15 avril 2009

Matoutou et yachts géants

(15 avril 2009) Le reste de la Semaine sainte s’est déroulé sans incident. Remise en ordre du bateau, ménage. J’ai eu une brève envie d’aller voir le chemin de croix du Vendredi saint à Sainte-Anne, mais le temps incertain et la perspective d’avoir à grimper une dizaine de volées de marches jusqu’à la chapelle plantée sur le morne derrière le bourg m’en ont vite dissuadé. Pour le dîner de Pâques, après avoir flirté avec l’idée d’une baignade et d’une langouste au Touloulou, nous nous sommes rabattus sur l’Indigo voisin. C’est un (très) joli resto flottant sur un ponton à l’entrée de la marina. Il avait été sérieusement endommagé par l’ouragan Dean en 2007, mais le proprio l’a fort bien retapé, améliorant le décor très “marin” ponctué de maquettes de yoles et de voiliers anciens; il en a profité du même coup pour rehausser le niveau de sa cuisine, autrefois réputée mais qui en avait beaucoup perdu depuis quelques années. Si bien qu’il redevient un de nos favoris au Marin, une alternative bienvenue à l’incontournable duo Ti-Toques et Marin Mouillage. Pour ce dimanche midi, nous avons dégusté un tartare de dorade parfumé au cari, puis un très bon filet d’agneau rosé au gratin de légumes pays, avec un juliénas juste frais. La Réunionnaise accueillante et volubile qui nous servait avait mis comme fond sonore des chansons des années 50 à 70 qui ont fait grand plaisir à Azur, et nous a offert en digestif un vieux rhum Trois-Rivières qui a fait grand plaisir à Yves. Comme ça, tout le monde était content. Lundi c’était le jour du traditionnel matoutou de crabe, auquel nous étions conviés par Raphaëlle et Charles sur la plage du Diamant. Comme il fallait s’y attendre, dès le matin il s’est mis à pleuvoir des clous. Nous avons même hésité à nous y rendre, nous demandant si ça allait quand même avoir lieu. Crainte bien vaine. Nos hôtes nous attendaient à la Dizac, juste de l’autre côté du cimetière, sous les arbres qui fournissaient un abri plutôt aléatoire au bord même de la plage. 

Avant même le premier ti-punch (à l’absinthe, selon la coutume), la prudence dictait que nous nous mettions en tenue de baignade. Les multiples et parfois violentes averses ne sont pas parvenues à entamer la bonne humeur de la dizaine de convives, parmi lesquels deux joyeuses amies franco-américaines des Larcher, venues de leur retraite de Virginie. Nous avons passé une bonne heure à nous ébattre dans les fameuses vagues diamantinoises -- la mer étant beaucoup plus chaude que la pluie qui nous tombait dessus presque sans discontinuer. Nous n’étions d’ailleurs pas les seuls, trois ou quatre autres groupes de braves amateurs de matoutou faisant comme nous la navette entre l’abri des arbres et les grands rouleaux gris et verts qui déferlaient avec une vigueur impressionnante.
Venu le temps de manger, il a bien fallu nous résoudre à tout emballer pour nous transporter sous la véranda protectrice des Larcher, au sommet de la colline qui domine le village. Là, nous étions une bonne quinzaine assemblés autour d’une table chargée d’un menu gargantuesque: souskaye de morue et de hareng saur, fabuleux colombo de mouton, saucisses grillées et légumes pays, sans oublier évidemment le matoutou de crabes dont il falllait briser les carapaces pour déguster la chair bien épicée sur un lit de riz blanc. Avec ça, choix de rhum blanc ou vieux, absinthe, punch coco maison, bière Lorraine, alsace blanc ou bordeaux rouge.
La nuit était tombée depuis un bout de temps quand nous avons terminé ce banquet par le classique gâteau et le digestif de rhum vieux et avons pu nous mettre en route pour rentrer au Marin. Quelle journée! Depuis quelques jours, nous avions comme voisin arrière un yacht géant de 45 mètres, One More Toy (battant pavillon des Îles Cayman) dont les quatre étages nous bouchaient la vue du cockpit. Hier matin, finalement, il a daigné s’éloigner en prenant majestueusement le chemin du chenal de sortie du Cul-de-sac du Marin. Nous avons vite compris que c’était pour s’approcher d’un gigantesque cargo porte-bateaux, ancré en face de la pointe du Club Med pour se charger d’une douzaine de yachts de luxe qu’il va convoyer jusqu’en Méditerranée.
Nous avons grimpé sur le skybridge pour suivre avec fascination les manoeuvres de ce dernier. Il a commencé par s’enfoncer doucement dans la mer afin de laisser l’eau pénétrer à l’intérieur par deux énormes portes ouvertes à sa poupe. Pendant ce temps, une collection de super-yachts (des “petits” 25 mètres valant à peine 5-6 millions d’euros jusqu’à deux géants de 45 et 55 mètres valant au moins cinq fois plus cher) se plaçaient à la queue-leu-leu derrière lui pour y pénétrer chacun à son tour.
Raymond Marie et le skipper Marc sont venus sur les entrefaites pour une courte discussion d’affaires, quelque peu perturbée par le fascinant spectacle. Après un lunch au Marin Mouillage, des voisins de ponton siciliens nous ont invités à leur bord (un petit sloop d'acier bien aguerri, Manoha) pour un vrai café italien -- vous savez, ceux où la cuiller tient debout dans la tasse -- et une agréable discussion, que nous avons offert de prolonger en soirée chez nous autour d’une grappa que nous avions rapportée du Frioul il y a quelques années.
En fin de sieste, Marc est revenu pour nous emmener en annexe voir de près la dernière étape du chargement du porte-bateaux. Azur a décidé de s’abstenir, nous sommes donc partis à deux. Je me suis délecté à prendre une série de photos de près pendant que Marc contournait le béhémoth, qui surgissait graduellement de la mer à mesure que de l’air sous pression chassait l’eau de ses ballasts. Impressionnant.
Au retour, cependant, les choses se sont un peu gâtées. D’abord, un vent frais s’était levé, qui nous aspergeait abondamment d’embruns. Le temps de trouver un angle plus confortable pour rentrer à la marina, nous étions trempés des pieds à la tête. Et aux trois-quarts du chemin, notre prima donna de hors-bord Mercury nous a complètement lâchés; la balade s’est terminée à la rame, aux commentaires moqueurs d’Azur qui nous attendait bien à l’abri à bord du Bum. Au même moment, les copains siciliens, Federico et Sara, s’amenaient tel que prévu pour la grappa. Les voisins d’en face, Michel et Florence, qui les connaissaient, se sont joints à nous dans le cockpit (eux préfèrent le pastis, j’avais heureusement un fond de Bardouin artisanal jadis apporté de Marseille) pour une conversation cordiale et quelque peu échevelée. Il a été question surtout de voyages et de navigation, comparant nos notes sur divers pays et villes, notamment le Lac Majeur et Barcelone dont nous sommes tous entichés, et sur nos traversées de l’Atlantique, dont la nôtre aura certainement été la moins aventureuse. Bien plus vagabond que nous, le copain sicilien en est à son troisième tour du monde, sans compter une traversée de l’Atlantique avec son fils Alessandro à bord d’un hobie-cat sans cabine de 20 pieds. Fallait le faire! D'ailleurs, le fils est allé plus loin encore sur le même hobie-cat: il s'est farci le Pacifique en solitaire, sans escale, de Yokohama à San Francisco, ce qui lui a mérité son effigie sur deux timbres japonais... En échange, Azur a raconté en détail, à l’ébahissement de tous et photos à l’appui, l’attaque des pirates somaliens contre notre mégayacht de croisière Seabourn il y a quatre ans; nous avons avons aussi trouvé des terrains d’entente dans nos opinions politiques (nos amis italiens aiment autant Berlusconi que nous Sarkozy) et notre goût pour les polars d’Andrea Camilleri, qui ont pour décor leur région natale d’Agrigente. Pour sa part, la mérdionale Florence racontait ses souvenirs d’enfance à Montpellier circa 1968, que nous pouvions confronter à notre vision actuelle de la ville. Une autre belle journée.

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