21 mars 2014

Court-métrage comique à la sauce Danang

Si notre premier contact avec le Vietnam tenait du cinéma poétique, le second était plus proche de la comédie grinçante (à l'Américaine, puisque dotée d'un «happy end»).
Nous avons accosté mercredi au port extérieur de Danang — ou Da Nang, tous les lieux ici semblent avoir deux ou trois orthographes — avec un petit retard, encore aggravé par le zèle méticuleux des douaniers. Rien de grave pour nous, puisque nous n'avions pas d'horaire fixe pour la journée.
Il était donc près de onze heures quand nous sommes descendus faire tamponner nos visas. Avant même d'atteindre la guérite des fonctionnaires en uniforme guindé vert et rouge, nous étions agressés par un chauffeur collant qui insistait pour nous proposer son taxi dans un anglais chancelant. Nous avions beau ne lui répondre qu'en français, il continuait à tournoyer autour de nous comme un moustique singulièrement énervant.
À peine nous en étions-nous débarrassés qu'un des gardes de la barrière menant aux navettes vers la ville (assez éloignée) prenait le relais pour nous proposer avec insistance les services d'un autre taxi doublé de son cousin qui «espique feurench very vell you see you see» et qui va nous emmener visiter la ville voisine, bien plus intéressante, de Hoi An. Comme j'ai eu le malheur de l'écouter, s'en est suivie une série de conversations cellulaires incompréhensibles avec un ou plusieurs interlocuteurs inconnus (ou fictifs?) à l'issue de laquelle «hi no can come but you tèk taksi to tâoun onli ten dolla yes?». Évidemment pas, d'une part ça sent l'arnaque à dix pas, et de l'autre juste devant nous s'ouvre un confortable autocar qui fait la même chose gratis... et sans emm... personne!
Vingt minutes plus tard, en mettant le pied sur la place centrale (sans le moindre attrait) de Danang, ça recommence, avec les pédaleurs de rickshaw cette fois. Ils sont au moins quatre, chacun apparemment doté d'un ou deux rabatteurs, à s'accrocher à nous pour nous vendre à rabais un service dont nous ne voulons pas: nous faire faire le tour de la ville. Un autre type quitte le comptoir «officiel» (presque certainement une autre arnaque) de bienvenue pour nous dire «Ne les écoutez pas, je vous appelle un taxi.» Ouf!
Une minute plus tard, un taxi tout vert muni d'un compteur surgit comme par miracle... et notre nouvel ami s'installe à côté de lui et fait mine de lui traduire l'adresse que je lui donne, d'une agence de voyage recommandée par le tourisme officiel. Sachant que ce n'est pas loin, je suis un peu étonné de nous voir parcourir une grande avenue qui enjambe un pont dans la direction d'où nous venions. Mais c'est seulement après une dizaine de minutes, rendus dans un secteur industriel poussiéreux, qu'Azur s'insurge: «Ça n'a aucun sens, tu m'avais dit que c'était tout près!»
Je redonne au copain de moins en moins copain l'adresse précise... et il me répond: «Oui, mais ce temple-là est fermé, je vous amène en voir un autre encore plus beau.» Je lui répète deux fois d'abord gentiment, puis un peu moins, qu'on s'est mal compris, qu'il n'est pas question de visiter quelque monument que ce soit et que nous allons à une agence de voyage, point à la ligne. De mauvaise grâce, le chauffeur revient sur ses pas... et nous dépose sur la rue que je lui ai indiquée, mais devant une pagode magnifique — et clairement fermée.
«Vous voyez bien!» a-t-il le culot de nous lancer. De peine et de misère, je l'oblige à nous ramener deux coins de rue derrière, où se trouve notre agence. Je lui remets la somme convenue au départ, mais là le chauffeur proteste en montrant avec véhémence son compteur qui, bien sûr, marque un montant bien plus élevé; ils nous ont baladés à travers toute la ville pendant vingt minutes. Le ton monte: «Vous prenez ça et pas un sou de plus, compris?»
Heureusement, le jeune préposé de l'agence met le nez dehors de son bureau, comprend d'un coup d'oeil la situation et prononce les mots magiques «Call Police...», ce qui clôt le débat. Une fois à l'intérieur, dernière mauvaise nouvelle: le chauffeur-guide francophone sur lequel nous comptions s'est lassé d'attendre et a pris d'autres clients... et aucun autre n'est disponible.
Nous faisons une croix sur la balade à Hoi An, aussi bien que sur une visite de Danang dont nous avons bien vu qu'elle est pratiquement sans intérêt, et nous allons demander au garçon de l'agence, clairement plus fiable, de nous appeler un taxi pour retourner à bord, quand il nous propose de plutôt nous attarder en ville pour déjeûner. Avec tout ça, il est bientôt 13 heures et, la faim et la gourmandise aidant, ma foi...
Le restaurant où il nous envoie, Apsara, est superbe, une grande villa de style indou derrière un portique orné, dans un jardin fleuri. Et la cuisine, un amalgame imprévu d'indien et de vietnamien, est à la hauteur du décor. Rouleaux aux crevettes croquants et presque noirs, onctueuse soupe au crabe et à l'aileron de requin, seiche très légèrement pannée et frite en tranches fines, et le comble, un riz aux fruits de mer parfumé au curry servi dans une énorme noix de coco évidée qui lui transmet sa saveur fruitée. C'est le «happy end» annoncé. Enfin, pas tout à fait, même si le dernier taxi qui nous ramène au paquebot est d'une gentillesse et d'une honnêteté exemplaires.
Comme il nous dépose à la barrière extérieure du port, un autre bon larron nous fonce dessus: «Madame, you no valk à pied jusque bateau, no? Onli fai dolla we conduck you, yes?» J'ai beau faire non de la tête, Marie-José lui a déjà tendu un billet (seulement 10000 dongs, heureusement) qu'il a prestement hâpé avant de disparaître. Nous comprenons vite pourquoi. Sitôt la barrière franchie, un petit véhicule jaune et vert à banquettes nous attend, sur lequel il est inscrit «PASSENGER SHUTTLE TO SHIP —FREE SERVICE»!

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