31 janvier 2017

Tolérance et superstition

Regretter profondément et sincèrement le crime commis à la mosquée de Québec dimanche soir ne nous dispense pas de réfléchir sérieusement, sévèrement même, sur les réalités qu'il dévoile. 
La vérité première et fondamentale, celle sans laquelle nous ne pourrons jamais vivre en paix ensemble, est que la foi de l'un est la superstition de l'autre. Pour le Musulman, quiconque ne croit pas qu'«Allah est Allah et Muhammad est son prophète» est un mécréant qui ne mérite aucun respect. Pour le catholique traditionnaliste, quiconque rejette l'autorité de Rome est soit un hérétique, soit un incroyant condamnable sans rémission et promis à l'enfer. Pour l'athée que je suis, l'un et l'autre sont des partisans de superstitions obscurantistes gravement nuisibles. Ces attitudes sont clairement irréconciliables comme telles.
Si je suivais la logique de l'un ou de l'autre, ma réaction devrait être  que lorsqu'il leur arrive ce qui s'est passé à Québec, ils n'ont que ce qu'ils cherchaient. Mais je me refuse à cette attitude. Par contre, d'aucune manière je ne pourrais «respecter» des croyances que je trouve illogiques et dangereuses pour la société où je vis. 
Alors, on fait quoi? On laisse tomber l'hypocrisie mortifère qui nous fait d'une part mépriser l'autre et, lorsqu'il est victime d'un traitement ignoble, proclamer la bouche en coeur notre «respect» pour sa croyance. On admet l'existence et l'impossibilité d'éradiquer ce qui pour nous est SA superstition... et on exige de sa part la même attitude envers la nôtre. Le Musulman doit affirmer clairement qu'il peut moralement et intellectuellement déplorer mon athéisme, mais qu'il accepte de vivre à ses côtés sans préjudice. Et en échange, je dois être d'accord pour tolérer des rites (qu'ils soient chrétiens, musulmans ou autres) que je trouve d'une absurdité ridicule en plaçant ma relation avec leurs pratiquants sur le plan de l'acceptation de notre commune humanité, le seul où un vrai respect mutuel est réalisable.
La paix et la sécurité de nos vies sont à ce prix, et à ce prix uniquement.
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(en réponse à mon ex-collègue Christiane Berthiaume, selon qui «la religion n'a rien à y voir») Tu as en partie raison, bien sûr. L'homme semble être le seul animal qui manifeste génétiquement une telle férocité pour les membres de sa propre espèce. Mais cela hélas a tout à voir avec la religion, qui est le véhicule privilégié que nous avons inventé pour justifier cette auto-détestation. Il faut lire Amin Maalouf (les Identités meurtrières) quand il explique cela en disant qu'on peut parler plusieurs langues, partager plusieurs cultures, avoir plusieurs nationalités, être un mélange de plusieurs races... mais on n'a qu'une seule religion (particulièrement dans le cas des monothéismes). C'est elle qui nous enseigne l'exclusivité et l'exclusion, le fait que les fidèles des autres dieux ont toujours tort et doivent être châtiés. Même lorsqu'elle est en apparence fondée sur l'amour (christianisme), la tolérance (bouddhisme), l'inclusivité (polythéismes), elle finit toujours par se refermer sur elle-même et par faire croire à ses pratiquants qu'ils sont supérieurs au reste de l'humanité. Celles qui ont graduellement échappé à ce vice inné, à l'époque moderne, ne l'ont pas fait d'elles-mêmes, mais sous la pression d'une idéologie qui était extra-religieuse et souvent anticléricale, celle du Siècle des Lumières de Diderot, Voltaire, Montesquieu... Triste, mais vrai.
Mon intention n'était pas de critiquer les religions, je voulais simplement réfuter l'affirmation que cela n'a «rien à voir avec la religion». La clé de mon argument n'est pas là, elle est dans la simple phrase: «La foi de l'un est la superstition de l'autre», y compris la mienne, bien sûr. Et pour moi, il ne fait aucun doute que le refus de cette évidence est un des éléments importants du climat qui rend possibles de telles barbaries. Pour en sortir, il faut que chacun de nous, au nom de notre humanité commune, accepte de tolérer les superstitions de tous les autres, même s'il continue à les considérer comme telles. De là à les «respecter», il y a une énorme marge que je ne demande à personne de franchir, n'étant pas sûr que moi-même je pourrais. Le racisme et l'anti-islamiste sont de fausses pistes ou des manifestations partielles de l'intolérance globale qui est le vrai coupable. Les Juifs hier, les Musulmans aujourd'hui, ailleurs les Chrétiens ou d'autres en sont parfois les victimes, parfois les responsables. C'est vrai que c'est difficile et délicat à dire, mais je pense que c'est dans de telles circonstances tragiques qu'il faut avoir le courage de le faire... non pas d'attendre que ça se calme et que tout le monde ait envie de penser à tout autre chose.

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