23 juillet 2008

29 juin 2008

Deux jours et deux nuits à Carcassonne, ça ne sera vraiment pas de trop. Autant pour avoir la chance de tout voir que pour le répit que ça nous offre après cinq jours sur la route.
Nous étions partis mercredi vers midi de Montpellier pour piquer ves les garrigues et l'arrière-pays. On voulait démarrer plus tôt, mais entre le temps qu'il a fallu à Marie et Jean pour récupérer la voiture de location (une immense Peugeot 807 hyper-automatisée), les bagages, la fermeture de la maison, etc., on a pris une bonne heure de retard sur l'échéancier prévu.
De plus, entre l'imprécision des panneaux routiers et les incertitudes d'un GPS tout neuf que nous ne maîtrisons pas encore, nous nous sommes deux fois trompés de route et nous sommes retrouvés à l'opposé de notre itinéraire planifié, sur le chemin du littoral menant à Frontignan et Sète. Joli-joli, mais imprévu et surtout beaucoup plus long. C'est finalement bien après 13h que nous retrouvons la nationale menant vers Gignac et notre premier arrêt souhaité, le lac de Salagou.
Sur la grand-place de Gignac, tous les restaurants sont en train de fermer. Par bonheur, la patronne du Brasier nous prend en pitié et nous offre de nos nourrir... à condition que tout le monde mange la même chose, un jambon paysan en entrée puis le canard aux olives, spécialité du chef et plat du jour, heureusement excellent.
Nous reprenons une petite route tout en lacets et en brusques virages, pour laquelle la carte routière n'est pas d'un grand secours malgré les efforts méritoires de Marie agissant comme co-pilote. Nous devons de plus en plus nous fier au GPS, dont les sautes d'humeur (dues en grande partie à notre manque de connaissance de son fonctionnement un peu idiosyncratique) nous incitent à le surnommer Fantasio, d'après l'inséparable complice du Spirou de notre enfance.
Le lac de Salagou est en réalité un réservoir de barrage, et nous avons de la difficulté à imaginer comment il a pu trouver place dans les guides touristiques. C'est strictement un plan d'eau artificiel sans personnalité, où les locaux peuvent faire la saucette et du pédalo. Ne valait décidément pas le détour.
Et dire que ce détour nous aura fait presque rater le Cirque de Mourèze, un dédale fantastique de rochers aux formes étranges que nous atteignons presque au coucher du soleil, bien trop tard pour effectuer une des balades fléchées à travers ses merveilles. Nous nous consolons avec la vue superbe du belvédère à l'entrée, avant de continuer jusqu'à notre première étape, Pézenas.
Le Grand Hôtel Molière où nous voulions coucher est plein à craquer; je dois faire tout plein de charme (ce qui impressionne Marie et Jean, peu au courant de cet aspect bien caché de ma personnalité) pour persuader la réceptionniste de nous dénicher une solution de rechange. Après trois ou quatre appels, elle nous trouve deux chambres à l'Hôtel Genieys, un deux-étoiles vieillot mais confortable et doté d'un parking intérieur, pas très loin. Le style "décor de vieux film" où on s'attendrait à avoir Louis Jouvet comme voisin de palier et Arletty comme réceptionniste!
Nous prenons une bouchée sous la marquise déployée au-dessus d'un coquet jardin intérieur. Marie et Jean, moins fatigués que nous, décident d'aller voir le centre-ville. Vers les 22h30, un vacarme se déclenche au-dessus de nos têtes, qui fait penser à un combat d'hélicoptères dans Apocalypse Now. 
Pas si fausse, cette impression: il y a bien combat, et il y a bien hélicoptères. C'est au petit déjeuner jeudi que Jean me raconte le fin mot de l'histoire, à laquelle lui et Marie ont assisté aux premières loges. Des bus chargés de vignerons en colère ont débarqué en milieu de soirée en plein coeur de Pézenas, en provenance de Montpellier. Ils se sont aussitôt mis à manifester bruyamment et parfois violemment, difficilement contenus par un cordon de CRS dépêchés d'urgence, tandis que des hélicos militaires surveillaient (et sans doute filmaient) la scène. Un joyeux brouhaha, dont nos compagnons de route n'ont pu s'échapper que vers une heure du matin pour rentrer à l'hôtel.
Pézenas est un très joli bourg médiéval où tout tourne autour de deux choses: Molière et les ateliers d'art. Ces derniers sont une variante moderne d'une tradition séculaire; une foule d'artisans de toutes sortes, ébénistes, relieurs, graveurs, ferronniers, luthiers, émailleurs, tisserands, etc. ont réinvesti le vieux quartier et transformé en boutiques élégantes et parfois un peu anachroniques les antiques échoppes qui constituaient les rez-de-chaussée habtuels de maisons des 13e-16e siècles très bien consevées et rénovées. Un vrai délice pour les yeux et le toucher. J'y passe une bonne heure avec Jean à flâner et photographier, tandis que Marie et Azur se prélassent au lit.
Quant à Molière, il a effectué ici quelques séjours avec sa troupe et y a écrit plusieurs de ses pièces des années 1650, qu'il jouait dans la cour de l'hôtel particulier de son protecteur, le Prince de Conti (si mes souvenirs sont bons).
Après Pézenas, Béziers, que nous explorons (trop) rapidement avant de déjeuner dans une délicieuse cour intérieure sous un bel olivier. Puis Narbonne, d'où nous piquons vers la mer et le port en "circulade" de Gruissan, dont la plage est hélas si achalandée et la mer si éloignée que nous décidons de ne pas nous baigner. Jean et Marie escaladent l'espèce de sentier de chèvre menant aux ruines du château-fort, tandis qu'Azur et moi devons endurer le verbiage bien gentil mais interminable d'un vieux du pays, d'autant moins compréhensible qu'il passe fréquemment sans s'en rendre compte du français à l'occitan et retour.
La Résidence, notre gîte narbonnais, est un bel hôtel ancien splendidement rénové, mais sans bar ni salle à dîner. Nous partons tous les quatre nous promener en ville, avec l'idée de prendre un verre et une bouchée sur la grand-place, que nous découvrons superbe avec ses arcs-boutants de cathédrale et la façade crénelée de son hôtel-de-ville médiéval. Hélas, à 19h30 à peine, tous les cafés sont déjà en train de rentrer leurs tables et leurs chaises. Drôle de ville, où les bistros ferment plus tôt que le Monoprix. M'enfin...
Azur et moi nous résignons à une pizzeria voisine (nous avons bien tort), tandis que nos co-voyageurs, plus aventureux, décident d'aller chercher un restaurant ouvert dans un autre quartier. Ils en trouveront un pas trop mal -- prétendent-ils. Adieu Narbonne.
Le lendemain avant-midi, la visite de l'Abbaye de Fontfroide est un enchantement. De la cour d'honneur à la très vieille chapelle romane, en passant par le réfectoire, la cour aux lavandes (et au vieux puits de fer forgé) et la nef abbatiale aux étincelants vitraux rouges et bleus, nous voudrions nous éterniser partout, malgré une chaleur redoutable (34° à l'ombre). Et la boutique de souvenirs regorge de trésors: disques peu connus de Jordi Savall, abondante documentation sur la période cathare, très belles reproductions d'herbiers de "plantes oubliées" qui feront un joli cadeau pour notre herboriste de nièce, Geneviève.
Cela fait que nous arrivons à notre étape la plus luxueuse et la plus gastronomique du voyage, Fontjoncouse, une fois le restaurant fermé pour la pause de l'après-midi. S'ensuit une vraie scène de comédie: Dans un premier temps, le réceptionniste de l'Auberge du Vieux-Puits veut bien nous loger, mais pas question de nous restaurer. Un maître d'hôtel et une serveuse, entendant nos éclats de voix indignés, viennent voir ce qui se passe et prennent notre cause en délibéré. Un émissaire est expédié en cuisine pour parler au chef. Ce dernier, Gilles Goujon, sort de son repaire pour constater par lui-même quelle gueule peuvent bien avoir ces clients tardifs.
Découvrant nos attaches martiniquaises, il nous confie avoir de bons copains en Martinique, notamment Glen Jean-Joseph, un des patrons de la marina qui abrite le Bum chromé. Bingo! D'un instant à l'autre, nous nous métamorphosons d'emmerdeurs de la pire espèce en vieux copains du patron, qui replonge dans sa cuisine et en ressort avec un magnifique loup de quelques kilos qu'il offre de nous préparer "selon une recette improvisée à ma façon". Comment dire non à une telle proposition, émanant non seulement d'un copain d'un copain, mais aussi d'un chef qui a deux étoiles au Michelin et trois toques chez Gault-Millau?
Gilles Goujon fait amplement honneur à sa réputation avec une improvisation qui tient de la haute voltige culinaire. Nous nous délectons sans retenue de tout ce qui passe sur la table, des amuse-gueule au dessert maison, le tout accompagné d'un remarquable muscat sec du pays, une découverte pour Marie et Jean.
Notre chambre est en réalité une suite appelée "Arum" au décor à saveur antillaise, donnant sur une jolie piscine dans laquelle nous descendons nous rafraîchir après une courte sieste. Re-restaurant en soirée sous les soins personnels du patron qui, décidément, nous a adoptés et qui est seulement un peu déçu que nous ne fassions pas plus grand honneur à sa somptueuse cuisine -- il oublie que depuis le matin nous nous sommes tapé quelques heures de route et que grâce à lui nous avons fini de déjeuner vers les 16h30! Pour lui remonter le moral avant d'aller dormir, nous promettons de revenir, peut-être en fin d'année.
Après un sybaritique petit déjeuner en bordure de piscine, nous nous remettons en route vers ce qui devrait être un des hauts-lieux de notre périple: Peyrepertuse, château cathare en ruines qui est une des cinq célèbres "citadelles du vertige", gloires de la région. Pour y parvenir, nous empruntons une nouvelle route en lacets qui grimpe et plonge au hasard des vallées profondes et des collines à demi dénudées.
Nous contournons le mignon village de Cucugnan, comme lové sur sa colline rondelette couronnée d'un moulin à vent actif et sous l'ombre d'un château médiéval haut-perché. Quelques kilomètres (et près d'une heure) plus loin, nous arrivons sous la falaise quasi verticale de Peyrepertuse, au sommet de laquelle se dressent trois ruines bien distinctes formant LE château cathare par excellence. 
Nous le contemplons d'en bas avec un mélange de fascination et d'inquiétude. La vue est absolument spectaculaire, mais le soleil tape comme un marteau sur une enclume, et la guichetière à l'accueil nous avise qu'il y a une bonne demi-heure de grimpette pour laquelle elle ne saurait trop conseiller de bons souliers de marche, des chapeaux et une provision d'eau. Compris. Seul Jean prend son courage à deux mains et décide d'escalader la montagne menant aux ruines. Pusillanimes, nous l'attendons en bas après lui avoir confié nos appareils-photo. Il redesend au bout d'une heure, enchanté mais quelque peu exténué.
Il est trop tard pour envisager de nous rendre à temps pour le déjeuner à notre prochaine étape, Carcassonne. Faisant confiance au hasard, nous faisons halte à la première enseigne rencontrée. La Batteuse est l'auberge méridionale dans toute sa splendeur folklorique. Murs de crépi jaunâtres, tuiles rouges, fers forgés et meubles de gros bois brun, le tout ouvert sur une cour-terrasse où picorent librement quelques poules sous l'oeil blasé d'une chèvre ou deux.
Au menu, des charcuteries locales en entrée, suivies au choix d'un ragoût de sanglier, d'une épaule d'agneau ou de boulettes de viande épicées, le tout accompagné d'une généreuse portion de haricots blancs parfumés. Un véritable délice, surtout marié à un corbières râpeux et presque noir provenant du village voisin. Vivent les auberges méridionales, folkloriques ou pas!

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