28 avril 2015

Trois petits pays...

Mon intérêt pour Malte s'est développé par des voies bien indirectes. D'abord la lecture, adolescent, du «Faucon maltais» de Dashiell Hammett puis le visionnement du film classique (avec Humphrey Bogart) qui en a été tiré. Ce vieux pirate de Jean-Marie Deschamps, dans les années soixante-dix, m'a ensuite communiqué sa passion pour les aventures, dessinées par Hugo Pratt, de Corto Maltese. Enfin, deux visites du spendide palais des Chevaliers de Rhodes (devenus après déménagement les Chevaliers de Malte) à une dizaine d'années d'intervalle ont piqué ma curiosité pour le passé mouvementé de l'île et de ses habitants. 
Je savais donc pas mal de choses à leur sujet et mes attentes étaient élevées en conséquence, longtemps avant que la proue du MSC Musica ne pointe, samedi dernier à l'aube, à l'entrée du Grand Port de La Valette... mais je ne risquais pas d'être déçu. 
Lorsque nous avons pénétré dans la rade, un soleil rosé colorait à peine les murailles massives de pierre ocre clair du Fort Saint-Elme et les façades antiques et variées de la petite ville qui le prolonge. Du pont supérieur du paquebot, je contemplais un fascinant tableau en relief, composé de couches sédimentaires successives comme le frontispice d'un grand livre illustrant des siècles d'histoire de la Méditerranée centrale. Aucune arrivée par la mer ne m'avait sans doute autant impressionné depuis Sydney, en Australie l'an dernier, et bien avant cela, le blanc amphithéâtre géant de l'Alger des années 1980. 
Sachant que nous devions reprendre la mer assez tôt pour la longue traversée vers Corfou, nous avons débarqué en début d'avant-midi pour affréter un taxi un peu bougon — mais bien informé et pas trop loquace — qui nous a fait goûter les charmes diminutifs mais réels d'une des plus petites capitales du monde: moins de 7000 habitants! Fort Saint-Elme, palais et auberges des Chevaliers, impressionnant Musée d'archéologie, hauts jardins de Barrakka... 
Malgré des millénaires de catastrophes naturelles, de destructions massives, d'invasions féroces et de soulèvements populaires, chacune des vagues de civilisation qui ont balayé l'île semble y avoir laissé des traces, depuis les primitifs du néolithique en passant par les Phéniciens, les Carthaginois, les Romains, les Normands venus de Sicile, les très multinationaux Chevaliers de Malte et les Français de Napoléon jusqu'aux Anglais qui leur ont succédé avant l'indépendance des années 1960. 
Nous avons ensuite pris la route de l'intérieur à travers un paysage aride en contraste avec le foisonnement floral de la ville et de ses banlieues, jusqu'à une des curiosités locales, la cathédrale de Mosta, dont le dôme, le troisième plus vaste en Europe après Saint-Pierre de Rome et Saint-Paul de Londres, peut sans doute loger toute la population de la ville microscopique qu'elle dessert — avec une bonne cargaison de touristes en prime! 
 Le chauffeur a eu beau jeu ensuite de nous affirmer qu'ici, les gens sont très-très catholiques... et pas discrètement: c'est la première fois que je voyais des confessionnaux entièrement ouverts sur l'extérieur, si bien que tout curieux assis à portée de voix peut voir et entendre les confidences des confessés et les remontrances des confesseurs. Édifiant et, pour notre cicerone, parfaitement normal. 
Plus intéressante était la suite, une flânerie à pied à travers les rues proprettes et les charmantes ruelles aux murs vieil or et aux noms quasi arabes (le malti, le parler local des 400 000 habitants, est une langue sémitique quoique écrite en alphabet latin) de Mdina, l'ancienne capitale médiévale restaurée presque en l'état. Elle était étrangement peuplée ce jour-là de figurants en costumes victoriens archi britiches, mélangés avec des militaires très italiens de la même époque: Charles Dickens fraternisant avec le Guépard! Avec comme fond de scène typiquement méditerranéen une splendide cathédrale baroque flanquée de mini-palais, des petites places ombreuses bordées de cafés vieillots... 
En remontant à bord, j'ai attrapé une bouteille de Kinnie, un soda à l'orange amère et aux herbes, plutôt agréable, qui est la boisson favorite des Maltais. Il faut dire que l'eau est une denrée rare dans ce pays: terre plate et sèche, Malte n'a pratiquement pas de rivières, de très rares sources naturelles et doit dessaler à grands frais toute son eau potable. 
Le lendemain dimanche, escale à Corfou, où étions déjà passé mais sous une pluie battante qui nous avait en grande partie empêchés de l'explorer. Grecque en principe, l'île et sa capitale forment presque un pays à part, un improbable métissage de vénitien et d'anglais avec le substrat helllène, sans compter des traces d'influence autrichienne datant du 19e siècle – l'impératrice Sissi (de grand renom cinématographique grâce à Romy Schneider) y avait sa résidence d'été. C'est sûrement ce qui a incité bon nombre de «beautiful people» de son époque, aussi bien allemands et hongrois qu'anglais et viennois, de venir à leur tour s'y prélasser, en faisant un prédécesseur huppé de la Côte d'Azur française et de la Riviera italienne. 
Hier mardi, un autre «mini-pays» qui nous a pris par surprise: Topor, au Montenegro, se niche au fond d'une succession de trois baies étroitement fermées encadrées de falaises abruptes qui constituent un véritable fjord à la norvégienne au beau milieu de l'Adriatique. Avec sa culture originale issue d'un remarquable passé de commerce maritime et son propre micro-climat tempéré, très agréable même à la fin avril. 
La petite ville, plusieurs fois reconstruite presque entièrement suite à une série de tremblements de terre et de glissements de terrain, est jolie sans plus, mais le cadre de hautes montagnes aux sommets parfois enneigés est stupéfiant... et la cuisine à base de poissons et de fruits de mer locaux est digne de tous les éloges. Une découverte d'autant plus notable que nous avons la forte tentation de faire aujourd'hui l'impasse sur Dubrovnik, notre avant-dernier accostage avant l'arrivée à Venise. 
Ce n'est pas que la forteresse maritime croate ne vaille pas le coup, mais simplement que nous y sommes déjà venus (la dernière fois il y a un an à peine) et que la fatigue des trois semaines de croisière commence à se faire sentir – nous tenons surtout à ménager nos forces pour les quatre jours que nous comptons passer dans les calli et campi vénitiens...

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