08 juin 2016

Attention, illusion!

Ça recommence. Presque à chaque élection, les Américains du premier au dernier se bouchent les yeux et les oreilles bien dur, pour se convaincre qu'en novembre ils auront l'occasion de voter pour deux (ou au moins un) bons candidats à la Présidence.
J'ai vécu le phénomène en direct pour la première fois quand j'ai couvert pour La Presse la campagne électorale de 1976 d'un bout à l'autre. D'un côté le Démocrate Jimmy Carter, avec qui j'avais eu l'occasion de prendre un verre ou deux au New Hampshire en janvier, avant qu'il ne devienne le favori démocrate inaccessible aux petits journalistes étrangers dont j'étais. De l'autre côté le Républicain Gerald Ford, Président en poste et vice-président  de Nixon pendant le Watergate, que j'avais connu en 1974 alors qu'il tentait désespérément de se faire une réputation à l'international... et que j'étais assez naïf pour jouer le jeu.
Même pour le néophyte du «power journalism» que j'étais, il était flagrant que ni l'un ni l'autre n'avait la stature d'un homme d'État, encore moins celle d'un Président de la superpuissance américaine. Je l'ai écrit à plusieurs reprises, démontrant facilement preuves en mains que le premier, excellent garçon honnête et intelligent, n'avait pas le soupçon du début de l'expérience et de l'esprit critique qu'il fallait pour naviguer dans les intrigues nationales et planétaires, et que le second, malgré sa longue carrière, n'avait ni la vision ni l'intelligence requise.
J'étais convaincu que mes confrères américains beaucoup plus expérimentés, que je côtoyais dans les bus et les avions de campagne des deux partis, dans les bars d'hôtel en fin de soirée et dans les snacks de bord de grand-route entre les meetings, percevaient les mêmes évidences. Pas du tout. Plus la saison avançait, plus les Robert Apple Jr. du NY Times, les Bob Woodward du Washington Post, les Hunter S. Thompson de Rolling Stone se persuadaient contre toute logique qu'ils avaient affaire à deux politiciens de haut vol capables de faire sortir les USA de la déprime du Vietnam et du Watergate. Je me rappelle un long et vif accrochage en mai ou juin dans une taverne de Milwaukee avec  «Dr.» Thompson (l'auteur vedette de "Fear and Loathing on the Campaign Trail") et Richard Lam, qui était le sondeur attitré de Carter. Ni l'un ni l'autre ne voulait admettre que les deux choix évidents pour la Maison Blanche n'étaient pas à la hauteur. Même après une bonne demi-douzaine de bonnes bières.
J'ai vu la même chose se produire à multiples reprises depuis. Pas seulement aux USA, mais c'est là que le potentiel d'auto-aveuglement est de loin le plus développé. Par exemple, dans la France de 2007 et 2012,  la plupart de mes interlocuteurs finissaient par admettre que ni Sarkozy, ni Ségolène, ni Hollande n'était un «bon choix», peu importe leur obédience politique. Idem dans l'Espagne des années 2000 ou le Canada de l'automne dernier. Beaucoup d'entre nous, lucidement, se pinçaient le nez et se résignaient à voter pour «le moins pire» à défaut du meilleur.
Ce n'est hélas pas le cas aux États-Unis. Dès le lendemain de leur onction, on voit que Mme Clinton et M. Trump ont un autre statut qui interdit pratiquement qu'on remette en cause leur honnêteté et leur sincérité... pourtant sérieusement amochées (avec raison) jusqu'ici. De fait, la grande question est maintenant de savoir lequel des deux sera le plus «teflon», celui auquel les accusations, vraies ou pas, adhéreront le moins à sa peau.
Pas très réjouissant, hein?

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