12 août 2009

Tour de France, canard et Manitas

(10 août 2009) Pour une fois, nous avions délaissé notre repaire parisien habituel de l'avenue Kléber pour un hôtel de charme rue Monsieur-le-Prince, à trois pas de l'Odéon et du Luxembourg. Chambre coquette (un peu petite) sous les toits, petit déj dans une cour intérieure de vieilles pierres et de fer forgé adoucis par des giclées de plantes vertes, personnel qui vous traite comme de vieux amis... L'atmosphère en ville était celle, particulière, du Paris touristique de la fin juillet, un peu moins achalandé que de coutume (sans doute un effet de la crise). Moins de Parisiens, de restaurants ouverts, de pollution, d'encombrements de circulation; plus d'étrangers un peu perdus, de files de grands cars, de queues devant les monuments. Nous en avons profité pour nous balader sur les quais, flâner sur les berges de Paris-Plages qui débutait, écumer les bouquinistes et les revendeurs de disques. Aussi pour explorer un ou deux coins que nous connaissions moins, notamment le Parc André-Citroën,

dans le 15e juste à côté du Pont Mirabeau chanté par Apollinaire et Ferré, en vue de la version originale de la Statue of Liberty de Bartholdi qui, comme tout le monde le sait, réside sur une île au milieu de la Seine. Le Routard nous a pilotés vers trois bons choix de restaurants à prix moyen: l'Auberge Etchégorry pas loin de la Place d'Italie dans le 13e, cuisine basque et accueil chaleureux; le Progrès, bistro archi-parisien (cuisine idoine et serveuse-maîtresse-d'école rigolote) au début de la rue de Bretagne dans le Marais; et I Golosi, un italien comme on les aime avec pour patronne une mamma comme on n'en fait plus, rue de la Grange-Batelière pas loin des Grands Boulevards dans le 9e. Nous en avons retrouvé un quatrième, d'un charme fou: le Dôme du Marais, rue des Francs-Bourgeois près de la rue Vieille-du-Temple. Tous fortement recommandés. Nous nous étions promis d'aller voir au moins deux ou trois spectacles, mais même la lecture exhaustive de Pariscope et de l'Officiel des Spectacles n'a rien déniché de vraiment intéressant: des reprises éculées et des boulevards sans élan au théâtre, des chanteurs peu connus dans les cabarets, des musiciens de 3e ordre dans les boîtes de jazz. À défaut de mieux, l'événement central de notre séjour a donc été l'arrivée du Tour de France sur les Champs-Élysées, le dernier dimanche. Nous avions eu l'heureuse idée d'aller bruncher à la terrasse du Drugstore Publicis, à trois pas de l'Étoile. L'assiette n'avait rien de pharamineux (les prix non plus, heureusement), mais comme position stratégique, alors pardon!
Le personnel a vite compris que nous étions là pour le point de vue et que nous n'avions pas l'intention de lâcher notre table aux toutes premières loges tant que la dernière boucle ne serait pas courue. Plutôt que de s'en offusquer, ils s'en amusaient et se sont ingéniés à nous faciliter la vie, m'offrant même une chaise sur laquelle grimper pour faire des photos au passage des coureurs! Il faut dire qu'Azur, avec son flair habituel, avait déniché une Réunionnaise parmi les serveuses, et en un tour de main s'était fait des complices de tout le personnel féminin. Et comme un des garçons, passionné de voile, a compris que nous avions un joli cata aux Antilles... Ceci dit, rien de bien spectaculaire à raconter sur la course même: longtemps avant l'arrivée à Paris, la messe était dite et tout le monde savait que l'Espagnol Contador gagnait et que le "revenant" américain Armstrong le suivait de près. Il restait à admirer le spectacle, bien plus dans la foule que sur la piste, et à se tordre le cou pour tenter d'apercevoir le sprint final qui se déroulait en fait à l'autre bout de l'avenue. Nous en avons rapporté un joli parasol jaune dont l'inscription "Tour de France 09" prouve au moins que nous y étions. Beaucoup plus consistant a été l'autre sommet du séjour parisien (bon, vous allez encore dire que je ne parle que de bouffe, mais tant pis), un somptueux déjeuner au Relais Louis XIII, rue des Grands-Augustins, deux étoiles depuis toujours dans le Michelin et un décor historique fabuleux. Au menu, une quenelle de brochet fondante comme ça se peut pas, après laquelle nous avons partagé un croustillant caneton challandais dont la poitrine était rôtie et la cuisse confite.
Rien de surprenant à cela, le chef Manuel Martinez a fait ses classes à la Tour d'Argent, fameuse pour ses canards numérotés. Apprenant cela lorsqu'il est venu nous saluer au milieu du repas, Azur s'est mise à échanger avec lui des anecdotes plus ou moins olé! sur son ancien patron Claude Terrail, avec qui elle copinait dans les années 50-60. Résultat, nous qui étions entrés comme de vagues clients-touristes sommes sortis deux grosses heures plus tard traités comme des enfants de la maison, après un dessert à se damner et quelques digestifs d'un âge vénérable. Retour par le TGV à Montpellier, puis une semaine complète pratiquement sans bouger un orteil pour récupérer de ce mois de vagabondage. C'est tout juste si nous avons défait les bagages le troisième jour! Heureusement, les Chantefort du dessous ont sonné la cloche du réveil en montant prendre l'apéro pour nous inviter chez eux à Millau, le week-end prochain. Au programme, visite du fameux viaduc et du célèbre marché de produits gourmands régionaux; ça se refuse pas! Dans l'intervalle, Jean-Pierre Dréan a aussi rappliqué pour nous intimer l'ordre exprès de l'accompagner samedi soir dernier aux Arènes de Palavas, où se tenait une grande Fiesta Gitana en l'honneur de Manitas de Plata.
Nous nous sommes donc retrouvés dans une pizzeria semi-sympa (le semi, c'était pour la patronne un peu grincheuse) avec une joyeuse équipe composée à parts égales de Français et de Québécois. Il y avait notamment le fils d'Yves Corbeil et sa copine bordelaise, ainsi que le cancérologue qui avait soigné Dréan à Montréal et sa femme, en vacances dans le Midi. Après une pizza à la brandade de morue (si-si-si, c'est très bon), nous nous sommes dirigés vers les arènes sous un ciel noir zébré d'éclairs. Dréan nous a fait entrer par la porte des artistes (bien sûr, il connaissait tous les organisateurs), puis nous nous sommes faufilés par l'escalier des W.C. pour trouver une bonne place plus haut dans des estrades quelque peu dégarnies. Pas surprenant, il tombait des gouttes à toutes les dix minutes et le tonnerre roulait presque sans arrêt, à tel point qu'on s'est demandé pendant près d'une heure si le spectacle allait avoir lieu. Ce que nous ignorions, heureusement, c'est qu'au même moment les dunes qui forment le bord de mer de Palavas étaient assaillies par un véritable ouragan pimenté par la foudre, qui a saccagé paillottes et campings et donné une sacrée frousse aux estivants. Mais assez curieusement, le mauvais temps a entièrement épargné la zone des arènes, si bien qu'avec près d'une heure de retard, la Fiesta a pu se mettre en branle.
Le projet, à première vue une bonne idée, était d'illustrer par la musique et la danse le long voyage qui a mené les gitans de leur lieu d'origine dans le nord de l'Inde à travers l'Asie, l'Europe et le Proche-Orient jusqu'aux Balkans d'un côté, au Maroc et à l'Espagne de l'autre. Le tout devant se dérouler sur une scène dressée sur le sable des arènes, devant un attroupement représentant un campement de gitans avec feux de camp, femmes qui dansent, enfants qui jouent et animaux qui errent en liberté. Malheureusement, la combinaison d'une nervosité évidente causée par le mauvais temps et les retards et d'un manque flagrant de préparation et d'entente entre les groupes participants a complètement saboté le rythme et les enchaînements, surtout en première partie. Musiciens indiens, gypsies hongrois et guitaristes-chanteurs andalous étiraient leurs pièces à n'en plus finir, avec en plus d'interminables interruptions muettes pour ajuster les équipements et le dispositif, tandis que les figurants du campement communiquaient leur palpable ennui au reste du public. Il devait bien être minuit quand, grâce surtout à un (excellent) ensemble de flamenco qui a eu le coup de génie de faire enfin le pont entre la scène en haut et le campement gitan en bas, le spectacle est retombé sur ses pattes... mais entre-temps, une bonne moitié des spectateurs avaient pris le large.
Ceux-là ont cependant raté une finale qui rachetait tout le reste: Manitas, qui avait célébré la veille ses 88 ans, faisant le tour de l'arène tout de blanc vêtu dans une décapotable turquoise des années '60, avant de monter sur scène guitare en main jouer quelques-uns de ses airs les plus aimés (ses "mains d'argent" ont encore les doigts extraordinairement agiles). Puis l'ensemble des participants sont venus se joindre à lui sur l'estrade pour compléter une fiesta qui se poursuivait encore à notre départ, passé deux heures du matin.

1 commentaire:

Pierre a dit...

Je m'amuse de voir qu'en te lisant, j'ai un grand sourire, et surtout l'impression d'avoir redécouvert Paris et son Parc André Citroën (que je connais pourtant bien !).

J'espère qu'Azur et toi allez bien, mais d'après tes écrits, vous prenez du bon temps, et l'appréciez !

Bisous