17 avril 2015

En avant la Musica!

Nous voici de nouveau à bord, pour une grande traversée... mais qui n'a rien à voir avec le Bum chromé. Notre «embarcation» actuelle est une chambrette de 17 mètres carrés (avec balcon, cependant) perchée au 12e des 15 étages d'un monstrueux paquebot de près de 90 000 tonnes transportant 3100 passagers et un millier de membres d'équipage, le MSC Musica. 
Nous sommes montés à bord mercredi dernier au terminal des croisières de Fort-de-France, avec une rapidité et une facilité déconcertantes: un personnel souriant, polyglotte et compétent nous a pris en charge dès l'arrivée sur le quai pour nous guider jusqu'à notre petite mais confortable cabine. Tout le contraire du tohu-bohu auquel nous nous attendions, et que les mauvaises langues nous avaient prédit. 
C'est le cousin Daniel qui nous a amenés du Marin après une rapide expédition de courses de dernière minute dans la capitale martiniquaise, précédée d'un excellent repas créole en sa compagnie dans la jolie salle à dîner syle rétro de l'hôtel Impératrice, qui nous a ravivé de bons souvenirs de séjours anciens... 
Le seul hic une fois rendus est que nos bagages (pourtant légers) ont été bloqués pendant trois heures à l'embarquement, pour une «raison de sécurité» demeurée mystérieuse mais que je devine: ils contenaient deux bouteilles de rhum interdites, le Depaz XO cuvée du planteur 1990 acheté la semaine dernière sur les hauteurs de Saint-Pierre et un Hardy Tartane paille, plus récent mais indispensable pour offrir un vrai ti-punch à nos copains de Montpellier le mois prochain. 
 Nous avons fini par récupérer le tout, rhum inclus, au retour «chez nous» après un premier fort bon souper à l'italienne avec deux couples de français, un ingénieur maritime des chantiers de Saint-Nazaire et un Breton féru de voile et leurs compagnes. Ils doivent être nos compagnons réguliers au souper pendant toute la traversée, une agréable perspective. 
Le choix de la croisière est une idée d'Azur, que la nécessité d'un long vol de nuit des Antilles à Paris n'enchantait pas. Le Musica, de la ligne italienne MSC, s'imposait, car c'était le seul paquebot dont la «croisière de repositionnement» printanière vers l'Europe partait directement de Fort-de-France. De plus, même si le navire n'a pas le statut de luxe de nos habituels Seabourn et Holland-America, le parcours est plutôt séduisant: un zigzag à travers les îles voisines (Sainte-Lucie, Guadeloupe, Dominique, Barbade) puis une escale à Madère que nous aimons bien, et une balade en Méditerranée de Gibraltar à Venise. Nous reverrons Malaga, hâtivement traversée il y a des décennies, Corfou, Dubrovnik et la Sérénissime où nous sommes passés il y a tout juste un an. Nous découvrirons Malte (un vieux rêve à moi), le Montenegro et la Slovénie, et surtout nous retrouverons à Majorque une vieille amie, Yvonne Cotton, que nous n'avons pas revue depuis notre altercation avec les pirates somaliens au large d'Aden il y a bientôt dix ans (voir un chapitre précédent du blogue). 
Il nous a fallu un bout de temps pour trouver nos repères à bord: quatre restaurants, une dizaine de bars répartis sur quatre étages, au moins autant de boutiques, deux grandes piscines et une demi-douzaine de puits d'ascenseurs. Sans se comparer à ceux de Seabourn, les services sont étonnamment efficaces et chaleureux, avec l'attrait supplémentaire d'un personnel fortement multilingue: la grande majorité des serveurs et préposés à la clientèle parlent de quatre à six langues, dont un bon tiers le français. Et malgré leur nombre et leur dispersion, nous croisons souvent quelques favoris, le chilien Eduardo, la dominicaine Carina qui parle bien sûr créole, une rondelette et joviale blonde hollandaise, une minuscule et efficace philippine à l'excellent français mais à l'accent inénarrable, etc. 
Nos amis hexagonaux peuvent faire la fine bouche, mais la cuisine est d'une qualité plus qu'acceptable, pourvu qu'on accepte son orientation foncièrement italienne: excellents potages, bonnes charcuteries, pâtes et pizzas superbes. Par contre, les poissons sont ordinaires et les fruits de mer décevants, le veau et le poulet l'emportent clairement sur le boeuf et le porc. Il en va de même pour les vins, où les crus de la Péninsule sont très majoritaires et les rouges supérieurs aux blancs et aux rosés. Nous avons eu droit entre autres à un barbaresco 2010 digne de tous éloges... à un prix à peine supérieur à ce que nous aurions payé à la SAQ ou chez un caviste français. 
Une surprise sympathique: le comptoir à sushis d'un raffinement remarquable offre des produits frais et goûteux dans un décor exotique et intimiste, qui nous changent bien à propos de l'ordinaire et des salles à perte de vue des restaurants principaux. Et une autre: l'Enoteca, un bar à vins qui propose une palette variée de vins, bières et cidres à la bouteille ou au verre, accompagnés de hors d'oeuvre, le tout flanqué d'un piano-bar où officie un chanteur qui mélange bel canto, standards de Sinatra et Perry Como et vieux succès des Beatles, de Neil Young et des Papas and the Mamas... 
Nous n'avons pas mis pied à terre à Sainte-Lucie pour cause de récupération des fatigues du départ, ni (à mon grand regret) à la Dominique par paresse pure. Par contre, à Pointe-à-Pitre, je me suis offert une tournée du voisinage du port, notamment le marché haut en couleurs, la pharmacie-parfumerie la pluus proche et une grande librairie bien fournie, où j'ai déniché le dernier Fred Vargas (»Les Temps glaciaires», pas mal du tout) et une trousse de feutres à l'eau et de crayons aquarellables au cas où l'inspiration me rattrapperait. 
Notre seule vraie sortie, avant les cinq jours de navigation ininterrompue à travers l'Atlantique, a été la Barbade, la seule des Petites Antilles où nous n'avions jamais accosté. Le moustachu et disert taxi Ronald, choisi au hasard parmi ceux qui faisaient la queue au débarcadère, nous a brinquebalés dans sa Skoda exiguë par des chemins improbables au milieu d'une délicieuse île encore très folklorique malgré un tourisme en explosion. 
Côte sud aux plages roses coupées de villages de pêcheurs qui rappellent ceux de la Martinique il y a 45 ans. Élégante sucrerie de vieille pierre aux pelouses veloutées piquées de massifs explosant de fleurs vives sous des arbres géants. Somnolente église St. John's de style gothique anglais au cimetière verdoyant parsemé de caveaux moussus à demi enterrés, vers lesquels descendent de petits escaliers mystérieux. Remontée par la côte atlantique à travers les champs de canne éclatants de lumière et les prairies semées de vieux bosquets presque irlandais, jusqu'à un magnifique belvédère rustique d'où, en buvant un jus de mangue frais fait, on doit voir au moins les trois-quarts de toute l'île. Trois heures et demie de béatitude... 
Au retour à bord, nous avons appris que nos compagnons de croisière qui, par prudence, s'en étaient tenus aux excursions standards proposées par MSC n'en avaient pas vu autant, dans un inconfort encore plus grand... et en payant un peu plus cher. Parfois, l'expérience des coins perdus et les petites audaces des Bums chromés, ça rapporte...

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