différence du privé, assume des activités qui impliquent une nécessaire redondance dans l'emploi: il est clair que forces armées, police, pompiers, gardes forestiers, douaniers et bien d'autres comprennent des milliers de postes qui sont là pour parer à des urgences et à des situations exceptionnelles qui, dans le privé, seraient donc jugés inutiles. 
La même chose est vraie à un niveau moindre dans la santé et l'éducation, où l'obligation de fournir à tous les citoyens la même qualité de services malgré l'éloignement et la dispersion de la population impose un certain degré d'inefficacité dans l'utilisation du personnel. Raisonner autrement serait appliquer la même «logique» que de dire que puisque pêcheurs et agriculteurs ne travaillent que huit mois par an, on pourrait faire des économies en réduisant du tiers le nombre de pratiquants de ces métiers, ce qui est évidemment absurde.
Le second point est tout aussi important. Avant de décider de réduire les effectifs du public, il faut analyser à quel point cela permettrait de maintenir le niveau et l'universalité des services publics et, si ce n'est pas le cas, quel serait le coût réel pour les consommateurs du transfert de ces services au secteur privé. De plus, la prétention que l'efficacité du secteur privé est automatiquement supérieure à celle du public est strictement idéologique et dans de nombreux domaines, est battue en brèche par des faits vérifiables. La santé en est le meilleur exemple, où l'expérience de dizaines de pays à travers le monde, sous des gouvernements de toutes idéologies, a démontré que le rapport coût/bénéfice est nettement à l'avantage des systèmes de santé publics. La même chose est en grande partie vraie pour l'éducation, où les institutions privées ne sont viables que soit soutenues par de grasses subventions publiques, soit au prix de frais de scolarité qui les mettent hors de portée de la grande majorité des populations. Il en est de même de la recherche scientifique et technique. Et on oublie que dans le domaine militaire, les armées de mercenaires ont toujours été bien plus coûteuses que les forces nationales faites de conscrits ou de bénévoles.
Cela ne veut pas dire que le privé est inférieur au public, seulement qu'avant de couper une branche, c'est toujours une bonne idée de vérifier si elle est toujours vivante et capable de porter des fruits. Donc, d'analyser sans parti-pris idéologique les coûts et rendements comparés des deux secteurs dans chaque domaine spécifique d'activité. À cela s'ajoute l'indispensable exercice de voir comment il est possible de tirer avantage de meilleures pratiques de travail et, en particulier, de la progression rapide et constante des outils fournis par les technologies d'information et de communication pour maintenir ou même améliorer les services publics tout en en diminuant les coûts en personnel.
Ce n'est qu'après avoir répondu à ces deux grandes questions qu'on peut aborder de façon réaliste le problème de comparer les heures de travail et de réduire ou non le nombre de fonctionnaires. 
Et même là se pose une troisième difficulté, dont on ne parle jamais. L'évolution de l'économie privée depuis près de quatre décennies s'accompagne d'une grande instabilité dans le niveau d'emploi, qui se traduit par des troubles importants aussi bien dans la paix sociale que dans la consommation. Le secteur public, au contraire, se voit largement épargné par ces variations dans le taux d'emploi, et constitue une sorte de réservoir de stabilité sociale et économique non négligeable. Avant de détruire ce contrepoids institutionnel à la volatilité du chômage privé, il faudrait quand même y réfléchir un peu...

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