(18 août 2009) La France est un pays laïque. Vous me le dites, je veux vous croire... encore faudrait-il qu'elle le prouve! Nous en avons fait de nouveau l'expérience samedi matin, au moment de partir pour Millau rejoindre nos voisins et amis Chantefort.
"Autobus à 8h45 du lundi au samedi - à 11h05 les dimanches et jours fériés...", dit l'horaire d'Hérault Transport. Nous étions donc à la gare routière bien avant 8h30 ce samedi 15 août, à attendre patiemment avec une bonne demi-douzaine d'autres voyageurs. À notre arrivée, pas un bus en vue.
Un quart d'heure se passe, il en pointe enfin un... ouf! Il décharge ses voyageurs, remplace son panneau "MONTPELLIER" par un disant "GARAGE" et se prépare à repartir. - "Vous n'allez pas à Millau?" - "Vous voyez pas, c'est écrit GARAGE." - "Alors où il est, le bus de Millau?" - "J'en sais rien, c'est pas mon boulot."
À 9h00, un autre bus arrive de Clermont-L'Hérault, dont le chauffeur est plus coopératif. Il ne va pas à Millau, mais il nous donne le No du bureau d'Hérault Transport. Qui aboutit à un message enregistré: "Bonjour, nos bureaux sont ouverts du lundi au vendredi, de 8h30 à 12h30 et de 14h30 à 18h..." Ça nous fait une belle jambe! Le chauffeur, décidément dans le club des gentils, fouille sur son portable et nous déniche le numéro du garage des bus de l'Hérault.
Par miracle, ça répond. Cependant, le type qui j'ai au bout du fil n'est au courant de rien; il promet de se renseigner et de me rappeler immédiatement. Contre toute attente, il tient parole... mais voyez l'entourloupe: "Désolé, il n'y a pas de bus ce matin. Je vous explique. Du lundi au samedi, c'est valable à condition que le jour ne soit pas férié; or, aujourd'hui, c'est samedi, mais c'est aussi l'Assomption de la Sainte-Vierge, donc jour férié, donc horaire du dimanche!" CQFD. Si j'étais la Sainte-Vierge, je serais tellement gêné que j'en endosserais la burqa.
Heureusement, face à la gare, il y a un stand où flâne un des taxis que nous connaissons. Par chance, en ce beau samedi matin, il a envie d'aller se balader dans la nature au lieu de faire le poireau en tête de ligne, si bien que nous négocions un prix correct pour l'assez long trajet (une heure et quart) jusqu'à Millau, où nous arrivons juste à temps pour que la copine Michelle vienne nous cueillir. Bien nous a pris de venir quand même, car elle et André nous ont concocté un week-end délicieux dans ce qui s'avère leur région de prédilection, et son coin natal à elle.
Ça commence par la contemplation obligée du Viaduc, qui est à la fois une prouesse technique et à mon goût une réussite architecturale: on dirait une collection d'éventails blancs déployés, flottant presque en apesanteur sur la vallée où se niche la ville. Loin d'enlaidir ou de dénaturer le décor, il faut avouer que ça y ajoute un élément d'élégance et de légèreté (je n'ai pas résisté à l'envie de piquer une superbe photo sur le Net).
Millau même, dont Michelle nous dit qu'elle a longtemps été un gros bourg à moitié endormi, en a clairement profité: beaucoup de constructions du vieux quartier ont été restaurées agréablement, les activités y sont en plein boum, le tourisme est ostensiblement florissant et le renommé marché du samedi, où nous nous arrêtons, montre autant de variété et de qualité dans les produits que de vitalité dans l'achalandage. J'y trouve un intrigant "pâté paysan aux trompettes de la mort" que je dédierai à ma soeur Marie, la plus mycologue de la famille.
Nous prenons ensuite la route grimpante et sinueuse du Causse Noir et du village de Lanuéjols, où se trouve la maison de campagne de nos amis. C'est un tout petit bourg (un peu plus 300 habitants) typique des hameaux semi-montagnards plus ou moins désertés de la région, dont cependant une bonne partie des maisons ont été joliment retapées et transformées en résidences secondaires par des citadins des villes les plus proches.
Celle des Chantefort est adossée à la propriété familiale des parents de Michelle, maintenant occupée par sa soeur. Le rez-de-chaussée sert de cave et d'entrepôt, le premier étage abrite la cuisine et la chambre principale, le second deux autres chambres (dont la nôtre), plus une salle de bain au plafond bien pentu et un bureau ouvrant sur un joli patio couvert, taillé dans la colline à l'arrière, qui joue le rôle de salle à dîner par beau temps. Le tout rénové grand confort, tout en respectant l'antique rudesse des murs. Le temps de nous installer, notre hôtesse a préparé un élastique et savoureux aligot pour accompagner trois sortes de saucisses grillées, dont nous nous régalons. La sieste vient tout naturellement après ça.
Au réveil, nous trouvons André rivé au petit écran qui diffuse la première corrida de la Fiesta de Bilbao. Notre copain, aficionado affirmé et sans complexes, a trouvé le tour de s'abonner à la télé espagnole par satellite, pour être sûr de ne rien rater des activités taurines d'outre-Pyrénées.
Une fois la dernière mise à mort exécutée et la dernière carcasse traînée hors de l'arène par le classique attelage de trois chevaux blancs, nous redescendons sur la place du village où, derrière une belle vieille fontaine, se déroule une partie de pétanque acharnée (si un jeu aussi civilisé peut être ainsi qualifié?).
Un court trajet nous dépose à l'entrée du Château d'Ayres, un ancien prieuré aux murs couverts de lierre tout naturellement transformé en hôtel de charme. Le patron Jean-François Demontjou tombe dans les bras de nos hôtes, visiblement des habitués, et nous accueille avec chaleur. Il nous fait rapidement visiter les lieux (c'est l'heure du "coup de feu") puis nous installe à une table toute rose dressée dehors sous d'immenses chênes et sequoias. Après avoir mangé (légèrement, because l'aligot du midi) et bu un fitou très parfumé, nous causons un moment avec notre amphitryon, maintenant plus libre de son temps, et complétons la visite d'une série de salons magnifiquement tapissés et meublés et d'une salle à dîner intérieure qui me fait irrésistiblement penser à celle de la Belle et la Bête de Cocteau!
Dimanche avant-midi, Michelle nous entraîne sur les petites routes du voisinage, visiter d'abord un très beau hameau voisin fait de bergeries anciennes coiffées de lauzes (toits de pierres plates), où se déroule une fête en l'honneur de la restauration du four à pain traditionnel. Une nouvelle série de côtes en lacets plonge dans la vallée voisine puis remonte sur l'autre flanc à travers la forêt de l'Aigoual, jusqu'à la montagne du même nom.
Sur le sommet pelé, parsemé de bruyère et exposé à tous les vents, se dresse une curieuse construction à tourelle qui est, de fait, une station météo. Il y a foule, moins pour le petit musée scientifique que pour le panorama spectaculaire embrassant les quatre points cardinaux (et, par temps clair, des paysages de treize départements). Malgré le brouillard de chaleur qui trouble un peu la vision, nous identifions facilement le Pic-Saint- Loup dans la direction de Montpellier au sud, les crêtes des Cévennes au nord, les ondulations du plateau du Larzac et même les vagues silhouettes neigeuses des Alpes à l'est.
La forêt que nous traversons en redescendant, en grande partie de conifères, nous fait fortement penser à certains paysages des Laurentides -- il n'y manque qu'un lac ou deux. Le temps de revenir à Lanuéjols, André a fait griller des côtes de mouton tout en causant avec son ami et complice tauromane Bernard, venu se joindre à lui pour les prochains jours.
Re-sieste un peu plus courte, et re-corrida à laquelle nous assistons cette fois presque en entier: le satellite nous a quand même lâchés temporairement au milieu du spectacle, déboussolé par une ondée aussi soudaine que vive. Commentaires assez acidulés de nos deux experts sur la qualité inégale des taureaux et celle, encore plus modeste à leur avis, des toreros.
À la demande d'Azur, changement de chaîne pour attraper la fin de l'Open de tennis de Montréal qui, ô surprise, oppose l'Argentin Del Potro à l'Écossais Murray, alors que tout le monde salivait dans l'attente de la première confrontation Nadal-Federer depuis Madrid. J'avoue que cela enlève pas mal de piment à l'affaire, qui fournit pourtant un assez bon match jusqu'au milieu de la troisième manche, où brusquement l'Argentin craque et s'effondre.
Hier midi, avant notre départ, Azur a invité tout le monde à l'hôtel voisin, dont André et Michelle nous vantaient avec raison les prouesses en matière d'omelette aux cèpes. Après un fort bon déjeuner consommé en toute lenteur (disons que le rythme du service était bien méridional), nous avons laissé nos deux aficionados assumer en célibataires leur passion tauromachique, tandis que Michelle nous ramenait à Montpellier en empruntant le chemin des écoliers qui conduisait à travers les paysages à couper le souffle des causses (hauts plateaux du Massif central) au Cirque de Navacelles.
C'est un immense canyon, "le plus grand d'Europe" se vante le guide touristique, qui forme un amphithéâtre descendant en pentes abruptes sur trois cents mètres de hauteur jusqu'au petit village de Navacelles et à la cascade de la rivière Vis, tout au fond. Quel paysage! Nous nous arrêtons longuement pour le contempler, d'abord en arpentant le belvédère qui en longe un flanc, puis en sirotant un rafraîchissement dans un café qui le surplombe. Assez curieusement, la seule oeuvre littéraire qui y soit liée (à ma connaissance du moins) est un poème du Québécois Jean-Guy Pilon que j'avais lu dans un des premiers numéros de Liberté, quand j'étais encore étudiant. Souvenirs de jeunesse...
Nous rentrons finalement à Montpellier en longeant les belles Gorges de l'Hérault, au moment où le soleil tombe sur une journée de vraie canicule (37° à l'ombre) qui, par chance, nous a épargnés en grande partie sur nos routes de montagne. Et puis tiens! Les multiples plaisirs du week-end nous ont même fait oublier les péripéties autobuso-religieuses d'avant-hier...
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