24 juin 2016

Brexit ou Brepair?

Je m'étonne que mes savants ex-confrères ici et ailleurs n'aient pas vu ce que je vous prédisais il y a une semaine parce que mon expérience de vieux journaleux me disait clairement que la tendance vers le LEAVE était marquée et probablement irréversible. Les derniers sursauts, comme d'habitude, ne voulaient pas dire grand-chose.
Quelques réflexions à chaud sur le Brexit et l'avenir de l'Europe:
1. Le résultat a peu à voir aux «erreurs» de David Cameron, et tout à voir avec la façon dont l'Europe a traité ses peuples, surtout depuis une douzaine d'années (ignorance méprisante des référendums francais et hollandais de 2005, irlandais de 2008 et grec de 2015). On ne tire pas impunément la barbichette démocratique du vieux lion britannique. Il répond en rugissant.
2. Les arguments de peur économique ressemblent énormément à ceux que MM. Trudeau (père), Chrétien et cie avaient invoqués lors des référendums québécois de 1980 et 1995, sauf que cette fois ils n'ont pas suffi – excepté en Écosse, dont les citoyens semblent avoir réagi comme leurs cousins québécois... c'est-à-dire contre leurs intérêts. Les Anglais, eux, ont voté très majoritairement contre le maintien de leur pays dans cette Europe-là.
3. Les leaders anglais du REMAIN  et leurs complices du continent semblent décidés à donner au résultat la pire interprétation possible (obscurantisme, régionalisme, xénophobie...) et refusent de voir la claque magistrale qu'il constitue à la version rétrograde, élitiste et purement économique de l'Europe qu'ils défendent.
4. Pour l'Union, ce résultat devrait au contraire être un choc salutaire qui exige un changement majeur d'orientation et de philosophie, d'une Europe des financiers et des nantis vers une Europe des peuples. Elle a déjà raté deux occasions majeures de corriger son cap suicidaire, quand elle a rejeté les messages des référendums constitutionnels français, hollandais et irlandais des années 2005-2008, et celui du référendum grec de juin dernier. Elle ne peut absolument pas laisser passer cette troisième chance que le destin lui accorde.
5. Un corollaire rigolo du Brexit: si l'anglais demeure une langue de l'Union européenne, ce sera uniquement... parce que c'est la seconde langue officielle de l'Irlande après le gaélique. Difficile de trouver mieux pour illustrer l'absurdité de la situation!
6. Les autres peuples européens, surtout ceux du sud méditerranéen, devraient tirer la leçon qui s'impose du courage et de la lucidité britanniques, et travailler ensemble à obliger leurs gouvernants à agir dans le bon sens avant qu'il ne soit trop tard.
7. Il faut cesser de faire semblant que cet évènement est un remous économique. C'est un séisme éminemment politique! Et le peuple britannique s'avère le plus gros et plus important «lanceur d'alerte» de l'ère moderne. Pas question de le traduire devant les tribunaux... ni de l'obliger à s'exiler en Russie!
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À ce message publié «à chaud» sur Facebook, j'ajouterai trois notes plus réfléchies. En premier lieu, le résultat plus serré que prévu est principalement dû à deux facteurs distincts: l'assassinat de la députée Jo Cox par un fana du LEAVE, qui a suscité une vague bien compréhensible dans le sens inverse; deuxièmement, un vote tactique très fort pour le REMAIN dans une Écosse qui le voyait comme une façon de réaffirmer ses différences avec le reste du Royaume-Uni et dans une ville de Londres très impliquée financièrement dans l'Union européenne.
D'autre part, il faut relativiser le facteur «immigration» considéré comme majeur dans la victoire du Brexit. Le Royaume-Uni n'a pas du tout une histoire de xénophobie massive, au contraire: il s'agit d'une population plutôt métissée et accueillante, en particulier pour les citoyens de ses anciennes colonies. Je pense que le refus actuel est dû surtout au fait que la politique d'immigration n'a pas été choisie par le peuple britannique, mais imposée de l'extérieur par des autorités européennes ignorantes des réalités internes du pays.
Enfin, je ne puis m'empêcher de comparer la décision intelligente et mesurée de Bernie Sanders de se rallier à Hillary Clinton malgré ses réserves avec le réflexe buté et divisif des leaders européens (Juncker, Merkel et cie) face au signal démocratique fort des Britanniques. Dans ce sens, ceci est un triste jour pour l'Europe, en effet.

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