31 octobre 2010

De Melk aux palais de Vienne

(26 octobre 2010) Au lever samedi, le temps s'est de nouveau gâté et nous avons passé une partie de la journée à voir depuis le bar de proue défiler les rives hongroises du Danube.

Soudain, surprenant, apparaît un canoë manœuvré par deux vigoureux pagayeurs qui nous saluent de la main. Ils sont suivis de deux, puis quatre, puis une dizaine d'autres qui s'escriment contre courant, bruine et vent glacé. Des courageux.
Bratislava, en Slovaquie, est une ville moyenne, un peu plus grande que Québec ou Ottawa, qui paraît encore éberluée d'avoir été propulsée de son statut de gentille métropole régionale à celui de capitale d'un nouveau pays. Sa grande "Place de l'Opéra" est sympathique mais sans grande personnalité, s'étirant en une longue allée ombragée qui ne mène nulle part. C'est seulement quand on s'enfonce deux ou trois coins de rue plus loin dans le quartier le plus ancien pour atteindre la charmante mais résolument provinciale Place de l'Hôtel de ville qu'elle prend vie et dévoile son caractère attachant.
En soirée, un groupe folklorique local (quatre musiciens, deux danseurs) vient nous offrir un spectacle très professionnel, mais manquant un peu d'âme, surtout comparé à celui des truculents Bulgares il y a quelques jours. Même la finale tzigane a quelque chose de conventionnel.
Dimanche au réveil, nous nous retrouvons amarrés près de l'embouchure du Canal du Danube, en plein Vienne. D'où nous sommes, la ville a bien changé (nous aussi!) depuis notre premier et seul passage, à l'été 1972.
Le matin, par un temps maussade, tournée classique du Ring et des grands monuments -- je pourrai ajouter l'Opéra de Vienne et la puissante flèche du Stephansdom à ma collection déjà bien fournie de célèbres édifices enveloppés pour rénovation!
Heureusement, Sacha, chauffeur de taxi russe et artiste peintre quand il le peut, nous balade pendant une petite heure dans des coins pittoresques mais moins fréquentés, notamment le Stadtpark (jardin municipal) populo avec ses cafés relax, le très curieux HLM "Hundertwasser"
aux murs asymétriques de couleurs vives percés de fenêtres de toutes les tailles et de toutes les formes et le quartier bohème aux façades ornées de fresques Art Nouveau tout à fait réjouissantes. Si on pouvait comprendre trois mots à ses explications données dans un anglais approximatif mâtiné d'allemand à la sauce moscovite, ce serait encore mieux.
Malgré la tentation des multiples cafés et brasseries, nous rentrons à bord pour le lunch et une bonne sieste, en prévision d'une soirée hors de l'ordinaire. À la brunante, un défilé de limousines nous emmène vers la porte cochère du Palais Pallavicini (emballé pour rénovation lui aussi), où nous attend une soirée viennoise à la Tauck.
Cela commence par l'escalade des trois premières volées d'un grand escalier monumental, au sommet duquel une escouade de laquais en tenue de soirée nous tendent flûtes de champagne ou de bellini, un coquetel des années folles composé de purée de pêche, de marasquin et de mousseux que j'avais goûté une seule fois, jadis, à Venise.
Dans une salle de réception aux multiples glaces et dorures rococo, un trio nous joue du Mozart et du Schubert, en attendant que le maître d'hôtel ne nous guide vers la grande salle à dîner où sont dressées une dizaine de tables dans le grand style sous un plafond d'au moins six mètres de haut d'où pendent des lustres de cristal.
La cuisine, il faut l'admettre, est à la hauteur du décor. Amuse-gueule au caviar et au foie gras, consommé célestine au xérès, délicieux veau rôti en sauce au vin... Les serveurs circulent, discrets mais omniprésents, bouteilles à la main, remplissant les verres avant même qu'ils ne soient à moitié vides.
Le trio classique, renforcé d'une section cuivres et bois, continue sa sérénade appuyé par moments par un couple de danseurs de ballet, un ténor d'opéra et une comédienne-chanteuse d'opérette (viennoise forcément) en fourreau rouge fendu jusqu'à la cuisse, à la Marlène Dietrich, qui fait également fonction d'animatrice. Nos co-passagers masculins sont émoustillés, les dames flottent sur un petit nuage -- Azur comprise.
Même le retour au bateau, en partie à pied à travers le quartier archi-romantique du Palais Hofburg et de l'Albertina, contribue à prolonger l'enchantement.
Il pleut sans discontinuer sur le Danube le lendemain. Quelques braves vont bien visiter le village médiéval de Durnstein, mais nous restons à bord bien au chaud en attendant la célèbre abbaye de Melk, notre dernière escale autrichienne. L'averse et les multiples marches à gravir et à dévaler découragent Marie-José, mais je décide d'y aller quand même: depuis mes lointaines études de philo que j'en entends parler (plusieurs des philosophes scolastiques y sont passés), sans compter la curiosité de voir la fameuse bibliothèque qui a servi de modèle à Umberto Eco pour celle du "Nom de la rose".
Pour être honnête, je suis un peu déçu. L'ensemble a beaucoup de gueule vu de loin, mais la plus grande partie de l'édifice originel a été détruite dans un incendie et reconstruite en style baroque. De plus, la première moitié de la visite consiste en la traversée commentée d'un musée bien fait, mais moderne, qui relate en beaucoup trop de détail un historique qui ne correspond plus à rien.
Restent la bibliothèque, miraculeusement préservée avec ses 1800 manuscrits et 100.000 livres anciens, quelques très beaux tableaux du Moyen-âge et de la Renaissance, un immense balcon offrant une vue superbe sur toute la région, et l'église abbatiale, impressionnante par ses décorations.
Sans compter tous ces maudits escaliers et la pluie froide qui martèle mon parapluie...
Mardi, arrêt prolongé à Passau, au confluent du Danube, de l'Inn et de l'Ilz (eaux brune, verte et noire). Jolie petite ville un peu endormie, hantée par la menace de fréquentes et parfois catastrophiques inondations du Danube qui ont plusieurs fois saccagé son bas-quartier. Ce qui, combiné à quelques incendies et invasions, fait que les édifices vraiment anciens y sont rares; le "Vieux Quartier" date surtout des années 1660-1680 et fait un peu penser au Vieux-Québec, son contemporain.

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