05 mars 2016

Les aléas de la croisière

La croisière en paquebot est à la fois un mode de vie assez spécial et une façon très particulière, parfois frustrante, de voir le monde. C'est comme une tranche d'existence en communauté, avec des codes sociaux et vestimentaires, des parcours, des habitudes et des horaires aussi réglés en principe que dans n'importe quel monastère ou garnison, mais inscrits dans une durée très limitée et sans les objectifs ou les motivations bien définis qui animent moniales ou militaires. Sauf peut-être la bizarre passion de parcourir en bande, souvent au pas de gymnastique derrière un meneur de jeu agitant un fanion, placard ou parapluie numéroté, des lieux extraordinaires ou banals dans lesquels, sauf exception, on ne remettra jamais les pieds.
Et pourtant, une fois qu'on y a goûté, on y revient presque toujours. C'est notre cas, comme c'est celui de la grande majorité des quelque 600 autres passagers, la plupart d'âge mur, du Regent 7-Seas Mariner à bord duquel nous subissons, depuis un mois et demi et pour trois semaines encore, un périple complet et plutôt chargé d'accidents et d'incidents, autour de l'Amérique du Sud.
J'ai déjà mentionné les aléas de la météo et de la mer, dont les caprices nous ont forcés à faire l'impasse d'au moins trois escales — dont une seule, pour dire vrai, était réellement alléchante: les Îles Malouines.
À cela s'est s'ajoutée une série d'avaries, d'abord au système de propulsion ultra-sophistiqué composé de «pods» orientables suspendus sous la coque, puis au générateur électrique d'urgence. Le premier problème nous a ralentis et privés d'une bonne part de notre maniabilité à partir d'Ushuaia et jusqu'à Buenos Aires, compliquant les accostages et rendant nettement plus acrobatiques les débarquements et embarquements sur les navettes de transfert à terre, là où le navire devait mouiller au large du port.
La seconde difficulté nous a obligés à ronger notre frein en attendant un générateur neuf pendant trois jours, avec pour principale occupation la contemplation des amoncellements de conteneurs de Santos, grand et terne port commercial brésilien dont la seule qualité réelle (pour nous, en tout cas) est de donner accès à l'immense et fascinante agglomération de São Paulo, sur laquelle je reviendrai bientôt. Ce qui nous a empêchés d'effectuer trois autres escales... heureusement dans des villégiatures huppées ayant assez peu à offrir à part de belles plages hyper-encombrées de touristes uniformément bronzé(e)s et des bars snobs! Mais passons.
Un ennui qui nous est propre, en tant que Bums chromés habitués à la vie sous les tropiques à bord d'un catamaran sans climatisation, est l'omniprésence d'un air exagérément réfrigéré à l'américaine. La température à l'intérieur est maintenue entre 22 et 23 degrés celsius, même s'il fait 32 ou 35 à l'ombre dehors. Et le réglage manuel des cabines est calibré pour ne jamais dépasser 24. Il a fallu un bon mois de nez dégouttants, de sinusites douloureuses et d'un nombre incalculable de paquets de kleenex de poche, pour que je me décide à protester, avec succès. Depuis une dizaine de jours, le contrôle au moins de notre cabine a été débloqué, permettant d'atteindre un plus réaliste 27 degrés le jour, 25 la nuit.
Notre dernier malheur, également assez fréquent en croisière mais prenant ici des dimensions épiques, est une épidémie de déréglement gastro-intestinal, causée par un virus qui avait d'abord fait des siennes du côté de Lima puis qui a resurgi régulièrement pendant près d'un mois pour atteindre au total une soixantaine de passagers et de membres de l'équipage.
Nous avons personnellement été épargnés, mais plusieurs de nos voisins ont dû vivre une semaine de quarantaine dans leur cabine, d'autres ont été transportés à terre pour être soignés dans les hôpitaux locaux — et dans de rares cas graves, rapatriés chez eux par avion.
Dans le fonctionnement du navire, cela s'est traduit par des désinfections périodiques des espaces communs puis des cabines, par l'obligation de se nettoyer constamment les mains et par un service de restaurant et de bar perturbé et compliqué, assuré par un personnel ostensiblement énervé de devoir se coiffer de bonnets de plastique et se masquer de gaze, transformant des endroits habituellement conviviaux en simili-salles d'opération!
Bon, ça va faire pour la face cachée et moins plaisante de la croisière. Le prochain épisode, c'est promis, sera plus réjouissant...

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