11 avril 2009

Chez les Pirates de la Caraïbe

“À l’abordage!” Marc et Yves prennent le Bum d’assaut depuis l’annexe, une “patch” noire de corsaire sur l’oeil. Nous avions laissé Azur seule à bord au matin de l'escale à Wallilabou, pour aller compléter les formalités de douane et faire quelques provisions au restaurant voisin... qui vendait, en plus des jus, rhums et bouteilles d’eau, des panoplies de pirates pour jeunes touristes. Logique, le site a servi au tournage d’un ou plusieurs épisodes de “Pirates de la Caraïbe”, comme en témoigne une très réaliste façade d’auberge du XVIIIe dont la véranda abrite un stock de cercueils rustiques assez convaincants, mais dont l’arrière est uniquement composé d’échafaudages métalliques!

Ce qui nous a évidemment inspiré l’idée d’acheter quelques accessoires afin de surprendre notre compagne au retour. Succès complet. Dommage qu’elle n’ait pas eu le réflexe de nous prendre en photo... Mais revenons au départ. C’est finalement mercredi, le matin du Poisson d’avril, que nous avons largué les amarres en direction de Sainte-Lucie et des Grenadines. À bord, tout fonctionnait enfin normalement sauf le moteur de l’annexe, qui n’acceptait de démarrer qu’après moult cajoleries. Il allait d’ailleurs nous jouer des tours toute la semaine. Ayant bon vent, nous avons doublé la pointe nord de Sainte-Lucie bien au large du mouillage de Rodney Bay, trop loin pour voir la nouvelle marina. Celle-ci remplace, en beaucoup plus grand, les anciennes installations dévastées il y a deux ans par l’ouragan Dean; elle prétend même faire désormais concurrence au Marin, notamment pour l’amarrage des grands yachts. Calme plat (comme d’habitude) le long de la côte sous le vent jusqu’à notre destination, la très jolie anse de Marigot Bay, où nous avons pu nous amarrer à une bouée dans le fond, derrière la langue de sable surmontée de cocotiers qui coupe et la houle et le peu de vent qu’il peut y avoir.
Nuit paisible, les boîtes de nuit qui bordent le mouillage étant muettes en ce milieu de semaine. Dès l’ouverture des bureaux jeudi, nous sommes descendus à la douane -- rapide et sympathique. Le guichet bancaire automatique était en panne, et l’agence elle-même asslégée par une longue file de clients impatients. Nous avons décidé de nous débrouiller avec les euros que nous avions jusqu’à la prochaine escale, même si le taux de change en dollars EC (la monnaie de la plupart des îles anglaises, arrimée au dollar américain) risquait de nous être défavorable. Une fois doublée la pointe des Deux Pitons, nous avons retrouvé un vent d’est-nord-est assez stable qui nous a permis de descendre confortablement -- mais pas très vite -- vers Saint-Vincent. Heureusement, la brise s’est maintenue entre 13 et 16 noeuds le long de la côte pendant une bonne partie de la descente. Le temps était beau, nous étions tous juchés sur le skybridge aux accents de Soldat Louis: “Du rhum, des femmes”, “Martiniquaise (partie niquer)”, “Bohémiens autant que matelots... fils de roi sur le pont d’un bateau”, “Frères du port”, etc. en contemplant des nuages aux formes spectaculaires.
Nous arrivons entre chien et loup à la petite marina de Blue Lagoon, dont nous avions gardé bon souvenir. Heureusement que nous sommes en cata et que nous pouvons profiter de l’accès par la “porte de côté” au-dessus d’un haut-fond de 1,4 m; le chenal “principal”, plus profond mais étroit et sinueux, est à découvert d’une brise qui y fait friser l’écume par-dessus les cayes environnantes. Plutôt acrobatique, dans le peu de lumière qui reste. Une fois passées les bouées d’entrée, nous sommes accueillis par une double déception. D’abord, il n’y a pas de place aux trois étroits pontons monopolisés par des charters de Sunsail et de Moorings, nous devons donc mouiller à une bouée dans le bassin plutôt encombré. Mais surtout, le restaurant de l’hôtel face au front de mer est fermé. La nourriture n’y était pas exceptionnelle dans l’ensemble, mais le personnel sympathique servait les frites les plus sensationnelles de la Caraïbe (je dirais même les meilleures hors de Belgique), surtout lorsque assaisonnées de leur ketchup maison bien piquant et arrosées d’une bière Hairoun locale. Moi qui en chantais depuis deux jours les louanges à Marc! Il faudra bien nous en passer. Au matin, il nous paraît plus simple d’aller par mer au quai de Kingstown, passer la douane et l’immigration. Nous réussissons à accoster directement au quai des paquebots
de croisière avec l’aide d’une flâneur professionnel local. Marc va d’abord remplir les formulaires d’entrée au pays de Saint-Vincent et Grenadines. À son retour, nous confions la surveillance du Bum chromé à un sympathique couple de Français en monocoque qui se sont amarrés juste devant nous, en route vers la Martinique. Il y a aussi deux jeunes coopérants colombiens, bons garçons, qui photograhient les bateaux à tout va. Rassurés, nous partons tous les trois vers le centre-ville pour quelques courses (il nous manque toujours un barbecue de bord, Gérard ayant emporté le sien) et un fort bon lunch de poisson grillé suivi d’un succulent cheesecake au coulis de cerises-pays, à la succursale de Basil’s version Saint-Vincent.
La chasse au barbecue (et aux fruits de mer) ayant été vaine, nous reprenons la mer en milieu d’après-midi, emportant un souvenir bien visible du port de Kingstown. Les pare-battage de caoutchouc vulcanisé qui bordaient le quai étaient efficaces contre les chocs, mais ils avaient laissé d’énormes traces noires quasi indélibiles sur nos flancs immaculés! Il faudra nettoyer à l’alcool, sinon à l’acétone, au retour au Marin.
Descente au vent de Bequia, vers les petites îles excentriques, désertes et peu visitées malgré leur beauté, de Battowia et Baliceaux. J’aurais bien voulu mouiller là, mais le skipper estime que le risque d’un retournement de courant est trop élevé et que nous serons mieux à l’abri au mouillage de Mustique, un peu plus bas. Nous y arrivons à la nuit déjà tombée, mais trouvons sans difficulté une bouée libre et un boat-boy serviable pour nous y accrocher. Au matin, je comprendrai mieux le peu d’achalandage de ce qui est pourtant un port très agréable: une seule nuit à la bouée y est facturée le même prix que trois jours à un ponton du Marin, services compris. Pas pour rien que Mustique est surnommée “le paradis des milliardaires”! Excellente -- quoique dispendieuse -- baignade en soirée, suivie d’une nuit paisible malgré nos craintes; en effet, nous sommes amarrés à quatre ou cinq encablures à peine du bar (et dancing) de Basil’s, célèbre autant pour ses chaudes soirées de rock’n blues caraïbe que pour sa clientèle huppée qui va de Mick Jagger à Tom Cruise en passant par une brochette de “royals” britanniques. Samedi matin, descente à terre pour quelques provisions: pain et lait frais, bidons d’eau potable, bière locale. Mais ni thé glacé en poudre, ni Ginger Syrup (un de nos favoris), ni Schweppes Tonic, ni langoustes ni lambis. Par contre, foie gras du Périgord, caviar de la Caspienne et champagne millésimé en pagaille, dont nous pouvons fort bien nous passer. Pour rétablir l'équilibre, un pêcheur sur la plage, face aux yachts bling-bling, lance son épervier et ramène chaque fois une brassée de ”poissons rutilants”, comme aurait dit Brel.
Descente directe vers les Tobago Cays par l’inhabituel chemin du nord-est, en contournant les cayes de Morpion et Baline Rocks au vent de Mayreau. C’est la première fois que nous empruntons cette route, Marc aussi. Écueils et courants abondent dans les passes peu balisées, le vent n’est pas très favorable, le tout demande un oeil vigilant et une bonne dose de concentration en plus d'une utilisation judicieuse du GPS. Azur est un peu énervée jusqu’à ce que nous nous retrouvions en terrain connu, entre les îlots de Petit Rameau et de Petit Bateau. Nous poussons jusqu’à notre mouillage favori face à la délicieuse plage de Baradal. Il y a foule pour la saison, mais les plaisanciers sont plutôt civilisés, les “rangers” qui gardent cette réserve naturelle et les boat-boys qui y vendent des zillions de souvenirs sans intérêt se montrant, pour une fois, d’une belle discrétion. Lunch de crevettes à l’ail avec pâtes et rosé de Provence, rentrée dans notre anse chouchou de Saltwhistle Bay (Mayreau) pour la nuit, baignade dans l’eau toujours turquoise et limpide. Dimanche avant-midi flânerie dans l’eau et sur le pont, suivie d’une remontée au près sous le vent de Mayreau jusqu’à Canouan. Au menu du midi: steak au poivre façon Azur, patates au four façon Yves, côtes-du-rhone. En soirée, Marc va se dégourdir les jambes à terre. Lundi, nous discutons un bout avant de décider de remonter directement vers Saint-Vincent en faisant l’impasse du traditionnel arrêt à Bequia. Coup de chance, nous bénéficions de vigoureuses brises d’est-nord-est de 20 noeuds tout le long ou presque. Vitesse moyenne de 8 noeuds et plus en naviguant au plus près -- 35 degrés du vent, avec un ris dans la grand-voile et trois tours autour de l’enrouleur du génois. Je ne pensais pas que notre brave cata puisse se comporter aussi bien en serrant le vent. Surprenant et revivifiant, et un bon point pour le nouveau skipper qui a trouvé les réglages au poil. Contre l’avis des guides de croisière, la “bible” antillaise Patuelli en tête, nous choisissons de remonter presque au nord de Saint-Vincent jusqu’au mouillage peu conseillé de Wallilabou. Preuve qu’il ne faut pas toujours croire ce qu’on dit dans les livres, ce sera une de nos expériences les plus agréables de la semaine. Un garçon souriant nous amarre à une bouée et nous attache par une longue aussière à un cocotier du rivage, au fond d’une anse assez fermée entourée de hautes collines où n’entre même pas un souffle de brise.
Lorsque Marc descend à terre avec les papiers du bord, la douane est fermée. À son étonnement, le préposé rouvre son bureau, seulement pour nous, en toute courtoisie, puis retourne enfiler des perles (littéralement!) sur sa véranda. Les deux coins de la baie sont occupés par des restaurants assez folkloriques, le reste s’orne de décors pour films de pirates (voir début du chapitre). Baignade “piquante” dans une eau calme et tentante, hélas infestée de minuscules bibittes venimeuses. Comme nous n’avons mangé que des sandwiches sur le pouce pendant la navigation, Marc décide encore une fois d’aller souper et se détendre à terre.

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