05 avril 2015

Dans le bain, la fête!

C'est une des plus jolies et plus anciennes traditions de la vie martiniquaise... et un de nos plaisirs éminents quand l'occasion s'en présente. On se rend en bande au François, sur la côte atlantique, d'où une barque (généralement de pêcheur) vous emmène plonger à l'autre bout de la baie, entre les îlets Oscar et Thierry, près de la vaste courbe où la barrière de corail fait mourir dans une frange d'écume toute blanche les longues vagues de la houle océane. 
Ici, l'eau est toujours calme, à peine ridée par les plus forts coups de vent, et d'une imperturbable et magnifique teinte émeraude assombrie ici et là de violet profond. Sauf en son centre, où une tache ronde d'une douzaine de mètres scintille d'un turquoise presque blanc. L'ensemble, ce sont les Fonds blancs, le cercle clair, la Baignoire de Joséphine. 
Il paraît que dans sa jeunesse, vers 1770, la future Impératrice de Napoléon venait ici en calèche à cheval des Trois-Îlets avec ses amies filles de planteurs, faire trempette loin des regards indiscrets. Par la suite, les békés (grands patrons blancs des sucreries et rhumeries) ont pris la douce habitude d'y flâner dans l'eau cristalline jusqu'à la poitrine pour trinquer au ti'punch avant d'aller pique-niquer sur les plages voisines.

Telle est la coutume que j'ai immortalisée dans un récent autoportrait à l'aquarelle et que nous avons tenu à respecter avec une légère variante jeudi pour notre 51e anniversaire en compagnie d'Évelyne et Jean. Nous avons d'abord effectué une descente sans histoire ou presque le long de la Caravelle, puis en piquant directement vers le sud au large des baies du Galion et du Robert (la brise avait eu la bonne idée de se remettre à l'est-sud-est) en évitant une inquiétante collection de grains gris et pluvieux qui remontaient plus au large. 
 Peu avant midi, nous nous glissons entre les récifs et coraux qui ceinturent la côte pour pénétrer dans les eaux calmes mais plutôt encombrées d'îlots, de bouées, de bancs de sable et de canots à moteur de la Baie du François. Le cousin Daniel, qui habite la commune voisine, nous a donné rendez-vous pour un lunch «les pieds dans l'eau» chez Le Roy Mongins, sur l'Îlet Oscar.
 L'accostage au fragile ponton du restaurant, fait pour les canots et les petites barques à fond plat, pose quelques problèmes aux 13 tonnes de notre catamaran, qu'il faut retenir à grand-peine d'écrabouiller les pilotis, mais nous parvenons à débarquer sans trop de casse pour nous retrouver devant une collection de «carbets», ces spacieuses paillottes héritées des Indiens Caraïbes: un pour la cuisine, un pour le bar, deux ou trois pour la salle à dîner... et un pour la discothèque animée par un zouk bien appuyé. 
Les boissons à volonté accompagnent un buffet créole varié et savoureux que nous partageons avec David et Louisa, un couple de nouveaux-mariés mi-martiniquais, mi-parisiens, autour d'une grande table à bancs sous les cocotiers, à cinq pas des eaux vert pâle. 
 Au milieu de l'après-midi, un des canots du restaurateur – qui tient sans doute à protéger ses pilotis contre un nouvel assaut – nous dépose à bord, où je convaincs Marco de faire prudemment glisser le cata sur les eaux claires mais peu profondes (1,4 à 2,2 mètres à peine) des Fonds Blancs, pour jeter l'ancre sous la falaise de l'Îlet Thierry, à quelques brasses de la Baignoire, déjà occupée par une trentaine de fêtards. Sitôt après leur départ, peu avant le coucher de soleil, l'annexe nous y amène à notre tour. Une fois les pieds dans le sable et la poitrine chatouillée de vaguelettes, Twiggy nous tend des gobelets bientôt remplis d'un fort bon «vieux» Clément. Un peu bravache, je rentre à bord à la nage, tandis que mes compagnons, plus raisonnables, reprennent l'annexe. Pour compléter une journée hors-normes comme la Martinique sait parfois nous en ménager, rien de tel que le fin champagne que nos amis avaient mis au frais la veille pour célébrer notre anniversaire.

Le Vendredi Saint, en comparaison, a été plus routinier, quoique fort agréable: le vent a de nouveau collaboré, virant encore un peu plus à l'est, pour nous permettre de descendre à un près raisonnable et assez rapide juste à l'extérieur de la barrière de corail. Celle-ci s'étend jusqu'à la plage des Salines, où quelques dizaines de familles étaient déjà en train de dresser les tentes de couleurs vives dans lesquelles elles allaient fêter le week-end pascal au bord de la mer, comme le veut la coutume. 
Un dernier mouillage, au large du bourg de Sainte-Anne à la demande expresse de Marie-José, a été l'occasion du traditionnel dîner d'acras, poisson frit et légumes-pays de fin du Carême. Puis retour au point de départ et accostage ultime au ponton 6 de notre Marina du Marin.
 Adieux (temporaires, espérons-le) avec le capitaine Marco, puis hier matin avec Évelyne et Jean, qui reprennaient l'avion du Lamentin vers les neiges (si, si, si!) de Montréal. Mercredi, ce sera notre tour, après un matoutou (crabes de terre et riz) chez Raymond Marie pour marquer ce midi la Pâque, un dîner demain avec les voisins et amis du Marie-Joseph et une virée au Diamant mardi pour saluer la famille (vive ou défunte). Bye-bye le farrniente marinois et les aises vagabondes du Bum chromé, bienvenue à bord du MSC Musica, dont les près de 90 000 tonnes et les quinze ponts vont nous emmener de Fort-de-France à Venise, après une dizaine d'escales aux Caraïbes, en Atlantique et en Méditerranée.

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