02 mai 2020

Retour à la «normale»? Mais laquelle?

Si on regarde la courbe mondiale de la croissance des infections et des décès dus à la pandémie (par exemple sur wordofacts.info) elle ne varie pratiquement pas d'un iota: toujours aussi obstinément pointée vers le haut, suggérant que d'ici l'été on atteindra la dizaine de millions de malades, le million de morts.
 Les cas d'"aplatissement" des deux courbes sont soit locaux ou régionaux, soit dans les seuls pays les plus gravement atteints tôt dans la progression de l'épidémie. Ils sont contredits par des augmentations déjà en cours ou projetées dans les régions du monde moins atteintes (Amérique Latine, Europe de l'Est, sous-continent Indien, Afrique...). De plus, ils sont plus ou moins fiables, si l'on se fie aux enquêtes menées aux USA par les NY Times et le LA Times, en Europe par Le Monde: les chiffres réels seraient nettement plus élevés, car les statistiques officielles provenant surtout des hôpitaux ne comprennent souvent pas les morts à la maison ou dans les résidences pour aînés, qui grossiraient le total d'au moins 40%.
Alors à quoi correspond cette volonté manifestée aussi bien par de nombreuses autorités que par certains segments (les moins atteints, les plus ignorants?) des populations de baisser la garde des précautions raisonnables pour tenter de revenir précipitamment à une «normalité» possiblement mortifère et presque certainement illusoire?
 Il y a à cela deux explications principales: la panique émotionnelle face à une menace pour laquelle nous n'avons pas vraiment de remède et n'en aurons pas dans le proche avenir (nonobstant les mirages qu'on nous fait miroiter), le désespoir économique causé par la fragilité évidente et tragique d'un système d'emploi, de production, de distribution et de consommation qui prétendait assurer notre bien-être et souvent notre survie.
 Dans les deux cas, nos gouvernants (du moins la grande majorité d'entre eux) sont en partie responsables, pour n'avoir pas su prévoir ce qui nous pendait au bout du nez, aussi bien socialement et financièrement que médicalement, et pour n'avoir pris que trop tard et trop peu les mesures qui s'imposaient. Mais de loin le principal coupable est un régime politico-économique qui a totalement oublié que «gouverner, c'est prévoir».
 Nos sociétés dans leur ensemble ont favorisé systématiquement une fuite en avant vers la croissance et l'enrichissement à tout prix aux dépens de la sécurité et de la solidité, qui exigeaient des mesures coûteuses et, sur le moment, peu populaires d'accumulation de réserves vitales, de développement de structures alternatives capables de résister à des catastrophes imprévues, de soutien plus vigoureux aux catégories plus vulnérables des populations (les "sept vaches grasses" de Moïse).
 D'ailleurs, il est intéressant de voir où et comment prétend s'orienter le «retour à la normalité»: d'un côté, la réouverture prématurée et risquée de commerces de confort et de plaisir dont la justification première est non pas leur utilité, mais leur capacité de relancer une consommation difficilement justifiée mais jugée indispensable à la «santé économique»: restaurants, bars, coiffeurs, boutiques de mode... Et de l'autre côté, l'abandon d'un sentiment de solidarité et d'union nationale plutôt artificiel pour une reprise des querelles de parti, des accusations, des recherches de coupables, des manoeuvres politiques partisanes... (Je fais exception pour l'idée de rentrée scolaire graduelle, qui paraît plus justifiée et moins dangereuse)
 Je dois dire que vue de l'observatoire un peu particulier de mon âge et d'une sécurité que j'apprécie de plus en plus face aux dangers qui nous menacent toujours, cette «normale» vers laquelle on veut à tout prix nous ramener au plus vite ne me paraît pas aussi attirante que je l'aurais d'abord cru.

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