27 avril 2011

Barcelone sous l'averse

(22 avril 2011) Malgré un vrai temps de Vendredi Saint (gris, froid et pluvieux), je laisse Azur à son cocooning et pars me balader en ville, profitant du calme relatif: tout, mais absolument tout est fermé ce matin, sauf une pharmacie et un café par-ci, par-là. À l'étage supérieur du bus "turistic", je me retrouve seul sous l'averse, à côté de deux pin-ups Italiennes solidement maquillées mais court-vêtues qui causent et rigolent sans arrêt tout en grelottant. Elles me jettent un regard spéculatif puis m'oublient le reste du trajet. Le long du front de mer (entièrement et plaisamment refait à l'occasion des Olympiques de '92), de puissantes vagues grises viennent s'écraser avec fracas sur les plages qui, il y a trois jours, étaient couvertes de baigneurs et de bronzeuses. On se croirait en Gaspésie aux grandes marées d'automne. Remontant l'Avinguda Diagonal, je me sens perdu: le vieux Poble Nou ex-industriel de béton en débâcle et de tôle rouillée que je connaissais est devenu un quartier commercial à la mode, où de jolis parcs semés de sculptures fantaisistes séparent de grands centres d'achats cossus aux boutiques dernier cri de pâtés résidentiels chics. Pepe Carvalho lui-même ne s'y reconnaîtrait pas. Même si tout le monde nous affirme que Barcelone est durement touchée par la crise économique espagnole, rien ici ne le laisse paraître. Je m'étais promis une visite plus détaillée de la Sagrada Familia que celle, en coup de vent, de l'an dernier; l'interminable queue de parapluies dégoulinants devant le kiosque d'entrée me fait changer d'idée. Je me contente d'un rapide coup d'oeil sur les tours et la façade à travers les arbres du parc voisin, avant de rentrer à l'hôtel après un détour à travers Gracia et l'Eixample. Après un lunch dans le quartier, comme le temps s'est amélioré, nous prenons une voiture avec chauffeur (africain) francophone pour nous promener dans des coins moins primairement touristiques. La traversée de Pedralbes pour visiter le fameux Monestir (bizarrement fermé le Vendredi Saint) nous fait côtoyer les somptueuses (et somptueusement gardées) résidences des familles Ben Ali et -- paraît-il mais c'est moins sûr -- Moubarak, sans compter le modeste palais du Prince Abdallah d'Arabie Saoudite. Une interminable montée en lacets sur les flancs du Tibidabo nous amène au sanctuaire de Sacré-Coeur, d'un rococo plutôt sympathique avec un intérieur aux mosaïques frappantes, sans compter un panorama qui, n'était la bruine et le brouillard, serait sans doute saisissant. À quelques centaines de mètres, discrètement isolé sur un piton, l'hôtel de grand luxe appartenant à un des fils Kadhafi. Ces gens-là n'ont pas de morale, mais faut avouer qu'ils ont du goût! Un crochet dans les quartiers plus populo de l'ouest (ouf!) nous permet de jeter un coup d'oeil sur ce temple du football mondial qu'est le Camp Nou. Je suis depuis toujours fasciné par l'histoire de ce stade et ce club qui sont la propriété exclusive de quelque 200 000 fans, dont la moitié à peine peuvent assister à chaque match. Le Barça, comme le nomment affectueusement toute la ville et la région, peut même se payer le luxe d'être la seule grande équipe au monde à n'avoir aucun commanditaire; au contraire, il paie chaque année un petit paquet de millions d'euros pour le droit d'afficher sur son maillot le logo... de l'UNICEF! Au moment où le chauffeur Moustapha veut nous ramener à l'hôtel, nous buttons sur une barricade policière à l'entrée de la Plaça de Catalunya. Les Ramblas, explique un agent, sont fermées pour cause de procession. Nous descendons donc à pied à travers la foule qui se presse sur le flanc ouest de la grande avenue. Par-dessus les têtes, nous apercevons les hautes cagoules noires des premiers pénitents du Vendredi Saint, dont la marche lente est ponctuée de roulements de tambour. La masse des spectateurs devenant vraiment trop dense, nous montons à notre chambre du Méridien qui, par chance, donne sur la Rambla. C'est de là que nous pouvons suivre le reste de la procession à travers les branches peu feuillues des platanes. Il y a d'abord un Christ tout noir portant une croix noire aussi, juché sur un char hyper-doré (porte-t-il sa croix pour Haïti?). Le suivent une dizaine d'autres cagoulés de noir, traînant chacun sa croix, puis un groupe de femmes en tenue de veuves castillanes (mantille de dentelle noire tombant depuis un haut peigne piqué dans la chevelure relevée). Enfin une dernière file de cagoules "de luxe" en velours vert sombre surmontant des tuniques crème bardées de médailles rutilantes, ce qui fait un étrange contraste avec le ton lugubre du reste.

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